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Prisonnier en Russie : le calvaire de l’Américain Hubbard, raconté par un codétenu ukrainien – 17/10/2024 à 14h06

Le citoyen américain Stephen Hubbard, 72 ans, accusé d'avoir combattu en tant que mercenaire pour l'Ukraine, devant le tribunal de Moscou, le 7 octobre 2024 (Service de presse du tribunal municipal de Moscou/document)

Le citoyen américain Stephen Hubbard, 72 ans, accusé d’avoir combattu en tant que mercenaire pour l’Ukraine, devant le tribunal de Moscou, le 7 octobre 2024 (Service de presse du tribunal municipal de Moscou/document)

Torture, humiliation, faim : c’est ainsi que le soldat ukrainien Igor Chychko décrit ses deux années de détention en Russie, et celles de Stephen Hubbard, septuagénaire américain détenu au secret et condamné en octobre à Moscou pour « mercenariat » au profit de Kiev.

Arrêté par l’armée russe en avril 2022, M. Hubbard a été condamné à six ans et dix mois de prison le 7 octobre 2024, à l’issue d’un procès à huis clos aussi surprenant qu’expéditif. Les États-Unis affirment ne disposer que d’informations « limitées » sur son cas en raison du refus de coopération de Moscou.

La Russie avait révélé dix jours plus tôt, le 27 septembre, qu’elle détenait l’homme de 72 ans depuis deux ans et demi. Il a comparu devant le tribunal, frêle, pâle et ayant du mal à bouger.

Igor Chychko a été fait prisonnier en mai 2022, puis libéré lors d’un échange en mai 2024. Un journaliste de l’AFP l’a connu en août, alors qu’il était soigné pour un traumatisme dû à sa détention. Il a ensuite raconté avoir été emprisonné avec un Américain âgé, avant que Moscou ne révèle qu’elle détenait M. Hubbard.

Dans deux entretiens accordés en septembre et octobre à l’AFP, Igor Chychko a détaillé sa relation avec Stephen Hubbard et leur vie dans deux prisons en Russie.

Les autorités russes, seules capables de le faire, n’ont pas répondu aux questions de l’AFP et n’ont donc pas confirmé que les deux hommes étaient détenus ensemble. De nombreux autres prisonniers ont déclaré avoir subi des mauvais traitements similaires à ceux rapportés par M. Chychko.

Selon cette dernière, les deux hommes ont été incarcérés à Novozybkov, dans la région de Briansk (ouest de la Russie) de septembre 2022 à mai 2023. Parfois, ils se trouvaient dans des cellules voisines.

Puis, jusqu’au printemps 2024, ils se trouvent dans la colonie pénitentiaire n°7 de Pakino (région de Vladimir, à 270 km à l’est de Moscou), où les deux détenus ont partagé un temps la même cellule.

Avant septembre 2022, Igor Chychko affirme avoir été détenu à Stary Oskol, dans la région russe de Belgorod (ouest), et pense que M. Hubbard s’y trouvait également même s’ils ne s’y sont pas rencontrés.

La présence d’un étranger parmi les prisonniers de guerre ukrainiens était inhabituelle. « Ce qu’il faisait là n’était pas très clair », a déclaré Igor Chychko, 41 ans, avec de profondes cernes et les joues enfoncées à cause des « 801 jours » qu’il a passés en captivité.

– Battu et forcé de ramper –

L’ancien soldat ukrainien Igor Chychko, 41 ans, emprisonné en Russie de mai 2022 à mai 2024, à Kharkiv, en Ukraine, le 9 octobre 2024 (AFP / SERGEY BOBOK)

Selon lui, l’Américain a subi la même épreuve que ses malheureux camarades ukrainiens : tous ont été battus, humiliés, affamés par leurs gardes, selon le soldat qui dit avoir été témoin direct des sévices infligés à Stephen Hubbard et les avoir lui-même endurés. .

« Ils le battaient tout le temps, comme nous tous », a-t-il déclaré lors d’une réunion à Kharkiv.

« Ils l’ont frappé avec des bâtons, des matraques et des coups de pied. Ils l’ont attaqué avec des chiens (…) ils l’ont fait courir, ne l’ont pas nourri, l’ont fait ramper dans les couloirs », explique-t-il encore.

Les gardiens de Novozybkov ont « délibérément » frappé les organes génitaux des détenus, a-t-il déclaré, et forcé les prisonniers, dont M. Hubbard, à « simuler » des actes sexuels entre eux pour les humilier.

M. Chychko raconte que le septuagénaire, avec qui il communiquait du mieux qu’il pouvait en anglais, lui avait raconté avoir été torturé à l’aide de « décharges électriques ».

Ces abus auraient eu lieu lors d’interrogatoires auxquels l’Ukrainien n’a pas assisté, mais l’ex-détenu note que les tortures n’étaient pas exceptionnelles, révélant ses cicatrices sur ses mains et son appareil auditif, l’ex-détenu ayant ainsi partiellement perdu l’audition. des coups.

En octobre, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a accusé la Russie de recours « généralisé et systématique » à la torture contre les prisonniers de guerre ukrainiens.

Le ministère russe des Affaires étrangères n’a pas répondu aux questions de l’AFP sur les conditions de détention de M. Hubbard, ainsi que sur la manière et la date à laquelle les États-Unis ont été informés de sa détention.

Selon la version officielle, présentée lors du procès du vieil homme et publiée par les médias officiels russes, le ressortissant américain a été fait prisonnier le 2 avril 2022 lors de l’occupation d’Izyum, une ville du nord-est de l’Ukraine, libérée depuis. Il y vivait depuis 2014 avec sa compagne ukrainienne. M. Hubbard a raconté ce voyage à son codétenu ukrainien.

Selon ses accusateurs russes, Stephen Hubbard a rejoint un bataillon de défense territoriale ukrainienne au début de l’invasion russe et était payé « au moins 1 000 dollars par mois ».

– L’Amérique, « incarnation du Mal » –

Interrogées par l’AFP, les autorités ukrainiennes ont indiqué n’avoir aucune trace de l’Américain au sein de cette composante de l’armée.

« Nous ne l’avons pas trouvé sur nos listes », a assuré Oleksiï Dmytrashkivsky, chef du département des communications du commandement des Forces de défense territoriale d’Ukraine et porte-parole du commandement des forces ukrainiennes occupant une partie de la région russe depuis Koursk.

Selon les médias russes, M. Hubbard a plaidé coupable. Selon Igor Chychko, le vieil homme n’était « qu’un civil ». « Vous voyez un vieil homme en si mauvaise santé, comment pourriez-vous le voir comme un soldat ?

M. Chychko explique que selon Stephen Hubbard, ce dernier a été arrêté par des soldats russes près d’un checkpoint à Izioum : « Ils ont compris (…) qu’il était américain, qu’il avait de l’argent liquide sur lui. »

Une fois en prison, M. Hubbard a été maltraité malgré son âge par les gardiens précisément parce qu’il était américain, selon son codétenu.

« Comprenez, pour nos gardes, l’Amérique est l’incarnation du Mal. Ils sont convaincus qu’il faut anéantir les Américains », souligne-t-il.

Parmi les abus subis par les détenus, la faim. Selon M. Chychko, ils étaient délibérément mal nourris et privés de repas en cas d’indiscipline.

Mais Stephen Hubbard « n’a pas fait ce qu’on lui disait » de faire, affirme Igor Chychko.

– « Docteur Mort » –

Igor Chychko montre une photo de lui juste après avoir été libéré de captivité russe en mai 2024, lors d’un entretien à Kharkiv, le 9 octobre 2024 (AFP / SERGEY BOBOK)

A Pakino, « les conditions étaient terribles. Je ne savais pas que les gens gonflaient de faim. Et puis nous avons tous commencé à enfler, et diverses putréfactions sont apparues ».

Stephen Hubbard aurait également été soumis à des mauvais traitements de la part d’un médecin surnommé « Docteur Death » en raison de sa cruauté.

Pour « soigner » la gale, cet homme obligeait les détenus, dont Stephen Hubbard, à rester nus dans des chambres « froides et humides » pour des séjours pouvant durer plusieurs semaines.

Et Stephen Hubbard a exigé de contacter sa famille, les autorités américaines ou encore ukrainiennes, raconte le militaire. Il ne comprenait pas pourquoi les États-Unis ne parvenaient pas à « le sortir de là ».

Washington et Moscou ont procédé à de nombreux échanges de prisonniers, notamment celui qui a conduit à la libération du journaliste américain Evan Gershkovich en août.

Mais début octobre, Washington a accusé Moscou d’avoir « refusé d’accorder l’accès consulaire » à Stephen Hubbard, et a déclaré ne disposer que de « seulement des informations limitées » sur son cas.

Igor Chychko affirme avoir entendu les gardiens de prison, voyant son état, s’inquiéter du scandale que pourrait provoquer la mort d’un Américain dans une prison russe.

L’ancien prisonnier ukrainien a retrouvé sa femme et ses trois enfants, mais vit avec des séquelles psychologiques et physiques.

Aujourd’hui, il souhaite que son compagnon américain puisse rentrer chez lui et raconter lui-même son histoire.

Selon M. Chychko, M. Hubbard ne sera pas capable de « suivre » longtemps physiquement et mentalement. À ce stade, Il est déjà « entre la vie et la mort ».

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