Prévu en même temps que le premier tour, le Hellfest préfère ne pas se mouiller (et c’est regrettable)

Le grand festival de métal s’ouvre ce jeudi. Si l’on sait que le public est plutôt de gauche, la direction continue de se revendiquer « apolitique ». S’abstenir de prendre position, n’est-ce pas faire le jeu du RN ?

jeIl y a quelques jours, nous avons vu ce tweet largement partagé : « Les élections législatives tombent le même jour que le Hellfest, un coup dur pour le RN. » Ou une petite pique chez les métalleux, souvent soupçonnés de pencher politiquement aussi à droite qu’ils aiment porter les cheveux longs. C’est drôle sans doute, sauf que c’est un cliché complètement faux. En 2019, Corentin Charbonnier, docteur en anthropologie et enseignant à l’université de Tours, a réalisé une étude (1) pour connaître le profil sociologique des festivaliers du Hellfest. On a appris que ce public était composé à 65% d’hommes, d’un âge moyen de 32 ans, et qu’il s’agissait généralement de salariés (38%) ou de cadres et professions intellectuelles supérieures (32%). Et que moins de 3 % d’entre eux se réclament d’une proximité avec l’extrême droite, contre 12 % d’extrême gauche (2). En 2015, une étude similaire réalisée par Christophe Guibert et Gérôme Guibert avait déjà démontré (3) que les sympathisants de gauche étaient majoritaires (41 % du total contre 25 % des sondés se classant à droite, sachant que 34 % ne se sentent pas concernés par la politique), et que ceux qui penchaient pour le Front national ne représentaient « que » 7%, contre 19% pour le Front de gauche, le NPA, Lutte uvrière ou le Parti communiste.

Étonnamment, Ben Barbaud, le patron du Hellfest, ne semble pas avoir lu ni retenu ces études – le questionnaire administré en 2019 a pourtant été élaboré avec l’aval de la direction du festival. Il y a quelques jours, en amont de l’édition 2024 qui s’ouvre ce jeudi, il a accordé une interview au site Forbes France et dit ceci : « Nous n’avons jamais voulu nous politiser et je pense qu’il y a autant de sympathisants de l’extrême gauche que de l’extrême droite dans notre public. C’est le reflet de la société d’aujourd’hui. » Inutile donc de chercher le Hellfest (4) parmi les signataires de plateformes contre l’extrême droite, comme l’ont fait d’autres grands festivals français comme Les Vieilles Charrues, Les Eurockéennes de Belfort ou Art Rock, à Saint-Brieuc, qui via leur fédération De concert ! ont rappelé que « L’art et la culture ont toujours été politiques, remparts contre la haine, le racisme et l’obscurantisme » ; ou le Cabaret vert, à Charleville-Mézières, Marsatac, à Marseille, ou encore Les Suds, à Arles, membres du Syndicat des musiques actuelles, qui appelait « toutes les forces politiques opposées au message de haine et de rejet incarné par l’extrême droite à tout mettre en œuvre pour faire obstacle au Rassemblement national et à ses alliés ».

Le Hellfest a eu un bon aperçu des manœuvres de l’extrême droite au fil des années. On se souvient qu’en 2010, Christine Boutin, alors présidente du Parti chrétien-démocrate, avait appelé à l’interdiction d’un festival véhiculant des « La culture de la mort » et plaider « incitation à la haine ». Cette année encore, un ancien délégué départemental de la Reconquête a relayé une pétition anonyme réclamant l’annulation du Hellfest Kids (une journée gratuite destinée à mille deux cents enfants la veille de l’ouverture officielle), afin de « protéger les jeunes contre les influences néfastes ». En ces temps troublés, soyez « apolitique », Comme le prétend Ben Barbaud depuis des années, cela signifie que nous ne nous sentons pas particulièrement inquiets à l’idée d’une arrivée au pouvoir du Rassemblement national. Et c’est en soi une réponse politique.

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