Divertissement

Prévention du suicide: ce que la mort de Kurt Cobain a changé

« Je me sens stupide et contagieux », chantait Kurt Cobain avec prévoyance dans l’hymne pour adolescents « Smells Like Teen Spirit ». Il y a trente ans, le 5 avril 1994, le leader de Nirvana, icône de la jeunesse désillusionnée, mettait fin à ses jours par des coups de feu. Il fait alors la Une des journaux et le désespoir de ses fans. Mais il entraîne aussi d’autres personnes dans son sillage. C’est le cas de Simon, un garçon de 11 ans découvert pendu dans le cellier de la maison familiale à Québec. A ses pieds, un mot d’adieu : « Je me suicide pour Kurt. »

Après cette mort retentissante, dans différents endroits du monde – au Liban, en Italie et même aux États-Unis – plusieurs jeunes se sont suicidés avec une référence évidente à la star du grunge. La France n’est pas épargnée.

En 1997, trois ans après la mort de Kurt Cobain, dans Somain dans le Nord, Valentine et Aurélie se suicident de la même manière que leur idole. Les filles de 13 et 14 ans ont été retrouvées enfermées dans la même pièce, touchées à la tête, avec à leurs côtés l’arme du père de l’une d’elles.

Depuis plusieurs semaines, les jeunes filles avaient prévenu leurs amies de leur intention de « Rejoignez Kurt Cobain ». C’était devenu une obsession. « Une fascination amoureuse pour Kurt Cobain »explique le procureur de la République de Douai, Jean-Marie Descamps, le « aura été poussé, par un phénomène de mimétisme, à agir comme il l’avait fait. (…) CONTRECela devrait nous faire réfléchir.

Un nouveau Werther ?

Ce phénomène que j’ai décrit dans un livre est connu et porte un nom : c’est l’effet Werther. Avant Kurt, il y avait Marilyn Monroe ou encore Dalida…. Dernier en date, Robin Williams. Dans les cinq mois qui ont suivi la mort de l’acteur Cercle des poètes morts en août 2014, plus de 1 841 suicides supplémentaires ont été enregistrés. Tant de suicides mimétiques ?

En 1774, Johann Wolfgang von Goethe publie Les souffrances du jeune Werther, l’histoire d’un amour impossible qui se termine par un suicide. Le roman devient un best-seller et lance une mode : ses lecteurs copient les vêtements du héros, ses goûts et, déjà, sa mort. Les affaires se multiplient : des jeunes sont retrouvés morts, habillés comme le personnage principal, l’ouvrage parfois ouvert à la page fatidique. Interdit par mesure de précaution dans plusieurs pays, Les souffrances du jeune Werther acquiert alors une réputation sulfureuse.

Deux siècles plus tard, en 1974, les épidémies de suicides ont été soulignées par des sociologues, qui ont constaté que les suicides de célébrités étaient suivis d’une augmentation du taux dans la population générale et que les médias étaient les vecteurs de cette contagion.

Après le suicide de Marilyn Monroe, le 5 août 1962, les suicides ont augmenté de 12 % aux États-Unis – et jusqu’à 40 % à Los Angeles, la ville où la star américaine s’est suicidée. Appelé effet Werther, ce phénomène suscite interrogations et inquiétudes. Surtout quand une star comme Kurt Cobain se suicide au sommet de sa gloire.

En 1994, Kurt Cobain était l’icône de la « génération perdue » ou génération X. Le grunge porte en lui ce parfum de rage et de mal-être adolescent. « Smells Like Teen Spirit » est la chanson signature du groupe. Son deuxième album, Pas grave, est un succès, avec plus de 10 millions d’exemplaires vendus dans le monde. Succès réitéré avec son troisième album In uterosorti six mois avant la mort du chanteur.

Son style anti-consumériste, à contre-courant de la mode (jeans déchirés, chemises de bûcheron à carreaux), et son punk rock alternatif deviennent ironiquement très populaires. Les médias se battent pour cela ; MTV et toutes les grandes stations de radio diffusent sa musique en boucle.

L’émotion est palpable. Et les autorités sont inquiètes. Y aura-t-il une épidémie de suicides ?

Mais Kurt Cobain souffrait de dépression et de toxicomanie. De « Tourette’s » à « Lithium » en passant par « I Hate Myself and I Want to Die », les paroles du chanteur sont empreintes d’un malaise, évoquant même clairement des troubles psychiatriques. Le couple qu’il forme avec Courtney Love est en difficulté. Dans une interview, il évoque ses idées suicidaires et son goût pour les armes à feu.

Quelques semaines avant son suicide, le chanteur buvait de l’alcool et prenait des médicaments. Admis dans un centre de désintoxication, il s’enfuit au bout de deux jours. Il a finalement été retrouvé à son domicile de Seattle trois jours plus tard, après s’être suicidé d’une balle dans la tête.

Risque maximum

La médiatisation de l’événement est alors majeure. Après l’annonce de sa mort, les radios diffusaient Nirvana toute la journée, les chaînes de télévision multipliaient les reportages et les fans stupéfaits se pressaient sur le lieu de sa mort pour lui rendre hommage. L’excitation est palpable. Et les autorités sont inquiètes. Y aura-t-il une épidémie de suicides ?

Le public de Nirvana est constitué de jeunes, une catégorie plus friande d’imitation. Il s’agit souvent de fans de heavy metal, un public connu pour être plus susceptible de souffrir de dépression, de consommer des drogues et d’adopter des comportements antisociaux, destructeurs ou suicidaires.

De plus, Kurt Cobain est un « héros de la classe ouvrière », à la fois un artiste proche de son public – de par ses origines populaires – et une star internationale. Cela renforce l’identification et augmente le risque d’imitation. Médiatisation majeure pour une star suicidaire, icône de la jeunesse vulnérable : tous les éléments sont réunis pour un effet Werther maximal.

« Il vaut mieux s’épuiser que disparaître »

« Mieux vaut brûler vite que s’éteindre lentement. » La lettre d’adieu du chanteur cite ces vers de Neil Young, résumant son destin de comète du rock. Mais ces paroles venues du feu follet grunge résonneront malheureusement aussi chez de nombreux jeunes en France.

Le mois qui a suivi le suicide de Kurt Cobain, il y a eu 93 suicides supplémentaires (soit une augmentation de 9,14 %) en France. En rejoignant le club des 27 – ces musiciens décédés subitement à 27 ans – il a provoqué une hausse des suicides chez les 15-44 ans en France. On note ainsi une hausse de 23,8% pour les 15-29 ans et de 21,2% pour les 30-44 ans.

Au cours des sept semaines qui ont suivi l’annonce de la mort de Kurt Cobain, le nombre de suicides n’a pas augmenté à Seattle.

Cette forte identification à l’âge est connue : le groupe le plus touché par l’effet Werther est souvent le même que celui auquel appartient l’étoile. Cet effet n’est pas nouveau en France : il s’était déjà produit après les suicides de Soeur Sourire (1985), Dalida (1987) et Pierre Bérégovoy (1993).

Pas d’effet Werther américain

Aux Etats-Unis, l’inquiétude des autorités est donc également légitime. Cependant, au cours des sept semaines qui ont suivi l’annonce de la mort de Kurt Cobain, le nombre de suicides n’a pas augmenté à Seattle. Dans la ville d’origine du chanteur et dans celle où il est mort, on aurait pu craindre un phénomène d’imitation maximale, comme pour Marilyn Monroe. Mais seuls 24 suicides ont été enregistrés durant cette période, contre 31 l’année précédente.

Un seul cas pourrait être clairement lié au suicide du chanteur : celui d’un homme de 28 ans qui, après avoir assisté à la veillée funèbre, s’est suicidé à son domicile, d’une balle dans la tête. Le défunt présentait des facteurs d’identification et de risque suicidaire : fan de Nirvana, il possédait tous les albums du groupe et il était toxicomane, isolé, déprimé, avec des antécédents d’idées suicidaires et de suicides familiaux (son père par arme à feu).

A cette exception près, aucun autre suicide n’a été lié à celui de Kurt Cobain. Alors comment expliquer que, dans sa ville d’origine, il n’y ait pas eu plus de suicides ou d’effets d’imitation, comme on l’a observé dans d’autres parties du globe ?

Après la mort de Kurt Cobain, le risque majeur de l’effet Werther a mobilisé les autorités et les acteurs sanitaires de Seattle. Dès l’annonce du décès de la star, une « clinique de crise » a été mise en place, avec pour mission de centraliser les questions médiatiques et de mieux orienter le contenu des reportages de la presse écrite et télévisée.

L’équipe de la clinique tente alors de faire passer le message suivant : la mort de Kurt Cobain est une tragédie, comme des milliers d’autres suicides déplorés chaque année dans le pays. Elle décrit les symptômes classiques d’une crise suicidaire, en les reliant à la mort de Kurt Cobain. Un numéro d’aide d’urgence est diffusé.

Le suicide de Kurt Cobain en 1994 a donné lieu à de nombreux éléments de « postvention », c’est-à-dire de prévention de la survenance d’autres suicides après un premier suicide.

Une veillée aux chandelles très médiatisée a été organisée deux jours après la découverte du corps. 7 000 fans se précipitent alors pour rendre un dernier hommage à leur idole. C’est alors qu’un message de sa femme, Courtney Love, est diffusé : elle lit la note de suicide de son mari et exprime sa douleur et sa colère à son égard. Ensuite, les coordonnées de la ligne d’assistance sont à nouveau indiquées.

Évitez la glorification et donnez des ressources

Dans un article publié quelques années après sa mort, des spécialistes de santé publique décryptent le cas du chanteur de Nirvana. Premièrement, les médias ont couvert cette mort de manière responsable : ils ont rapporté honnêtement la vie de Kurt Cobain, en faisant la distinction entre le musicien et le toxicomane. Toute « glorification » du suicide a été évitée.

Les effets de l’utilisation de l’arme et les dommages corporels ont été largement rapportés, y compris l’analyse des dents qui a été nécessaire pour identifier le chanteur. La violence de ce décès a pu avoir un effet dissuasif.

Le témoignage de son épouse, Courtney Love, criant sa colère lors de la veillée funéraire, a eu un effet particulièrement inquiétant, mettant en lumière la souffrance de la famille. L’intervention a enlevé tout romantisme au suicide de Kurt Cobain, lui conférant au contraire le statut de gâchis terrible et tragique.

Enfin, l’existence du service d’assistance téléphonique, largement relayée par les médias, pourrait avoir contribué à limiter les tentatives de suicide. Car s’il n’y avait pas d’augmentation du nombre de suicides, le niveau de la clinique de crise exploserait. Comme lors de la période qui a suivi le suicide de Robin Williams en 2014, le nombre d’appels a presque doublé après celui de Kurt Cobain.

Cours de prévention

Quelle leçon pouvons-nous tirer du suicide du chanteur de Nirvana ? Pour les professionnels de santé qui cherchent à éviter une contagion suicidaire après le suicide d’une star, les enseignements de cette mort dramatique sont multiples : éviter la « romantisation » du suicide, mettre en avant la souffrance des proches, ne pas donner d’explication simpliste ; et surtout relayer les remèdes possibles aux personnes suicidaires qui pourraient agir à la suite de ce suicide trop médiatisé.

Le suicide de Kurt Cobain en 1994 a donné lieu à de nombreux éléments de « postvention », c’est-à-dire de prévention de la survenance d’autres suicides après un premier cas. Ces éléments seront repris par l’OMS dans ses recommandations de 1997 et diffusés par des programmes de prévention, comme le programme Papageno.

« Après la mort de Kurt Cobain, il y a eu quelques imitations »» écrivent des spécialistes de la santé publique en parlant de l’exemple américain. «Nous les déplorons, mais le suicide de Cobain a accru de manière significative et positive l’attention du public sur le suicide, les cellules de crise et les moyens de soutien disponibles. C’est peut-être la bonne nouvelle que nous pouvons tirer d’une telle tragédie.

En cas d’idées suicidaires : appeler le 31 14.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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