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Présidentielle iranienne : le grand retour du camp réformiste

Ils étaient devenues invisibles : certaines assignées à résidence, voire emprisonnées, d’autres totalement discréditées par leur absence de soutien au grand mouvement de protestation « Femme, Vie, Liberté » né de la mort de Mahsa Jina Amini en septembre 2012 pour port d’un foulard mal porté et leur refus de condamner l’effroyable répression du régime. Non sans une certaine surprise, les réformateurs viennent de faire leur grand retour sur la scène politique iranienne en remportant l’élection présidentielle organisée vendredi 5 juillet, avec quelque trois millions de voix d’avance.

Pratiquement inconnu des Iraniens, le candidat réformateur Massoud Pezeshkian, médecin de 69 ans, surnommé le « docteur » par ses partisans, député et ancien ministre de la Santé, a remporté l’élection avec 53,6% des voix, soit plus de 16 millions de voix. Son adversaire Saïd Jalili, figure un peu plus connue du camp ultraconservateur, notamment pour ses positions radicales, a obtenu 44,3% des voix, soit 13 millions de voix.

Massoud Pezeshkian, le 14 juin 2024 à Téhéran, Iran © Atta Kenare / AFP


Quelque 61 millions d’Iraniens étaient appelés aux urnes dans les 58 638 bureaux de vote du pays. Le taux de participation s’est élevé à 49,8%, en hausse significative par rapport au premier tour, marqué par un taux d’abstention élevé de plus de 60%, le plus élevé depuis quarante-cinq ans que la République islamique règne. Le scrutin avait été organisé dans la précipitation après la mort du président ultraconservateur Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère le 19 mai.

« Le chemin qui nous attend est difficile. Il ne sera facile qu’avec votre collaboration, votre empathie et votre confiance. Je vous tends la main. »déclaré candidat gagnant.

La victoire de Massoud Pezeshkian doit beaucoup à Mohammad Javad Zarif, ancien ministre des Affaires étrangères de Hassan Rohani et négociateur de l’accord nucléaire de 2015, qui a desserré l’étau des sanctions internationales. C’est lui qui a révélé au grand jour la campagne de son protégé. Ce dernier a également reçu le soutien de deux anciens présidents, le réformiste Mohammad Khatami et le « conservateur pragmatique » Hassan Rohani.

De son côté, Saïd Jalili a sans doute contribué à rallier au candidat réformateur de nombreux électeurs inquiets de ses positions très dures sur la question du voile, de sa proximité avec les pasdarans et les mandataires de l’Iran, du Hezbollah libanais aux rebelles houthis du Yémen en passant par le Hamas, et de son agenda politique résolument anti-occidental.

Ses déclarations durant la campagne, faisant référence à Gaza, où il affirmait que l’Iran ne craignait pas la guerre, ont également suscité la peur. La population se souvient aussi de ses positions radicales lorsqu’il dirigeait, entre 2007 et 2013, les négociations nucléaires et lorsqu’il s’opposait fermement à l’accord finalement conclu en 2015 entre l’Iran et les puissances mondiales, dont les États-Unis, qui imposait des restrictions à l’activité nucléaire de la République islamique en échange d’un allègement des sanctions.

Or, l’un des enjeux de ces élections était la question des sanctions qui pèsent sur l’Iran, provoquant une crise économique et financière très grave. C’est pourquoi les différents candidats en ont beaucoup parlé lors de leurs débats.

Le régime dans son ensemble est sorti vainqueur parce que l’élection d’un réformateur lui a permis de redorer son image.

Reza Moini, politologue iranien

Quand Saïd Jalili affirmait que la République islamique pouvait se passer des pays occidentaux, en fabriquant ce qu’elle ne peut pas acheter et en se tournant davantage vers la Chine, la Russie et les pays arabes, Massoud Pezeshkian défendait un point de vue opposé en prônant un Iran plus ouvert à l’Occident, notamment par un dialogue avec les Etats-Unis, pour alléger les sanctions mais aussi pour vendre son pétrole.

« Le gouvernement iranien a profité de la mort d’Ibrahim Raisi pour se réorganisersouligne le politologue iranien Reza Moini. Au final, tout le monde est gagnant dans cette élection : les réformistes bien sûr. Mais aussi le candidat extrême : il a obtenu plus de 13 millions de voix, ce qui est un score assez honorable pour une personne qui ne représente rien au niveau de l’Iran. Sans parler de ceux qui, dans l’ombre, profiteront de cette ouverture vers les pays occidentaux souhaitée par Pezeshkian : Et finalement, c’est le régime dans son ensemble qui sort vainqueur parce que l’élection d’un réformateur lui permet de redorer son image.

Le chercheur s’attend donc à « un gouvernement de compromis » avec des personnalités souhaitant sortir de la crise née de la contestation suite à la mort de Mahsa Amini.

« Ingénierie électorale »

Il n’en demeure pas moins qu’un taux d’abstention significatif est important pour le régime puisqu’il tire une partie de sa légitimité des élections.

Dans un aveu exceptionnel entre les deux tours, le guide suprême de la révolution islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, a également reconnu que certains Iraniensn’a pas accepté le pouvoir en place. « Nous les écoutons et nous savons ce qu’ils disent. Ce n’est pas comme s’ils étaient cachés et que nous ne les voyions pas. » Et il semblait préoccupé par le taux élevé d’abstention au premier tour, y compris parmi l’électorat du camp conservateur. « Il y a des raisons (à la faible participation) et les politiques et les sociologues les examineront, mais si quelqu’un pense que ceux qui n’ont pas voté sont contre l’ordre établi, il a tout simplement tort. »

C’est pourquoi, anticipant cette faible participation, le régime avait autorisé la candidature d’un réformateur, faible et peu charismatique, parmi les six candidats au poste de président.

« Concernant cette élection, on peut parler d’« ingénierie électorale »analyse l’historien Clément Therme, spécialiste de l’Iran et maître de conférences à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Le système a fabriqué une compétition électorale qui lui permet, au moins à court terme, de gérer la crise de légitimité après le mouvement « Femmes, Vie, Liberté » et de récupérer le mécontentement en créant une semi-opposition chargée de contrer une véritable opposition à la République islamique située à l’extérieur du pays.

Le même chercheur ajoute : « C’est ce qu’il avait déjà fait lors de la crise précédente, celle de 2009, quand après l’écrasement du Mouvement Vert (mouvement de protestation post-électoral né de la société civile après la réélection frauduleuse en 2019 de l’ultra-radical Mahmoud Ahmadinejad, ndlr) Le conservateur pragmatique Hassan Rohani s’était présenté et avait été élu. Cette fois, l’objectif du régime n’a pas été atteint. Car, s’il fallait retenir un chiffre, ce serait celui de la participation : moins de 50 %. La campagne de boycott a donc bien fonctionné.

Massoud Pezeshkian devra soit trahir ses promesses en restant fidèle au système (…) soit trahir sa loyauté envers le Guide suprême.

Clément Therme, historien spécialiste de l’Iran

En effet, une grande partie de la jeunesse iranienne n’a pas voté pour le « docteur » même si elle avoue avoir craint l’arrivée au pouvoir d’un ultra qui ferait office d’épouvantail, voire d’un « taliban ». Contactées à Ispahan (centre de l’Iran), deux jeunes femmes, Afsaneh et Hengameh, ont confié avoir longtemps hésité mais n’avoir pas pu se résoudre à se rendre aux urnes.

« Certainement, Massoud Pezeshkian est sorti vainqueur des élections, mais cela n’a pas mis fin aux divisions parmi les réformateurs. Déclarations de Reza MoiniCertains ne sont pas allés voter, d’autres ont appelé au boycott. Et sur certains sites de personnalités réformistes, où l’on était appelé à voter pour le « docteur », les commentaires étaient particulièrement virulents.

« L’élection de Massoud Pezeshkian risque de provoquer de nouvelles fractures, analyse Clément Therme. Il devra soit trahir ses promesses en restant fidèle au système, soit affronter les différents cercles non élus du pouvoir de la République islamique, et ainsi trahir sa loyauté au Guide suprême en rompant avec les principes de ce régime car il n’y a pas de solution compatible entre sa permanence, sa survie et la solution aux problèmes économiques du pays. »

Le rôle du président étant limité en Iran, l’élection de Massoud Pezeshkian ne changera rien aux conflits en cours, notamment ceux de Gaza ou d’Ukraine, où Téhéran est un fidèle allié de Moscou. Mais pour Reza Moini, l’enjeu de l’élection est avant tout interne : « Après le mouvement « Femmes, Vie, Liberté » et la guerre interne qui a suivi, non seulement la répression mais la purge sociétale, la mise à l’écart de tant de personnalités, même au sein des Pasdaran, cela apporte la possibilité à la société civile de se reconstruire et de refaire surface. »

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides

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