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Présidentielle américaine : l’erreur révélatrice de Kamala Harris

Est-ce le début de la fin de la lune de miel entre Kamala Harris et l’Amérique ? Le choix de Tim Walz pour la vice-présidence fait du « ticket » démocrate un duo progressiste ancré dans l’aile gauche du parti. Une aile trop radicale pour une majorité d’électeurs. Les médias ont salué ce choix, pas sûr que les Américains le suivent.


Jusque-là, tout va bien pour Kamala Harris. Elle et les démocrates ont réussi leurs coups. Les deux coups. D’abord le « coup » interne contre Joe Biden. Puis leur « coup » médiatique pour lancer la campagne de Kamala Harris, la candidate remplaçante à la présidentielle. Mais avec le choix de Tim Walz, Kamala a commis une erreur qui pourrait faire de ce choix le premier tournant de la campagne.

Pour rappel, Joe Biden n’a pas renoncé de son plein gré à briguer un second mandat. Il en était convaincu, certains diraient même « contraint ». Il a été, en quelque sorte, destitué. Son débat désastreux du 27 juin face à Donald Trump a servi de point de départ et de justification à une campagne coordonnée qui s’est achevée dimanche 21 juillet avec l’annonce de son retrait. Cette campagne a mobilisé tout l’appareil démocrate : les donateurs, comme George Clooney, porte-parole du tout Hollywood ; les anciennes éminences grises du parti dont David Axelrod, directeur de campagne d’Obama en 2008 et James Carville, son alter ego auprès de Clinton en 1992 ; les élus du Congrès dont Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants, et les membres du Congrès dont Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants. conférencier de la Chambre et Chuck Schumer comme chef des démocrates au Sénat ; avec le soutien opportun des médias, qui dénonçaient soudain haut et fort ce qu’ils ignoraient consciencieusement depuis trois ans : les carences de Joe Biden…

Mais ce n’est pas l’âge de Joe Biden ou ses capacités cognitives diminuées qui ont motivé ce coup de palais. C’est la remontée de Donald Trump dans les sondages face à l’apathie de Biden. Les démocrates ont vu se profiler une déroute électorale et ont décidé d’agir. Si Biden avait eu cinq points d’avance sur Trump dans les intentions de vote, rien de tout cela ne serait arrivé. Les démocrates lui seraient restés fidèles jusqu’au bout.

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Biden étant hors course, les démocrates s’exposaient à une bataille interne pour l’investiture. Selon la règle, les quatre mille délégués qu’il avait rassemblés derrière lui, issus des votes de quatorze millions d’électeurs exprimés tout au long des primaires d’hiver et de printemps, étaient « libérés » par son retrait. Ils pouvaient soutenir n’importe qui. À moins qu’il ne désigne lui-même son successeur et appelle ses délégués à le soutenir. Un peu comme la dernière volonté d’un mourant à laquelle personne ne s’oppose. C’est ce qu’il a fait lorsqu’il a annoncé son retrait en invitant le parti à se rallier derrière Kamala Harris, l’incarnation de la nouvelle génération. Kamala Harris étant sa vice-présidente, une certaine logique de succession a été respectée. Et cela a satisfait les partisans de la diversité puisqu’elle est à la fois femme et Noire, deux minorités « opprimées ».

Le coup a fonctionné à merveille. En vingt-quatre heures, Kamala s’est vu promettre le soutien d’un nombre suffisant de délégués pour obtenir la nomination – qui ne sera officialisée que le 19 août à Chicago, à l’ouverture de la Convention nationale démocrate. Une nouvelle campagne a alors commencé avec deux priorités. Premièrement, unifier le parti derrière Kamala Harris. Deuxièmement, « définir » Kamala aux yeux de l’électorat.

L’unification s’est faite en rassurant l’aile gauche du parti, la plus radicale, la plus frondeuse, la plus exigeante et la plus loquace. Kamala Harris a défendu dans ses premières déclarations le droit à l’avortement sans limites, pour signifier son féminisme sans réserve ; le droit à une protection santé renforcée via une extension de « l’Obama-care », le programme d’assurance maladie mis en place par Barack Obama à partir de 2010 ; le droit des seniors à une retraite et une protection sociale (un droit que personne ne conteste mais qui est menacé par la faillite des caisses de sécurité sociale) ; la nécessité de créer des « emplois verts » et de lutter contre l’inflation. Enfin, elle a confronté le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu sur la nécessité d’un cessez-le-feu à Gaza, une exigence chère à l’aile pro-palestinienne du parti.

Ensuite, il fallait « définir » Kamala. « Définir », dans le jargon politique américain, signifie planter une image brute mais durable d’une personnalité dans l’esprit des électeurs. C’est une étape cruciale dans une campagne. Un peu comme faire une première impression sur un nouvel employeur ou sur ses futurs beaux-parents. On a rarement deux occasions de le faire.

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Kamala est peut-être vice-présidente depuis 2021, mais elle est restée largement invisible ces quatre dernières années. L’Américain moyen qui ne suit pas de près l’actualité politique ne la connaît pas. Les démocrates ont eu l’occasion de la présenter sous le jour qu’ils voulaient. Ils ont choisi l’enthousiasme pour la campagne, la générosité envers les pauvres et la fermeté contre les extrémistes, notamment Trump. Ils se sont concentrés sur sa personne, pas sur ses idées. Sur son succès en général, pas sur ses réalisations particulières. Et pour cause, elles sont inexistantes.

Les républicains ont tenté de présenter aux électeurs un contre-portrait de Kamala Harris. De proposer leur propre définition du personnage. Ils ont mis l’accent sur ses penchants ultra-progressistes – sur l’immigration illégale, qu’elle veut dépénaliser ; sur l’assurance maladie, qu’elle veut nationaliser ; sur la peine de mort, qu’elle veut interdire ; sur l’avortement, qu’elle veut légaliser sur tout le territoire fédéral ; sur le cannabis, qu’elle veut légaliser ; sur la police, dont elle a voulu couper les budgets (« defund the police ») lors des émeutes de 2020…

Leur discours, fondé sur des déclarations passées et des faits documentés, n’a pas été entendu. Pas au-delà de leur propre base. C’est le problème des Républicains. Ils n’ont pas la caisse de résonance des médias grand public dont disposent les Démocrates. C’est une bataille dans laquelle ils commencent avec un handicap dont ils doivent tenir compte.

Mais c’est Kamala Harris elle-même qui, sans le vouloir, est venue à leur secours. Car elle a dû prendre une première décision cruciale : choisir un colistier. C’est-à-dire un candidat à la vice-présidence des États-Unis. Son choix s’est porté sur un certain Tim Walz, gouverneur du Minnesota. Et ce choix en dit long sur Kamala elle-même. Avec à peine deux semaines pour se départager, la liste des prétendants s’est rapidement réduite à deux personnalités, offrant à Kamala deux options radicalement différentes. D’un côté Josh Shapiro, gouverneur de Pennsylvanie. De l’autre Tim Walz.

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Josh Shapiro est le jeune (47 ans) et très populaire gouverneur démocrate de Pennsylvanie, l’un des « États clés » de l’élection présidentielle. Un État clé car le résultat est à la fois incertain et décisif. La Pennsylvanie, État industriel du Midwest, compte vingt « grands électeurs ». Lui seul pourrait faire la différence le 5 novembre. L’élection s’annonce très serrée, et celle de Trump ou Harris qui remporte cet État fera un grand pas vers la victoire. Il aurait été logique que Kamala Harris fasse de Josh Shapiro son colistier pour s’attirer les faveurs des électeurs de cet État et le mettre dans sa poche.

Or, Josh Shapiro est un démocrate plutôt centriste. Il est aussi juif et a toujours défendu avec vigueur Israël dans son conflit avec le Hamas. Le choix de Shapiro aurait déplu à l’aile pro-Hamas du parti démocrate avec le risque de voir la Convention nationale, qui débutera le 19 août, perturbée par des manifestations voire des affrontements, autour de la situation au Moyen-Orient, comme ce fut le cas en 1968 à propos d’une autre guerre, celle du Vietnam. Le spectacle de cette division aurait eu un très mauvais effet à la télévision et aurait sans doute ruiné les chances de victoire des démocrates. Kamala Harris a donc préféré ne pas prendre ce risque. Par conviction, ou par prudence, elle s’est donc inclinée devant l’aile radicale anti-israélienne du parti démocrate. Avec l’espoir qu’elle se taise, au moins le temps de son sacre à Chicago. Pas sûr que ce pari fonctionne. Son meeting public à Detroit, le 6 août, a été perturbé par une poignée de manifestants pro-Hamas.

Son choix s’est donc porté sur Tim Walz, un homme de 60 ans, gouverneur du Minnesota depuis 2018, après avoir été représentant de cet État au Congrès. Le Minnesota n’est pas un État clé. Le candidat démocrate a remporté toutes les élections présidentielles depuis 1976. En 2020, Joe Biden a battu Donald Trump de sept points, 52 % contre 45 %. Sur un plan strictement mathématique, le choix de Walz n’apporte donc rien au « ticket » démocrate. En revanche, Walz est un ultra-progressiste, soutenu par Bernie Sanders, et lui et Kamala Harris sont en parfaite unisson sur les grands sujets qui divisent aujourd’hui la société américaine : l’immigration, l’énergie, l’avortement, la santé, l’éducation, le genre, etc. En choisissant Walz, Kamala a révélé ce qu’elle pense vraiment et où elle veut emmener l’Amérique, au-delà de ses déclarations circonstancielles et du portrait flatteur travaillé à la perfection par les médias. Ceux qui se demandaient encore si elle était plutôt une « modérée » ou une « radicale » ont leur réponse. Elle est radicale, comme Walz qui prétend l’être.

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Tim Walz rejette toute restriction au droit à l’avortement, y compris en ce qui concerne l’avancement de la grossesse. En France, la limite est fixée à seize semaines ;

Il veut rendre l’enseignement universitaire entièrement gratuit, c’est-à-dire aux frais des contribuables ;

Il a introduit un programme de déjeuner gratuit dans toutes les écoles du Minnesota ;

Il a fait du Minnesota un État sanctuaire pour les adolescents transgenres. Cela signifie qu’un mineur peut se rendre au Minnesota pour subir une opération de changement de sexe, et l’État n’interférera pas avec sa décision ni ne coopérera avec d’autres États pour l’en empêcher ;

Il a également fait installer des tampons dans les toilettes des garçons des écoles publiques. Pourquoi une telle absurdité ? Pour éviter que des lycéennes transgenres – nées filles mais confondues avec des garçons – les utilisent. Il a gagné le surnom de « Tampon Tim ».

Le Minnesota de Tim Walz est un État où les détenus conservent le droit de vote. Dans de nombreux autres, ce droit leur est retiré pendant leur incarcération.

Tim Walz s’oppose à la pratique du « fracking », la fracturation hydraulique qui a fait exploser la production énergétique des États-Unis. Il prône une transition énergétique et a subventionné d’innombrables entreprises pour développer, aux frais du contribuable, l’économie verte.

Il soutient la légalisation de la marijuana à des fins « récréatives ».

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Par ailleurs, la droite américaine l’accuse de vouloir restreindre la liberté d’expression et d’avoir, pendant le Covid, ouvert un « numéro vert », une ligne téléphonique gratuite, invitant ses concitoyens à dénoncer leurs voisins s’ils venaient à violer le confinement. Ron De Santis, le gouverneur républicain de Floride, a parlé de « snitch line », une « ligne des mouchards ».

Les grands médias ont salué le choix de Kamala Harris, au prétexte que Tim Walz serait un « homme populaire », preuve que même les démocrates sont conscients de la vague populiste qui déferle sur l’Amérique. De leur côté, les républicains se sont plutôt rassurés. Ils savent désormais à qui ils ont affaire. A eux de faire comprendre aux Américains les implications du ticket Harris-Walz sur la société, l’identité et l’avenir des Etats-Unis.

Cet article a été initialement publié, dans une version plus longue, sur le blog de Gérald Olivier.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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