Une étude de Seita révèle l’ampleur du phénomène. L’opération Colbert II a permis des saisies « historiques », mais les chiffres sont loin de calmer la colère des professionnels.
Ce sont des chiffres fumeux. Au printemps 2023, à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, Santé publique France révélait que la consommation de tabac en France restait à un niveau important, après la baisse observée entre 2016 et 2019, avec plus de trois personnes âgées de 18 à 75 ans sur dix. déclarant fumer régulièrement (31,8%) et un quart quotidiennement (24,5%). L’Occitanie est l’une des deux régions, avec la Paca, où la prévalence du tabagisme quotidien est plus élevée que dans le reste de la France, avec 28,5 % de fumeurs. Paradoxalement, les ventes de cigarettes ont continué de s’éroder en 2023, avec une baisse de plus de 8 % par rapport à 2022. Moins de 1,5 milliard de paquets ont été vendus l’an dernier dans les bureaux de tabac. C’est donc que pour lutter contre la hausse constante du prix des cigarettes (11,50 € en moyenne depuis les deux hausses successives de janvier et mars 2024), les Français trouvent d’autres canaux de « distribution ».
Contrefaçon, contrebande, commerce transfrontalier…
Une étude de la Seita, révélée le 3 avril, le confirme. Le poids des cigarettes consommées en France ne provenant pas du réseau buraliste était de 39,8 % au quatrième trimestre 2023, un chiffre qui s’établissait, en Occitanie, à 36,9 %. UN « marché parallèle »selon le deuxième acteur du tabac en France, organisé autour « contrefaçon, contrebande, commerce hors taxes et transfrontalier ». Dans le détail, la part des achats hors taxes et transfrontaliers s’élève à 36% à Nîmes, 31% à Montpellier, 30% à Béziers et Montauban. La part de la contrefaçon s’élève à 20 % à Narbonne, 16,7 % à Perpignan, 15 % à Béziers et 11 % à Toulouse.
« La région Occitanie est un excellent exemple de l’ampleur du phénomène qu’est le marché parallèle en France. Ces chiffres démontrent que le trafic de tabac corrompt nos territoires. Cette fraude fiscale coûte à l’Etat 5 milliards d’euros chaque année selon le ministre de la Santé. « analyse Hervé Nataly, responsable des relations territoriales du Seita.
Contrôles routiers, saisies dans les commerces
L’actualité illustre régulièrement ces phénomènes. Le 26 février, un Perpignanais a été condamné à 6 mois de prison ferme pour trafic de cigarettes de contrebande ; cinq jours plus tôt, il avait été surpris en train de passer d’une voiture à l’autre de gros sacs contenant quelque 300 cartouches de contrebande. Le lendemain, sur une route entre Le Perthus et Perpignan, un automobiliste a tenté de faire demi-tour devant les douaniers : son véhicule cachait 194 kilos de tabac à narguilé et 150 cartouches de cigarettes (pour une valeur de près de 75 000 €), « destiné à approvisionner le marché parallèle des épiceries de nuit de Perpignan », ont communiqué les responsables des douanes. Mieux, dans la nuit du 26 au 27 mars, un camion lituanien censé transporter du textile roulait avec 1 040 cartons, contenant 52 000 cartouches, soit 10,4 millions de cigarettes. Enfin, le 22 mars, des policiers et des douaniers de Montpellier ont saisi 11 kg de tabac dans une épicerie du quartier de Celleneuve, ainsi qu’une vingtaine de kilos dans un véhicule infirmier stationné à proximité ; le commerce a rouvert le même jour après plusieurs mois de fermeture administrative.
« Le financement du crime organisé »
Cette dernière action de contrôle a été organisée dans le cadre de l’opération Colbert II. Durant une semaine, 10 122 douaniers, policiers et gendarmes ont été mobilisés partout en France dans le cadre du plan national de lutte contre le trafic de tabac. « 29 960 contrôles ont permis l’identification de 2 351 infractions et la saisie de 27 tonnes de tabac, l’équivalent de 33 millions de cigarettes. 108 personnes ont été interpellées et 52 dossiers de fermeture administrative ont été ouverts. Ce sont des personnages historiques. a annoncé le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave. Dans la région, les douaniers du département de Montpellier ont saisi 243 kilos de tabac (104 kilos dans des épiceries de nuit ou des bars à chicha, 139 kilos lors de contrôles routiers), ce qui a donné lieu à l’interpellation de cinq personnes et à sept fermetures administratives. « Lorsque nous achetons un paquet de contrebande, comme lorsque nous achetons de la drogue, nous ne finançons pas seulement le petit trafiquant du coin, nous finançons aussi et surtout le crime organisé et le crime organisé. » a réagi le ministre Thomas Cazenave, déplorant « moins de recettes fiscales » Et « le mal fait à nos 23 000 buralistes qui respectent la loi ».
Nouvelle réglementation
Pour autant, le ministre n’a pas eu un franc succès auprès des buralistes. Depuis le 1er avril, pour se conformer à la législation européenne, la France a supprimé la limite de 200 cigarettes, soit une cartouche, qu’un fumeur était autorisé à rapporter d’un autre pays de l’Union européenne. « Ce ne sont même pas les trafiquants dans la rue qui vont nous faire du mal. C’est ton propre voisin, celui qui va chercher quatre cartouches et qui en vend deux à son voisin ou à ses amis », grogne Frédéric Pailhe, membre de la confédération des buralistes d’Occitanie. L’inquiétude est d’autant plus grande que, dans le cadre du nouveau programme antitabac, le prix du paquet de cigarettes passera à 13 euros en 2027, avec un palier à 12 euros à partir de 2025.
Importer du tabac de l’étranger : ce que dit la nouvelle règle
C’est pour se conformer au droit européen que la France a édicté de nouvelles règles concernant le nombre de cigarettes pouvant être rapportées d’un autre pays de l’Union européenne. Plus de limite à 200 cigarettes, soit une cartouche.
A la suite d’une saisine d’un particulier, le Conseil d’Etat a demandé au gouvernement soit de fixer des seuils conformes à la réglementation européenne (soit 800 cigarettes, 400 cigarillos, 200 cigares et 1 kg de tabac), soit de s’abstenir de fixer des seuils. La France a opté pour la deuxième option, laissant aux services des douanes le soin de déterminer si la quantité de tabac transportée est destinée à la consommation personnelle ou au trafic. « Ils ont désormais la possibilité de s’appuyer sur un ensemble de preuves pour saisir et sanctionner ceux pour lesquels il existe une présomption de commerce et donc de commerce illégal », a indiqué le ministre délégué chargé des Comptes publics Thomas Cazenave. La mesure laisse les professionnels sceptiques.
Pour rappel, le prix moyen d’un paquet de cigarettes est de 5,50 € en Espagne, soit 55 € la cartouche, contre 110 € en France. C’est encore moins cher en Andorre (40 €)… mais la nouvelle règle ne concerne que les pays de l’Union européenne.