Premier rapport annuel de la Commission Pontificale pour la Protection des Mineurs
Demandé par le pape François en 2022, ce rapport constitue une première évaluation de la nature et de l’efficacité des politiques et procédures de protection mises en place dans l’Église sur différents continents. Il propose également des recommandations pour une amélioration continue de la lutte contre la pédocriminalité.
Olivier Bonnel – Cité du Vatican
Dix ans après sa création, la Commission Pontificale pour la Protection des Mineurs se trouve à un tournant de son existence. En avril 2022, dans un discours devant l’assemblée plénière de la Commission, le pape avait exprimé son désir que celle-ci puisse lui rendre compte chaque année des processus mis en place dans l’Église pour mieux protéger les mineurs. François avait souligné les mots de «transparence » et « responsabilité» et espérait que ce rapport pourrait être «un audit clair» les progrès réalisés.
Ce rapport est donc une première étape, une «projet pilote», comme l’ont présenté les membres de la Commission, diagnostiquant ce qui a été mis en place dans certaines Églises locales, pour mieux faire face au fléau des agressions sexuelles sur mineurs dans l’Église. C’est le fruit du travail des membres de la Commission auprès des Églises locales, mais aussi du témoignage de nombreuses survivantes d’agressions sexuelles.
D’une cinquantaine de pages, le document est divisé en quatre parties : la première est intitulée L’Église locale a souligné. Elle s’appuie sur ce que les évêques ont rapporté lors de leurs visites ad limina à Rome, mais aussi sur des enquêtes de terrain. Cette rubrique recense les démarches mises en œuvre dans une quinzaine de pays ainsi que par deux congrégations religieuses (les sœurs missionnaires de la Consolata et la Congrégation des Spiritains).
La deuxième partie, intitulée La mission de sauvegarde de l’Église dans les régions continentales, est le fruit du travail des groupes régionaux de la commission et concerne un niveau plus régional. La troisième concerne Les politiques et procédures mises en place au sein de la Curie romaine au service des Églises locales et enfin la dernière partie se concentre sur Le ministère de sauvegarde de l’Église au sein de la société.
Un déséquilibre des situations
Dans ce rapport, la Commission Pontificale partage plusieurs constats qui sont des points importants pour comprendre son travail. Sans surprise, le premier constat est une grande disparité dans les outils mis en place au niveau local dans la lutte contre la pédocriminalité. « Pour certaines Églises, le problème des abus est reconnu et médiatisé depuis plus d’une génération, pour d’autres, le problème n’est pas encore devenu un problème public au sein de la société. reconnaît la Commission.
Les mesures prises par 17 conférences épiscopales sont ainsi scrutées, dont de nombreux pays africains (RDC, Tanzanie, Cameroun, Rwanda, Zimbabwe, Ghana…), mais aussi la Conférence épiscopale de Belgique et du Mexique. Ils font également l’objet de recommandations pour approfondir leurs travaux.
«Parfois, la Commission a constaté un manque troublant de structures de communication et de services de soutien aux victimes/survivants, comme l’exige le Motu Proprio Vos estis lux mundi.» lit-on dans le rapport.
Expression de ces disparités, les recommandations de la Commission : là où il est conseillé par exemple à l’Église de Belgique de développer la culture de sauvegarde dans la pastorale des jeunes, le constat n’est pas du tout le même par exemple pour la République Démocratique du Congo où les experts de la Commission Pontificale regrette « une stigmatisation sociétale plus large autour de la sauvegarde en tant qu’idéologie occidentale imposée qui ne répond pas aux défis africains. »
Une œuvre de « vérité »
Un tel travail de transparence est au service de la vérité, rappelle également la Commission. Une vérité qui libère comme l’enseigne l’Évangile. « Protéger les enfants contre les abus n’est pas une distraction du travail évangélisateur de l’Église, mais plutôt une expression de celui-ci. » explique encore la Commission Pontificale.
Cette exigence s’applique également aux structures de la Curie romaine. Parmi ses objectifs, le rapport note ainsi «la nécessité de consolider et de clarifier les compétences détenues par les dicastères de la Curie romaine, afin d’assurer une gestion efficace, opportune et rigoureuse des cas d’abus soumis au Saint-Siège.
Sur la base des témoignages reçus, la Commission note sévèrement «une préoccupation persistante concernant la transparence des procédures et processus juridiques de la Curie romaine. Cela ne peut qu’amplifier, note-t-elle, «méfiance parmi les fidèles, en particulier parmi la communauté des victimes/survivants« .
Des étapes positives pour l’avenir
Dans une rubrique très détaillée et riche en infographies, le rapport revient ensuite sur le «culture de sauvegarde » sur tous les continents. Dans la rubrique Amériques, Parmi les points positifs, on note un travail de longue haleine, puisque les premiers outils mis en place en matière de sauvegarde remontent à 1987 pour le Canada puis 1992 pour les États-Unis. Le rôle important des laïcs et particulièrement des femmes dans le travail est également souligné. Les points encore à améliorer concernent le déséquilibre entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud dans la prise de conscience du fléau des maltraitances ou le défi de certaines sociétés hyperviolentes, où les enfants sont particulièrement vulnérables, dans les pays d’Amérique centrale. notamment.
La section Afrique salue la collaboration de plusieurs conférences épiscopales locales avec la Commission pontificale, comme celle des pays d’Afrique de l’Est (AMACEA) ou de l’Océan Indien (CEDOI) et l’effort de certaines congrégations religieuses du continent pour mettre en œuvre des formations dans le protection des mineurs. Mais de nombreux points noirs sont répertoriés, qui sont autant d’obstacles au travail de transparence : manque de données chiffrées, carences dans le suivi des cas d’abus et plus généralement le fait que la culture de sauvegarde reste encore fragile. « un nouveau concept dans la région ».
Concernant l’Europe, les efforts des Églises locales sont salués pour leur collaboration avec les autorités civiles ou la mise en place par certaines conférences épiscopales de structures de réparation pour les victimes de pédocriminalité. D’autre part, les conséquences de la crise des abus sur le ministère de nombreux supérieurs religieux, hommes et femmes, sont soulignées. Ils doivent accompagner personnellement les victimes tout en vivant parfois dans la même communauté qu’un des prédateurs. Parmi les points faibles également identifiés sur le continent européen figure également la grande frustration des victimes face à l’opacité des règles canoniques avec lesquelles leur cas a été traité.
Enfin pour la région Asie-Océanie, si les efforts sont salués dans la mise en place de structures de sensibilisation aux agressions sexuelles sur mineurs (comme le centre Joseph de Bombay, inauguré en 2021), les défis restent de taille : des cas d’entraves aux hiérarchies traditionnelles structures, culture patriarcale, corruption ou peur des représailles.
Le travail de Caritas Internationalis et de plusieurs Caritas régionales (Océanie, Chili, Nairobi) est également examiné dans ce rapport. À cet égard, la Commission note les progrès réalisés par ces organisations ces dernières années en termes de prévention des abus, mais s’inquiète d’un « des variations considérables dans les pratiques de sauvegarde entre les différentes entités Caritas. »
Une démarche de « conversion »
Ce rapport se veut le début d’un processus : celui d’une conversion toujours plus grande de l’Église à la culture de prévention des abus. Une conversion qui, pour ses auteurs, passe nécessairement par quatre axes majeurs : la vérité, la justice, les réparations et les garanties de non-répétition de ces crimes.
Sur la base de ce rapport pilote, la Commission pontificale pour la protection des mineurs souhaite entendre entre 15 et 20 conférences épiscopales chaque année. Avec la même ambition : « promouvoir la professionnalisation de la sauvegarde au sein de l’Église« .