Pouvoir d’achat, immobilier, croissance… Les conséquences de l’inflation sur l’économie
L’épisode inflationniste qui a frappé le monde occidental à partir de 2020 après quarante ans de prix stables semble désormais appartenir au passé. Les unes après les autres, les banques centrales confirment cette nouvelle donne en abaissant les taux d’intérêt qu’elles avaient augmentés pour lutter contre la hausse des prix.
Après la BCE, qui a réduit ses taux pour la deuxième fois cette année jeudi 12 septembre, la Réserve fédérale américaine (Fed) devrait annoncer mercredi 18 septembre sa première baisse de taux depuis mars 2020. Mais l’inflation a laissé des traces sur l’économie. Quelles sont-elles ?
► Les prix vont-ils revenir à leur niveau de 2021 ?
La valse des étiquettes dans les rayons des supermarchés depuis trois ans a laissé des traces. Les produits alimentaires ont vu leurs prix s’envoler et pèsent sur le budget des ménages. Depuis l’automne 2021, la hausse cumulée a grimpé à plus de 21 %, ce qui a durement touché les consommateurs, notamment ceux aux revenus les plus modestes.
Le pire semble passé. L’inflation globale est passée pour la première fois en France en août sous la barre des 2% en rythme annuel, les prix des denrées alimentaires s’étant calmés à 1,7%. Les premières baisses de prix étaient apparues dans les rayons à la fin de l’année dernière. Mais il n’y a pas eu de baisse. « En moyenne, les prix ne baissent que de 1 % » selon Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution.
A ce rythme, les trois années d’inflation ne sont pas près d’être rattrapées. En tout état de cause, il ne faut pas s’attendre à un retour aux prix d’avant la crise. « Ils évoluent en fonction des coûts des matières premières et de l’énergie, deux facteurs incertains, et du coût de la main d’oeuvre. Or, ce dernier est toujours orienté à la hausse, ce qui alimente l’inflation », Olivier Dauvers analyse.
La tendance reste toutefois à la baisse et les prix devraient encore baisser dans les mois à venir. Un écart entre les chiffres officiels et le sentiment des consommateurs reste probable. Si les trois quarts des produits sont devenus moins chers ces derniers mois, ce n’est généralement que de quelques centimes. « Les prix baissent mais malheureusement, cela ne se reflète pas encore suffisamment dans le coût total d’un chariot »a reconnu fin août le patron de Système U, Dominique Schelcher.
Côté énergie, les factures ont été marquées par l’épisode d’inflation, même si les Français ont été en partie protégés par le « bouclier tarifaire » mis en place par le gouvernement. Le prix du gaz est toujours deux fois plus élevé qu’avant l’invasion russe de l’Ukraine.
Du côté de l’électricité, en revanche, le repli est sensible sur les marchés de gros, avec un retour au niveau de février 2022, ce qui profite aux entreprises. Les ménages devront attendre février 2025 pour bénéficier d’une baisse d’environ 10%. Les carburants et le fioul domestique ont retrouvé leur niveau de décembre 2021.
► Le pouvoir d’achat des Français a-t-il diminué ?
Malgré l’épisode inflationniste, le budget des ménages ne s’est pas effondré. Le revenu disponible par unité de consommation (DIPU), l’indicateur qui mesure le mieux le pouvoir d’achat, s’est maintenu en moyenne : la baisse de 0,4 % en 2022 a été en partie compensée par une hausse de 0,3 % l’an dernier.
Mais cette évolution cache de nombreuses disparités. Les seuls véritables bénéficiaires se situent en haut et en bas de l’échelle des revenus. D’un côté, les 20 % les plus riches ont vu leurs revenus patrimoniaux croître fortement ; de l’autre, les 10 % les plus pauvres ont bénéficié de la hausse des prestations sociales.
Entre ces deux extrêmes se trouvent 70 % des Français, qui paient le prix fort de l’inflation. Leur revenu disponible a diminué de 0,3 à 0,7 %. Cela se voit dans la baisse des salaires réels, les revenus du travail corrigés de l’inflation : entre juin 2021 et fin 2023, le salaire mensuel de base (SMB) a augmenté de 8,9 % en moyenne, tandis que les prix à la consommation ont augmenté de 11,3 % – seuls les salariés au Smic ont échappé à cette évolution, car leur salaire est indexé sur les prix.
Depuis le début de l’année, le rattrapage est toutefois en cours, les salaires augmentant plus vite que les prix. Deloitte note qu’au premier semestre, les salaires ont augmenté de 3,5%, alors que l’inflation devrait se limiter à 2,5% en moyenne sur l’année.
« Sauf nouveau choc extérieur, le retard sera rattrapé en six mois à un an.déclare Stéphanie Villers, économiste chez PwC. Cependant, compte tenu de la faible croissance, il ne faut pas s’attendre à des augmentations spectaculaires. » Restaurer le pouvoir d’achat de tous les Français prendra du temps. L’Insee prévoit une hausse du revenu disponible brut par unité de consommation de 0,9% en 2024.
► La croissance peut-elle reprendre ?
L’épisode inflationniste que viennent de vivre la France et ses voisins européens peut-il, indirectement, relancer la croissance française, jugée particulièrement atone ces dernières années, autour de 1% ? Après la hausse des taux d’intérêt opérée depuis l’été 2022 par la Banque centrale européenne pour freiner la valse des étiquettes, une deuxième baisse est survenue la semaine dernière et d’autres sont prévues.
« Cela va alléger un peu les contraintes sur l’immobilier, car les ménages pourront emprunter plus facilement, tout comme les entreprises », souligne Alexandre Baradez, du courtier IG France. Selon lui, « L’effet olympique se poursuivra sur le tourisme ici l’année prochaine », a déclaré M. ce qui lui permet de projeter « une reprise de l’activité en France dans les prochains mois », « mais elle restera timide », La Banque de France a annoncé mardi 17 septembre qu’elle prévoyait une croissance de 1,1% en 2024 et de 1,2% en 2025.
Ces quelques signes d’optimisme vont devoir faire face à de violents vents contraires, ajoute Bruno de Moura Fernandes, responsable de la recherche macroéconomique chez l’assureur-crédit Coface : « La croissance française se maintient depuis le début de l’année, mais principalement grâce aux dépenses publiques, alors que la consommation des ménages et l’investissement des entreprises stagnent. »
Le dérapage des comptes publics conduira le prochain gouvernement à des coupes budgétaires, prédisent les économistes, et peut-être à des augmentations d’impôts. « Nous prévoyons une récession en France, explique Grégoire Kounowski, chez Norman K. L’incertitude politique créée par la dissolution a en effet conduit les entreprises à geler leurs investissements et les ménages à épargner à un niveau record. Sans oublier « la très mauvaise santé des économies allemande et chinoise, et les fortes tensions commerciales et géopolitiques ».
Nous devons également prendre en compte des facteurs plus structurels qui freinent notre potentiel de croissance : la baisse du taux de natalité et la baisse structurelle de la productivité. « Sans augmentation de la productivité, il n’y a pas de croissance solide, notent les économistes de la banque Pictet. C’est vraiment ce qui pose problème à notre modèle social. »
► La baisse des taux va-t-elle affecter l’immobilier ?
La deuxième baisse de l’année des taux d’intérêt de la BCE, jeudi 12 septembre, après la forte hausse liée à la crise inflationniste, apporte un peu d’éclairage sur le paysage immobilier, même si les banques ont déjà anticipé le mouvement depuis le début de l’année.
Pour un prêt sur vingt ans, le taux moyen s’échangeait autour de 3,60 % en août, contre 4,30 % fin 2023 et 4,45 % il y a un an. Selon les courtiers, la baisse devrait s’accentuer d’ici la fin de l’année, avec des taux de 3 à 3,30 % sur vingt ans. Dès l’année prochaine, ceux qui empruntaient à 4 % pourraient même commencer à renégocier leur crédit.
Les professionnels de l’immobilier restent néanmoins prudents, même si, selon les notaires, le marché a probablement atteint un point bas cet été, après deux années de baisse. Guillaume Martinaud, le président d’Orpi, préfère parler de« un ralentissement de la baisse des volumes de contrats de vente« , en baisse de 8% sur un an, dans son réseau.
Mais la baisse des taux, qui redonne du pouvoir d’achat aux acquéreurs, pourrait aussi inciter les vendeurs à stopper la baisse des prix, voire à revoir à la hausse leurs anticipations financières. Fin août, les prix de l’immobilier ancien étaient en baisse de 4,8% en moyenne sur un an en France, et de 8,1% en Île-de-France, selon l’indice des notaires.
Le marché est de toute façon incapable de répondre à une hausse de la demande, compte tenu du marasme observé dans la construction neuve, estime Loïc Cantin, le président de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), dont les ventes ont plongé de 40% sur un an.
D’où l’urgence pour le prochain gouvernement de mettre en place un plan de logement. « Il y a une unanimité parmi les partis politiques et les Français sur le sujet », veut croire Olivier Salleron, le président de la Fédération française du bâtiment (FFB). Il prône notamment la création d’un prêt à taux zéro (PTZ) ou d’un prêt à taux réduit, « partout et pour tous », et la prolongation du dispositif Pinel, pour l’investissement locatif dans l’immobilier neuf, qui doit prendre fin fin décembre.
► Les finances publiques vont-elles continuer à déraper ?
A première vue, l’inflation ne serait pas une mauvaise chose pour les finances publiques. La hausse des prix signifie une hausse des recettes de TVA. Et la hausse des salaires signifie une hausse des cotisations sociales et un meilleur impôt sur le revenu. De plus, en gonflant le produit intérieur brut (PIB), l’inflation fait mécaniquement baisser le ratio dette/PIB : c’est ce qu’a connu la France, passant de 117,7 % au premier trimestre 2021 à 111,8 % au quatrième trimestre 2022.
« Ces deux arguments ne sont pas faux, mais ils passent à côté de points importants », Cependant, une note de la Direction générale du Trésor prévenait en juillet 2022.
Car l’inflation entraîne aussi une revalorisation des retraites, des allocations familiales ou de logement et du RSA, indexées sur les prix. « Chaque point d’inflation supplémentaire augmente automatiquement ces dépenses sociales de près de 5 milliards d’euros », a noté le Trésor.
Mais ce sont surtout les dépenses exceptionnelles destinées notamment à compenser l’inflation énergétique qui ont joué. Selon la Cour des comptes, boucliers, contrôles et compensations auront coûté à l’État 72 milliards d’euros supplémentaires. Certes, les recettes fiscales supplémentaires ont amorti les dépenses de moitié, le reste, 36 milliards, a creusé le déficit. Et donc la dette…
Mais à long terme, la dette n’aime pas non plus l’inflation. « Un dixième de la dette » est à taux variable, « indexé sur l’inflation, de sorte que chaque point d’inflation supplémentaire entraîne une augmentation immédiate du taux apparent d’environ 0,1 point »estime le Trésor. Cela représente 2,5 milliards de plus.
Entre la hausse des taux et les nouvelles dépenses, le poids de la dette est ainsi passé de 37 milliards en 2021 à 50 milliards en 2022, et devrait atteindre plus de 72 milliards en 2027… « Une telle augmentation ne pose pas de problème si le PIB nominal augmente dans les mêmes proportions »Le Trésor le reconnaît. Sauf que la croissance n’est pas au rendez-vous.
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Une période inflationniste sans précédent depuis 1985
En août 2024, l’inflation est passée sous la barre symbolique des 2% pour la première fois depuis août 2021. Pour rappel, l’inflation, en moyenne sur un an, a atteint +4,9% en 2023 et +5,2% en 2022.
Ces moyennes cachent d’importantes disparités. Ainsi, en 2022, les prix de l’énergie ont augmenté de 23% par rapport à 2021, et les prix des denrées alimentaires de 7%.
Une telle poussée inflationniste n’avait pas été observée depuis 1985. De 2002 à 2021, l’inflation n’a dépassé le seuil de 2,0 %, en moyenne sur l’année, qu’à quatre reprises (2003, 2004, 2008 et 2011).
Pour freiner l’inflation, la Banque centrale européenne, La Fed, dont la mission est d’assurer la stabilité des prix, avait relevé ses taux à dix reprises entre juillet 2022 et septembre 2023, faisant passer son taux de dépôt de -0,5 à 4%. L’institution avait engagé une première baisse en juin dernier. Son homologue américaine, la FED, qui avait fait de même, devrait annoncer une première baisse ce jeudi 18 septembre.
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