Pourquoi trois pompiers sont jugés pour « agression sexuelle » sur la collégienne et non pour « viol »
C’est un procès hors norme qui se tiendra ce mardi et mercredi devant le tribunal correctionnel de Versailles : celui de trois anciens pompiers accusés d’avoir eu des relations sexuelles avec « Julie » – un prénom avec une empreinte – alors qu’elle avait entre 13 et 15 ans. ans. D’abord mis en examen pour « viol » et « agression sexuelle » sur mineure, ces derniers ont finalement été jugés pour « agressions sexuelles aggravées » : selon les magistrats, l’absence de consentement de la victime n’est pas établie car elle a accepté certains actes sexuels ou relations initiées. Une décision ratifiée en 2021 par la plus haute juridiction française, la Cour de cassation.
Pour comprendre cette affaire, il faut remonter jusqu’en août 2010. Julie, alors âgée de 15 ans, s’est présentée au commissariat de Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne, pour porter plainte contre trois pompiers âgés de 20 ans. et 21. Elle accuse Pierre C. et Julien C. de viol collectif, et Jérôme F. d’agression sexuelle. Les faits dénoncés remontent à l’année précédente. A cette époque, l’écolière souffrait énormément. Elle a fait plusieurs tentatives de suicide et suit un traitement médicamenteux lourd à base d’antidépresseurs, d’anxiolytiques et de neuroleptiques. Pierre C. le sait : sa brigade est intervenue 130 fois entre 2008 et 2010 au domicile de la jeune fille pour des crises de spasmophilie et de tétanie.
La question du consentement
Julie reconnaît être sortie avec lui pendant plusieurs mois en 2009 mais affirme qu’il a amené deux de ses collègues à avoir des relations sexuelles sans son consentement. Pierre C. jure qu’il les a invités à sa demande. Au cours de leurs investigations, les enquêteurs ont découvert qu’entre 2009 et 2010, une vingtaine de pompiers âgés de 15 à 26 ans ont eu des relations sexuelles avec l’adolescente. Dans les buissons d’un parc. Sur le capot d’une voiture. Vers le parking de l’hôpital psychiatrique pour enfants où elle a été admise. Son numéro circule de caserne en caserne, elle est surnommée « coche », le diminutif de « cochon ».
Les confrontations avec les pompiers se transforment en parole contre parole. Beaucoup admettent avoir eu des relations sexuelles mais affirment que c’est l’adolescent qui les a contactés ; le signe, selon eux, de son consentement. Elle nie de son côté fermement les faits, assure qu’elle n’était pas « en mesure de donner son consentement » et que cela « était perceptible ». Les pompiers affirment également ne pas connaître son âge. L’enquête a cependant montré que trois d’entre eux étaient intervenus au domicile de Julie et savaient donc qu’elle était mineure.
Développement législatif
« Comment peut-on vraiment penser qu’une jeune fille de 13-14 ans ait pu consentir face à des hommes plus âgés et, qui plus est, investie d’une mission de service public ? », s’indigne Me Emmanuel Daoud, l’avocat de Julie, aujourd’hui âgée de 29 ans. Après plusieurs tentatives de suicide, la jeune fille est désormais handicapée à 80 %.
Depuis avril 2021, la loi considère qu’un mineur de moins de 15 ans ne peut consentir à avoir des relations sexuelles avec un adulte. Mais le texte n’est pas rétroactif, les pompiers sont donc jugés selon l’ancien système législatif. «La question du consentement a déjà été tranchée par la justice», précise Daphné Pugliesi, l’avocate de Pierre C. Mon client tient à s’expliquer, mais aussi à exprimer ses regrets. Il est conscient aujourd’hui qu’il aurait dû remettre en question son âge mais il avait des sentiments pour elle, ils sont restés ensemble huit mois. Dans ce cas, le profil particulier de la partie civile doit également être pris en compte. »
Une expertise psychiatrique controversée
En 2013, une expertise psychiatrique la décrit comme « borderline », avec une « tendance à la confabulation ». Le médecin reconnaît que la jeune femme présente les signes d’une victime d’agression sexuelle mais considère que ceux-ci sont « antérieurs aux événements ». Surtout, selon lui, Julie pourrait être amenée à mélanger « fantasmes et réalité ». Les proches de la jeune fille, dénonçant une expertise incriminante, ont demandé une contre-expertise, ce que le juge a refusé.
L’enquête a montré que la jeune fille s’était envoyée à plusieurs reprises des SMS malveillants. En 2017, elle a également porté plainte contre deux individus pour un viol dans le bois de Vincennes. Puis l’année suivante pour un viol avec enlèvement sur un parking. Deux cas pour lesquels les investigations ont montré qu’il s’agissait de fabrications. C’est au vu de ces éléments que la justice, après dix ans d’enquête, a rejeté la qualification de viol au profit d’une agression sexuelle en réunion, un délit passible de dix ans d’emprisonnement.
Les enquêtes sont toujours en cours
Même si l’affaire remonte à une quinzaine d’années, elle fait justement partie du débat qui agite aujourd’hui la société sur le consentement. La vulnérabilité de la victime, induite notamment par son jeune âge, son état psychologique et ses lourds traitements médicamenteux pourraient remettre en cause son discernement. Et ce même si elle était à l’initiative. « Je pense que si l’enquête avait été menée aujourd’hui, l’issue aurait été complètement différente », a déclaré son avocat, Me Emmanuel Daoud. Il y a une vraie prise de conscience sur la question du consentement, du contrôle. »
Mais quelle que soit l’issue de ce procès, l’affaire n’est pas terminée. Julie a déposé une plainte avec constitution de partie civile – qui entraîne automatiquement l’ouverture d’une enquête – contre les dix pompiers entendus comme simples témoins lors de l’enquête. Les enquêtes sont toujours en cours.