Pourquoi l’ouverture à la gauche apparaît-elle comme une mission impossible pour Michel Barnier ?
Le nouveau Premier ministre tente de débaucher des personnalités de gauche. Mais la tâche s’avère difficile et le coût politique trop élevé pour ceux qui pourraient être tentés.
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La perle rare n’a pas encore été trouvée. L’ancien ministre Stéphane Le Foll, le député socialiste Philippe Brun, la maire d’Avignon Cécile Helle… Ces personnalités politiques ont en commun d’être de gauche et d’avoir refusé ces dernières semaines de rejoindre le gouvernement de Michel Barnier. Pourtant, le nouveau Premier ministre s’était dit ouvert le 6 septembre sur TF1, pour accueillir du monde dans son équipe « de bonne volonté » et peut-être « les gens de gauche »Treize jours plus tard, sur fond de tensions entre Les Républicains et le camp macroniste, Matignon n’a toujours pas présenté son équipe gouvernementale et la recherche de personnalités de gauche s’avère complexe.
Depuis près de deux semaines, la liste de ceux qui ont dit « non » ne cesse de s’allonger. C’est notamment le cas du maire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Karim Bouamrane, mais aussi de celui de Romainville, François Dechy, selon les informations de franceinfo. Jeudi, le nom de l’ancien député socialiste Didier Migaud a été cité par des sources parlementaires à France Télévisions pour un poste à la Justice. L’intéressé n’a pas réagi, mais le nombre de refus montre la difficulté pour Michel Barnier, issu des Républicains, de s’ouvrir à la gauche.
« Le macronisme a épuisé tous les opportunistes, de gauche comme de droite, depuis sept ans »tacle le député écologiste Benjamin Lucas, alors qu’Emmanuel Macron avait séduit de nombreux socialistes en 2017, à l’instar de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal ou de l’ancien ministre de la Santé Olivier Véran.
Ces refus relèvent avant tout d’un calcul politique de la part de potentiels ministres. Le futur gouvernement Barnier, largement minoritaire à l’Assemblée nationale, pourrait avoir une vie très courte si une motion de censure était votée par le Nouveau Front populaire (NFP) et le Rassemblement national (RN). « En termes d’avenir politique, quel est l’intérêt pour quelqu’un de rejoindre un gouvernement qui ne dure qu’un mois ?demande le député socialiste Arthur Delaporte. Le cLe risque politique est fort pour ceux qui voudraient partir. TuUn maire risquerait par exemple de perdre sa municipalité aux prochaines élections. « Qui montera à bord du navire en perdition du macronisme ? »s’interrogeait un élu écologiste à franceinfo le 11 septembre, tandis qu’un proche du patron du PS Olivier Faure prédisait que « Michel Barnier ne le fait pas (pourrait être capable) « Recrutez uniquement des gens démodés et de seconde zone de gauche ».
Au-delà des parcours individuels, se pose également la question de la ligne politique défendue par Michel Barnier. « Etant de gauche, je ne vois pas comment on peut être dirigé par quelqu’un qui incarne la droite et qui propose l’immigration zéro ou qui n’a pas appelé à un blocus républicain. » contre l’extrême droite au second tour des législatives, murmure Benjamin Lucas. L’ancien ministre et commissaire européen est connu pour ses positions conservatrices, qu’il a notamment défendues lors de la primaire de la droite en 2021. Une vision difficilement conciliable avec celle du Nouveau Front populaire.
« Comment peut-on soutenir quelqu’un qui est implicitement soutenu par Marine Le Pen ? »Arthur Delaporte s’étonne encore, alors que le RN a promis de ne pas censurer le prochain gouvernement dans l’immédiat, contrairement au NFP. Participer à un gouvernement Barnier serait même « le compromis »selon Karim Bouamrane.
Une attitude qui ne surprend pas dans les rangs de la Macronie. « Cet homme de gauche, sait-il ce qu’il va devoir faire dans ce gouvernement ? J’ai été appelé à deux reprises à faire partie de gouvernements et je savais quelle était la feuille de route.juge la porte-parole du gouvernement démissionnaire, Prisca Thevenot.
« Pour quelqu’un qui est appelé, il est légitime de se demander : « Mais pour quelle politique ? » Et les électeurs dans les circonscriptions se poseront la même question. »
Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement démissionnaireà franceinfo
Face à la pénurie de profils à gauche, la promesse « ouverture » du nouveau Premier ministre pourrait bien rester lettre morte. L’absence d’un poids lourd de gauche dans le futur gouvernement serait de toute façon « clarifier l’ouverture d’Emmanuel Macron à la droite depuis sa réélection »selon Bruno Cautrès, politologue et chercheur au Cevipof. En août, le président de la République avait en effet refusé de nommer Lucie Castets, la candidate du NFP, à Matignon.
Malgré des tensions internes au sein du NFP, notamment sur la question de voter ou non en faveur de la destitution d’Emmanuel Macron, l’alliance a bénéficié du refus de ses forces, notamment socialistes, de participer à un gouvernement avec les LR et les macronistes. « Le président avait misé sur l’éclatement de la gauche, avant et après les législatives, mais nous avons montré que nous tenions bon »souligne Arthur Delaporte.
Au-delà du sort du futur gouvernement, la gauche a déjà en tête les prochaines élections. En cas d’élections législatives anticipées, et sans changement du mode de scrutin, les partis du NFP auront tout intérêt à maintenir leur union pour préserver leur nombre de députés. « JEIl y avait une bonne musique de Raphaël Glucksmann (aux élections européennes)une victoire en sièges aux législatives, on ne voit pas quel serait l’intérêt stratégique de la gauche à venir aider ce qui reste du macronisme »résume Bruno Cautrès.