pourquoi l’intérêt des catholiques français s’essouffle
Lorsqu’elle lit les derniers développements du processus de consultation mondiale, lancé en 2021 par le pape, pour réfléchir sur l’avenir de l’Église, la voix de Chantal Bartet, 77 ans, prend une pointe de lassitude. « C’est un peu comme on rame : on rame, on rame… et on rame encore pour que ça ne s’éteigne pas ici »illustre cette épouse de diacre, qui tient une loge à Digne (Alpes-de-Haute-Provence). Il y a trois ans, la septuagénaire était l’une des paroissiennes les plus mobilisées de son diocèse. Elle avait largement diffusé le questionnaire élaboré par le Vatican, et compilé une centaine de réponses.
Mais depuis, c’est un peu « trou noir ». « Nous regrettons un manque de communication générale autour du sujet. On a aussi le sentiment que le processus s’est bifurqué, n’ayant plus grand-chose à voir avec les attentes initiales. » elle regrette. Place des femmes, gouvernance, liturgie, attention aux pauvres… Envoyée par les évêques français en juin 2022 au Vatican, la première synthèse nationale exprimait des attentes fortes – parfois contradictoires – de changement, de la part des 150 000 fidèles mobilisés dans la démarche. . Un échantillon notable, au sein duquel les jeunes, et les fidèles aux sensibilités plus conservatrices, manquaient pourtant largement.
Un manque de « transparence » sur l’avancée et les difficultés du processus
Alors que, mercredi 2 octobre, s’est ouverte à Rome la deuxième session du Synode, la mobilisation des catholiques français semble connaître un indéniable essoufflement. Une tendance que le théologien franco-suisse Arnaud Join-Lambert observe également ailleurs, en Europe occidentale. « Sur le terrain, le Synode a alimenté de fortes attentes de changements structurels, qui ont excité certains groupes et en ont tendu d’autres, relisez ce spécialiste de la synodalité. Le choix du Synode de mettre alors davantage l’accent sur une manière de faire et de penser dans l’Église, plutôt que sur ces pistes de changement, a contribué à diluer l’intérêt de ses promoteurs et de ses détracteurs. »
Parmi la vingtaine d’acteurs français interrogés par La Croixla plupart expliquent leur éloignement du processus par un manque de « transparence » sur l’avancement et les difficultés du processus ou par la décision de « sortir » certains sujets – en les confiant à des groupes de travail dédiés (lire les benchmarks) –, qui avait fait l’objet de nombreux reportages sur le terrain… « Beaucoup ont démissionné au moment de l’annonce, par le Pape, de l’évacuation des questions du diaconat féminin, du célibat des prêtres ou dula bénédiction des couples homosexuels après la publication de Suppliants Fiducia : ils espéraient que ces questions seraient débattues lors de la nouvelle assemblée du Vatican », analyse Christiane Joly (1), membre de la communauté Saint-François-Xavier, qui a écrit un article à ce sujet. Ces sujets pourraient toutefois revenir sur la table, alors que les membres du Synode ont demandé à être associés à la réflexion de ces groupes de travail.
« Il y a une volonté de temporisation, pour éviter tout risque de schisme »
Pour Olivier, 53 ans, l’un des fers de lance de la démarche en 2022 dans sa paroisse des Yvelines, les derniers mois ont ouvert une profonde désillusion : « Sur la question de la place des femmes, notamment, cela m’a même fait hésiter, à un moment donné, à me convertir au protestantisme. » « Nous pensons que les résultats de cette Assemblée pourraient faire ressortir de nouvelles déceptions, souffle un autre observateur français. Il y a une volonté de tergiverser, pour éviter tout risque de schisme : on voit, une fois de plus, combien l’Église universelle n’est pas uniforme… »
Tout en comprenant que « déceptions » se sont manifestés ces derniers mois, Mgr Alexandre Joly, évêque de Troyes (Aube) et coordinateur du Synode pour l’Église de France, veut souligner la richesse de l’approche synodale elle-même : « Il y a ce côté de déstabilisation qui est une force : c’est le Saint-Esprit qui nous guide, parfois dans le brouillard, et nous réajuste sans cesse. Il ne s’agit pas d’arriver à Rome avec un agenda, mais avec le désir d’aller plus loin dans le discernement. » soutient-il, soucieux de souligner également la volonté de l’Église de France de contribuer à la réflexion, notamment sur la question du modèle des conseils épiscopaux.
Au-delà de l’échéance d’octobre, nombreux sont ceux qui réclament également de plus hauts sommets. « Là où nous sommes habitués à fonctionner à court terme, en fonction d’événements précis et d’un besoin de résultats, ce Synode appelle à une révolution fondamentale pour transformer notre manière de vivre dans l’Église. Cela prend du temps », soutient la théologienne Isabelle Morel, directrice de l’Institut supérieur de catéchèse pastorale (ISPC), qui a dirigé la rédaction du récent ouvrage Clés d’une Église synodale (2).
Un processus « qui a infusé »
D’autant que certains identifient déjà les premiers résultats concrets sur le terrain. « Le processus synodal n’est plus aujourd’hui au centre de la vie de nos diocèses, mais on ne peut pas dire qu’il n’ait pas eu d’impact. Là méthode de conversation dans l’Esprit s’est répandue, elle est souvent réclamée par ceux qui l’ont vécue », cite Guillaume Houdan, diacre du diocèse de Rouen et membre de l’équipe nationale du Synode. Quant à l’attente – omniprésente dans les retours locaux – de réformer la gouvernance de l’Église, « les choses bougent : au moins deux tiers de nos conseils épiscopaux sont désormais composés d’environ 35% de laïcs et 30% de femmes »continue-t-il. Dans une dizaine de diocèses, certains ont même été nommés « délégués généraux » – l’équivalent des vicaires généraux, sans statut canonique.
Quelques signaux tangibles témoignent encore de la volonté de ne pas laisser s’essouffler l’élan initial. Un webinaire mensuel décryptant les thématiques liées au Synode, lancé en mars par l’Institut catholique de Paris, continue de susciter de nombreuses inscriptions. Parfois, le Synode s’invite là où on ne l’attendait plus. Dans le diocèse de Digne, Chantal Bartet a été émue récemment d’entendre une communauté de religieuses indiennes, s’occupant dans la plus grande discrétion près de chez elle de prêtres retraités, consacrer une intention de prière pour le Synode lors d’une messe. Parce que cela faisait des semaines qu’elle n’en avait pas entendu parler.
(1) Envoyés ensemble ! le rôle des femmes dans la mission de l’Église, Saint-Léger Éd.
(2) Avec une quinzaine d’enseignants ICP, Salvator, mai 2024.
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Des groupes de travail pour approfondir certains sujets
En mars 2024le Vatican a annoncé un recentrage des sujets qui seront traités lors de la deuxième Assemblée plénière du Synode, qui se tient à Rome du 2 au 27 octobre.
Dix thèmes – dont « formulaires ministériels spécifiques »LE « questions controversées doctrinales, pastorales et éthiques »… – ont été retirés des discussions, pour être approfondis par des groupes de travail dédiés, qui devraient rendre leurs conclusions en juin 2025.
A leur demande, les membres du Synode ont souhaité être associés aux travaux de ces groupes lors de la session d’octobre. « Le travail de ces groupes restera synodal », » a soutenu la communication du Saint-Siège.