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pourquoi l’image « Tous les yeux rivés sur Rafah », partagée des millions de fois, ne fait pas l’unanimité

shahv4012/Instagram Le visuel « All Eyes on Rafah » est largement partagé sur les réseaux sociaux.

shahv4012/Instagram

Le visuel « All Eyes on Rafah » est largement partagé sur les réseaux sociaux.

INTERNATIONAL – Une vision de la réalité trop aseptisée ? Ou une manière subtile d’évoquer l’horreur de la guerre à Gaza à l’heure des réseaux sociaux ? Depuis plusieurs heures, il est pratiquement impossible de rater l’image publiée sur Instagram par @shahv4012, un jeune photographe malaisien. Une image partagée des millions de fois, non sans susciter quelques critiques quant à sa nature et à la représentation qu’elle reflète de la réalité.

En réponse au bombardement israélien survenu dimanche sur la ville de Rafah, dans la bande de Gaza, qui a suscité l’indignation internationale, ce récit ouvertement pro-palestinien a révélé cette image sans doute générée grâce à l’intelligence artificielle. On voit des milliers de tentes alignées dans un décor sans vie. Au centre de l’image, une seule phrase écrite en anglais : « Tous les regards sont tournés vers Rafah « , soit  » Tous les regards sont tournés vers Rafah  » en français.

Une vraie tendance sur les réseaux sociaux à travers le monde », Tous les regards sont tournés vers Rafah » est devenu presque immédiatement un slogan de la cause palestinienne, partagé plus de 40 millions de fois depuis sa mise en ligne, tant par des anonymes que par des stars. Ce qui a inévitablement suscité certaines critiques.

Contourner la censure…

Les premières réserves exprimées sur ce visuel focalisent sur la représentation qu’il donne de la violence des événements dans l’enclave palestinienne depuis la réponse militaire israélienne à l’attaque du 7 octobre : pas d’humains, pas de corps, ruines et dégâts sans bombardements… Et certains donc Je me demande : pourquoi et comment une image si détachée de la réalité peut-elle être plus efficace que n’importe quelle photographie prise ces derniers jours dans la bande de Gaza ?

 » Le fait que cette image générée par l’IA soit celle que les gens se sentent le plus à l’aise de partager montre à quel point nous sommes devenus déconnectés de notre humanité. « , écrit par exemple cet internaute, critique de l’aspect  » confortable » du visuel repartageable en un seul clic.

Un simple coup d’œil à l’histoire originale montre qu’elle ne contient aucun avertissement concernant le contenu sensible. Certains le défendent justement sur ce point. Considérant qu’il facilite le partage par tout internaute souhaitant exprimer sa douleur et son soutien aux civils palestiniens. Et ce, sans avoir à consulter et publier des images parfois très choquantes du conflit.

Un atout à l’ère des réseaux sociaux, qui restreignent les contenus violents. Comme le visuel et le slogan « je suis Charlie », imaginé par le graphiste Joachim Roncin après l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015,  » Tous les regards sont tournés vers Rafah » surfe sur cette même idée d’un symbole fort (et suffisamment décorrélé de la notion de violence) pour en faire une image de solidarité universelle.

Volontaire ou non, l’image générée par @shahv4012 puise dans les codes de son époque et contourne ainsi les risques de censure par les filtres réglementaires mis en place par les réseaux sociaux eux-mêmes. Et c’est sans doute là une des clés de sa viralité aujourd’hui. Comme les visuels de la pastèque l’ont peut-être été peu de temps après la résurgence du conflit au Moyen-Orient après le 7 octobre.

…mais cacher la réalité ?

Les critiques contre cette image ne s’arrêtent pas là. Car en utilisant très probablement l’intelligence artificielle générative – sans jamais l’évoquer explicitement –, son auteur s’est aliéné certains réfractaires à l’usage de cette technologie, notamment lorsqu’elle est exploitée dans l’art (comme source unique de création).

Sa représentation de milliers, voire de millions, de tentes de réfugiés soigneusement disposées et alignées à perte de vue est donc considérée comme maladroite, voire inexacte. D’autant plus en comparaison des images chaotiques de la réalité des camps de réfugiés de Gaza. Notamment dans la ville de Rafah, où les bombardements ont ravagé de nombreux abris de fortune. Cette vision serait donc aseptisée et trop fluide en raison du recours à l’IA, qui invisibilise et obscurcit la réalité du drame qui se joue à Rafah.

S’il est actuellement difficile de savoir si le photographe a lui-même apporté des modifications à sa création, certains préfèrent partager d’autres visuels avec le même slogan, « Tous les regards sont tournés vers Rafah « . La différence, c’est qu’ils sont dessinés par des artistes qui partagent leur vision personnelle de l’horreur de la situation. Tout en conservant une forme d’abstraction du réel.

C’est notamment le cas de deux illustrateurs français ci-dessus, dont le succès est évidemment bien moindre que celui du visuel de @shahv4012, mais qui ont le mérite d’avoir été entièrement créés par des humains pour parler d’une cause humanitaire.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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