pourquoi les Républicains font campagne avec les Démocrates de Kamala Harris pour « battre Donald Trump »
Certains Républicains ont choisi de défendre la candidature du vice-président démocrate plutôt que celle du candidat désigné par leur camp. Un soutien décisif dans un scrutin très serré ?
« Si vous m’aviez dit il y a quatre ans que j’allais voter pour un démocrate, je ne vous aurais jamais cru. » Les aveux de Sarah Matthews, ancienne porte-parole adjointe de la Maison Blanche sous Donald Trump, provoquent des rires dans la salle bondée du Keswick Theatre de Glenside (Pennsylvanie), mercredi 9 octobre. Comme deux autres anciens responsables de l’administration Trump, elle est venue s’entretenir avec Liz Cheney, figure du camp républicain devenue une ardente opposante à l’ex-président, au sujet de « menace » ce qui représente, selon eux, un possible retour du milliardaire à la présidence des Etats-Unis après l’élection du 5 novembre.
Cette discussion, organisée par le mouvement non partisan Democracy First, a principalement attiré des démocrates. Mais dans la salle, on retrouve encore quelques Républicains, comme Dot. Si elle s’identifie toujours comme conservatrice, elle explique avoir jeté sa carte de parti à la poubelle en janvier 2021, après l’assaut des militants pro-Trump sur le Capitole. « Il faut que Kamala Harris soit élue pour qu’on puisse tourner la page de Donald Trump »dit-elle.
« Le Parti républicain aurait dû se débarrasser de Donald Trump lors des primaires. Il est inacceptable qu’il soit candidat. »
Dot, un républicain pro-Harrissur franceinfo
Sur scène, les intervenants partagent ce point de vue. Tour à tour, les trois anciens collaborateurs de Donald Trump racontent comment son refus de reconnaître sa défaite de 2020, puis d’appeler ses partisans au calme, les a convaincus qu’il représentait « un danger pour la démocratie ». « C’est la personne la plus immorale avec qui j’ai jamais travaillé. »affirme Alyssa Farah Griffin, ancienne assistante du président républicain.
L’ancienne représentante du Wyoming, Liz Cheney, insiste : « L’histoire montre que les démocraties tombent aux mains des populistes, qui convainquent les bonnes personnes de croire à leurs mensonges. Nous devons empêcher que cela se produise dans notre pays. » Pour réaliser « Battre Donald Trump », « cette élection a vu naître une coalition sans précédent »souligne la fille de Dick Cheney. Figure conservatrice et vice-président de George W. Bush, ce dernier également a annoncé son soutien à Kamala Harris.
Liz Cheney est sans doute celle qui incarne le plus cette coalition. Début octobre, le républicain a soutenu Kamala Harris lors d’un meeting dans l’État clé du Wisconsin. Un soutien très notable, mais pas surprenant : si elle est loin d’être une conservatrice modérée, Liz Cheney est l’une des critiques les plus virulentes de Donald Trump au sein de son parti. Son rôle de coprésidente de la commission d’enquête parlementaire sur l’assaut du Capitole lui a valu de multiples attaques de la part du milliardaire et lui a coûté son siège au Congrès. Pas de quoi décourager la Républicaine, qui avait promis en 2022 de faire de son mieux pour « Empêcher Donald Trump de retourner au Bureau Ovale. »
Dans son sillage, d’autres républicains anti-Trump ont rejoint la campagne de Kamala Harris. En août, une dizaine d’entre eux ont défilé sur la scène de la Convention nationale démocrate au cours de laquelle le vice-président de Joe Biden a été officiellement investi. L’ancien représentant de l’Illinois, Adam Kinzinger, a admis avoir participé à une « étrange alliance ». « Nos désaccords (avec les démocrates) au programme importe peu face aux questions fondamentales de principe, de décence et de loyauté envers la nation. »a-t-il cependant jugé, dans un discours relayé par NPR.
En septembre, une centaine de responsables du Parti républicain ont également annoncé leur soutien à Kamala Harris. Dans une lettre ouverte, ils ont accusé Donald Trump d’être « inapte à être à nouveau président. » Lors de son premier mandat à la Maison Blanche, le milliardaire « a fait passer ses intérêts personnels avant ceux des Etats-Unis et a trahi nos valeurs, notre démocratie et les textes fondateurs de ce pays »martèle le courrier.
« Il est inhabituel de voir autant de dirigeants de partis soutenir ou faire campagne pour le candidat adverse »observe Hans Noël, professeur d’affaires publiques à l’Université de Georgetown. Mais « Le comportement de Donald Trump viole les valeurs de nombreux conservateurs, qui le trouvent toxique et dangereux », analyse le politologue. Son programme s’éloigne également du parti républicain de Reagan et Bush, par exemple sur la question du commerce ou de la politique étrangère.
Le soutien de cette frange républicaine pourrait-il permettre à Kamala Harris de remporter l’élection ? « Rien ne fera changer d’avis les électeurs de Maga (les fervents partisans de Donald Trump, ainsi désignés en référence au slogan de l’ex-président, « Make America Great Again »)ils sont cohérents dans leurs votes »dit la sociologue Arlie Hochschild. Ce « un électorat blanc, qui n’a pas fait d’études supérieures »se sent de plus en plus négligé par la classe politique.
« Donald Trump joue sur leurs peurs et leur honte », estime Arlie Hochschild. « Il ne leur a pas apporté de meilleurs emplois, ni mis fin à la crise des opioïdes. » mais se présente comme leur « champion » en leur proposant quelqu’un « à blâmer ». À commencer par les immigrés, que Donald Trump et son colistier JD Vance accusent d’être des criminels, des mangeurs de chiens et de chats ou encore d’être responsables de la crise du logement et d’être favorisés par l’administration Biden.
Au-delà de cette base trumpiste inflexible, « La plupart des républicains ne se résoudront pas à voter pour un démocrate »dit Hans Noël. L’enjeu pour les « anti-Trump » est donc de dénicher ceux qui pourraient franchir le pas, notamment dans la poignée d’États clés où se jouera le vote. « Un discours comme celui de Liz Cheney donne aux Républicains (opposé au milliardaire) autorisation de voter démocrate » lors de cette élection, confie Dot, ex-membre du parti.
« En Pennsylvanie, 158 000 personnes ont voté pour Nikki Haley lors des primaires républicaines, alors qu’elle s’était déjà retirée de la course.souligne Ann Womble, coprésidente des Républicains pour Harris dans cet Etat de la côte Est. Cela prouve qu’il existe des gens malheureux. Alors que les sondages donnent aux deux candidats moins de trois points d’écart, le vote « pourrait être une question de quelques milliers, peut-être même de quelques centaines de voix dans deux ou trois Etats.se souvient Hans Noël.
« Il est possible que les votes des Républicains (opposés à Donald Trump) se révèlent décisifs. Il est donc logique que Kamala Harris essaie d’en profiter.
Hans Noel, politologuesur franceinfo
D’autant plus que ce rapprochement « ce n’est pas seulement une main tendue aux Républicains »décrypte Hans Noël. Dans une Amérique plus polarisée que jamais, « C’est aussi un message adressé aux indépendants et à tous les électeurs qui ne peuvent plus supporter les affrontements entre les deux partis. »
«Dans cette campagne, Donald Trump tente de diaboliser les démocrates. Kamala Harris montre qu’elle est ouverte à la diversité des opinions.dit Ann Womble. Une volonté d’échange qui n’existe plus au sein du Parti républicain, déplore Amy Wudel. « On nous a dit de partir »» assure cette électrice d’Arizona à propos des conservateurs qui, comme elle, n’acceptent pas de se ranger derrière le milliardaire.
« J’ai réalisé que nous pouvions construire des compromis (avec les démocrates). (…) Cette polarisation déchire notre pays.»
Amy Wudel, républicaine pro-Harrissur franceinfo
Les Républicains « ayant fait des études supérieures et vivant en zone urbaine, ils s’inquiètent de la prise du pouvoir (par Donald Trump) dans leur fête »note la sociologue Arlie Hochschild. Pendant qu’ils « craindre l’intimidation et la punition » pour avoir osé critiquer le candidat conservateur, « Ils se sentent bien accueillis par les démocrates. »
Ann Womble l’assure : le soutien de certains républicains à Kamala Harris ne signifie pas que la vice-présidente bénéficierait des mains libres si elle était élue à la Maison Blanche. « Elle devrait gouverner avec un Congrès divisé, et donc obtenir un soutien bipartite pour toutes ses mesures : il lui serait impossible de mettre en œuvre un programme ultra progressiste. » argumente le militant. En cas de victoire de Kamala Harris, la surprenante alliance pourrait donc prendre fin le 6 novembre, dès le départ de Donald Trump.