Pourquoi les pluies records à Dubaï mercredi dernier? 20/04/2024
Mercredi dernier, des pluies impressionnantes se sont abattues sur Dubaï, provoquant des inondations dans une ville au climat désertique… Retour sur ce phénomène.
Le Monde découvre avec stupéfaction qu’il pleut dans le désert
Le 17 avril, Dubaï, comme une partie de la péninsule arabique, a été frappée par une série de tempêtes remarquables pour la saison. Les Emirats et plus particulièrement Dubaï ont fait la une de l’actualité avec des précipitations exceptionnelles de 160mm à l’aéroport, provoquant d’importantes inondations dans une ville plate dépourvue de système d’évacuation des eaux efficace.
Inondations sur fond de Burj Khalifa – Dubaï 17 avril 2024
Les tempêtes ont été provoquées par la descente d’une goutte froide sur l’une des mers les plus chaudes du monde (le golfe Persique est la zone maritime la plus chaude du monde avec la mer Rouge). C’est la rencontre entre ces deux caractéristiques antagonistes qui a provoqué l’instabilité de la masse d’air et cet intense épisode orageux.
Localisation de la tempête de Dubaï et de sa goutte froide associée – MétéoSat IR du 17 avril 2024
Un désert spécialier
Un désert peut se former de plusieurs manières permettant de limiter considérablement les précipitations, par exemple : le désert abri (chaîne de montagnes contre les vents dominants – comme le désert de Gobi), le désert météorologique (renouvellement permanent des cellules anticycloniques – comme le Sahara) ou voire des déserts en raison de la présence de courants océaniques froids à proximité (qui limitent l’évaporation et donc les pluies – comme le désert namibien).
Le Burj Khalifa absorbé par un rideau de pluie orageuse le 14 mars 2014 – Youtube
Le désert d’Arabie présente plusieurs de ces caractéristiques, à savoir le désert d’origine météorologique en partie (présence de cellules anticycloniques tropicales). Mais c’est aussi et surtout un désert abrité, coincé entre d’autres déserts sur d’immenses masses continentales.
Ces masses continentales contiennent de petites mers (mer d’Oman, golfe Persique, mer Rouge) qui, entre les masses continentales, voient très peu de courants circuler… Limitant les échanges thermiques avec le reste du monde… Exactement comme la mer Méditerranée en été qui surchauffe par rapport à l’Atlantique à la même latitude faute de commerce. Il y a donc une accumulation de chaleur humide avec la saison chaude… Carburant parfait pour les tempêtes.
Prévision d’une goutte froide pouvant entraîner de fortes dégradations orageuses sur le Golfe Persique et les Emirats en octobre 2023 -Storm_ae
Des tempêtes remarquables… pour la saison !
Ces tempêtes ne sont pas courantes en raison de la saison à laquelle elles se sont produites, mais pas en raison de leur intensité. En effet, une saison orageuse existe dans le Golfe Persique. Elle se produit à peu près en même temps que dans les régions du bassin méditerranéen oriental, à savoir de novembre à décembre. A cette saison, les eaux surchauffées libèrent une grande quantité de chaleur humide qui va interagir avec les gouttes froides descendant du Nord. La présence de reliefs sur la péninsule d’Oman accentue encore le phénomène (comme lors d’un épisode dans les Cévennes !).
Densité des éclairs en novembre, le Golfe Persique apparaît en forte activité comme la Méditerranée orientale – Copernic DOI 10.5194/essd-13-3219-2021
En avril, le phénomène est moins fréquent. La température de l’eau est moins chaude et l’anticyclone tropical commence à se regonfler… Mais ces phénomènes restent possibles.
Orages fréquents et violents aux Emirats
Les orages et les pluies torrentielles qui leur sont associées ne sont donc pas rares aux Émirats. Ils font même partie du climat local. Avec le développement accéléré de cette région du monde et sa richesse importante, des activités telles que la chasse aux tempêtes deviennent possibles. Les chasseurs de tempêtes sillonnent cette région et découvrent des phénomènes impressionnants d’inondations et de grêles dans le désert, plusieurs fois par mois au plus fort d’activité de la saison !
Il est même possible d’observer des tempêtes supercellulaires produisant des tornades et des grêlons gros comme la paume de la main.
Tempête supercellulaire arrivant à Dubaï et coup de foudre sur le Burj Khalifa en octobre 2023 -IG Storm_ae
Base à rotation rapide (orage supercellulaire) au-dessus du désert des Émirats arabes unis en janvier 2023 – Twitter
Inondations et grosse grêle dans le désert d’Oman 12 février 2024 -Storm_ae
Pourquoi les Émirats sont-ils un désert si les inondations et les tempêtes y sont fréquentes ?
Pour devenir un désert, la quantité de pluie qui tombe à un instant donné n’a pas vraiment d’importance. S’il pleut l’équivalent d’un an de pluie en France en un seul jour, il y aura un jour de violentes inondations, suivi de 364 jours d’aridité totale. Il s’agit d’une version extrême du climat méditerranéen qui se caractérise par des périodes sèches entrecoupées de violentes pluies. Les origines (mer chaude dégageant une chaleur humide déstabilisée par des poches d’air froid en altitude…) sont les mêmes… La latitude est simplement plus basse.
Cela entraîne une chaleur humide plus importante, donc des phénomènes orageux plus violents… Mais aussi plus rares et dispersés car l’air froid a plus de mal à pénétrer sous ces latitudes.
Passage de cellules orageuses violentes mais isolées le 5 novembre 2023 -NCM EAU
Théorie du complot et géo-ingénierie – Un fantasme médiatique fondé sur la crédulité ̶d̶é̶b̶i̶
Des conspirateurs de la modification du climat par les chemtrails aux journaux sérieux comme La Tribune de Genève ou d’autres plus douteux comme Korii, cet épisode pluvieux « exceptionnel » déchaîne les passions sur internet… Et assouvit les ambitions par des conclusions fallacieuses.
Internet au lendemain d’une tempête dans le désert des Emirats – 2024
Pour reprendre certains de ces arguments, voici ce que l’on peut en dire avec un peu de réflexion :
Conspiration: « Ils l’admettent, ils manipulent les nuages pour contrôler la météo. » >>> Des techniques d’ensemencement utilisant principalement l’iodure d’argent sont étudiées… et public depuis 1946 un clic sur Wikipédia. Oui, tu l’as dit… Mais c’est connu de tous, bien avant ta naissance, certainement.
Journalistes sensationnels, étude de l’efficacité de la méthode : « 7 avions ont décollé pour semer les nuages, il a plu : l’ensemencement a fonctionné. » >>> Non. L’ensemencement des nuages consiste à pulvériser des aérosols artificiels pour favoriser la formation de gouttes de pluie.
…Sauf preuve du contraire, une tempête survolant un désert de sable soulève des quantités considérables d’aérosols… Rendant ridicules les quantités libérées pour l’ensemencement des nuages et ses effets impossibles à distinguer du bruit de fond statistique. Nous ne pouvons pas parler de victoire ou d’effet mesurable.
Cette valeur de 160mm est-elle vraiment significative ?
Nous arrivons désormais au cœur de la raison de cette déferlante médiatique et complotiste. Il est tombé de 160 mm dans le désert émirati. Est-ce vraiment exceptionnel ?
Oui si l’on se place dans le référentiel d’un seul point. Dans un climat désertique, même dans le golfe Persique, les tempêtes et les précipitations violentes sont rares sur un point précis. Il est indéniable que c’est la première fois que 160 mm tombent d’un seul coup. sur le pluviomètre de l’aéroport de Dubaï
Non car cela revient à oublier le biais statistique suivant: La région est désertique, elle ne dispose donc que d’un réseau de stations météorologiques extrêmement ténu et de nombreuses tempêtes passent entre les mailles du filet. Il faut aussi rappeler que les tempêtes sont des phénomènes isolés, et leur cœur de précipitations intenses l’est encore plus. Ainsi, ces précipitations intenses peuvent passer juste à côté d’un pluviomètre positionné sur un réseau déjà mal équipé.
Pour voir ça… Les dernières inondations à Dubaï remontent au 17 novembre 2023, soit à peine 5 mois avant le 17 avril 2024. Le cœur de la tempête n’a tout simplement pas dépassé ce pluviomètre spécifique.
Capture d’écran de TikTok concernant les inondations du 17 novembre 2023 à Dubaï – TIC Tac
Vers une humidification du climat du Golfe Persique avec le réchauffement climatique
Les précipitations devraient augmenter dans cette région avec le réchauffement climatique. En effet, la hausse des températures aura pour effet de forcer un réchauffement encore plus important de la mer et donc le dégagement de chaleur humide et par une montée des pluies de mousson en provenance de l’océan Indien. Les pluies pourraient donc être plus fréquentes et plus violentes comme on peut le lire dans diverses études.
Changement projeté des précipitations mensuelles (+/- x mm/mois) – ResearchGate DOI : 10.20944/preprints202309.0153.v1
La région peut même connaître des cyclones tropicaux. Bien que le Golfe Persique soit assez protégé de ce phénomène (petite taille, montagnes, etc.), Oman verrait probablement sa climatologie cyclonique tropicale augmenter significativement avec le réchauffement climatique. La MJO (Madden-Julian Oscillation) dans un contexte d’eaux plus chaudes serait plus susceptible de produire des cyclones, voire des cyclones plus violents.
Dégâts causés par le cyclone Shaheen à Oman en octobre 2021 -AFP
Cyclone Shaheen entre Oman et l’Iran, dans la mer d’Oman, près du golfe Persique -NOAA
Cyclone Gonu dans le golfe d’Oman en 2007 -Images NASA
On n’a pas fini de voir la pluie tomber sur Dubaï et les Emirats !
Jérémie GAILLARD – Prévisionniste pour MétéoCilles