Ces petites particules de plastique, avec leurs milliers d’additifs, peuvent provoquer des inflammations, perturber la réponse immunitaire ou encore le système endocrinien. Si les mécanismes précis restent flous, les connaissances progressent.
Derrière les mers de déchets se cache un mal encore plus insidieux. Bouteilles, canettes, sacs et emballages presque à perte de vue… Les impressionnants amas de plastique qui encombrent les zones marines ou les cours d’eau ne sont en fait que la partie visible d’une pollution importante qui échappe à l’œil nu. En se dégradant, les plastiques se fragmentent et finissent en minuscules morceaux : les microplastiques (qui peuvent mesurer jusqu’à 5 mm de large) et les nanoplastiques (qui sont de l’ordre d’un milliardième de mètre). Les scientifiques les ont découverts partout sur Terre, de l’Himalaya jusqu’aux fosses marines les plus profondes. Mais aussi chez les êtres vivants.
En intégrant diverses chaînes alimentaires, ces matières se retrouvent dans le corps des animaux marins et terrestres. Chez l’humain, les scientifiques l’ont détecté dans le sang, les selles, le système digestif, le lait maternel, le placenta, les poumons et même dans les artères. Sans être exhaustif.
« La pollution plastique est un problème mondial aux conséquences néfastes pour la santé humaine et l’environnement »écrivait le ministère de la Transition écologique en octobre, en vue d’une échéance majeure : la dernière session des négociations internationales qui débute à Busan (Corée du Sud), lundi 25 novembre. Alors que ces discussions visent à élaborer un premier traité mondial pour lutter contre la pollution plastique , franceinfo détaille pourquoi les microplastiques et nanoplastiques sont préoccupants pour la santé.
Parce que les premiers effets ont déjà été observés chez l’homme
Les recherches sur les conséquences de ces particules sur l’homme ont débuté au milieu des années 2010. Dans une étude publiée en mars 2024 dans la prestigieuse revue Journal de médecine de la Nouvelle-Angleterreune équipe de chirurgiens italiens a annoncé la découverte de microplastiques sur la paroi des artères carotides, celles qui amènent le sang jusqu’au cerveau. Ils l’ont détecté chez près de 60 % des 257 patients opérés. Après trois ans de suivi, ils ont constaté que cette présence de résidus de plastique était associée à un risque quatre fois et demie plus élevé de subir une crise cardiaque ou un accident vasculaire cérébral.
Les microplastiques influencent également le système digestif, et plus particulièrement le microbiote (ou flore intestinale), rapporte à franceinfo Muriel Mercier-Bonin, directrice de recherche à l’Inrae. En analysant les selles d’adultes et d’enfants de moins de 10 ans (filles et garçons), son équipe a constaté chez les enfants un « fragilité » de la flore intestinale, avec « modification de certains composés » qui ont « effets bénéfiques pour la santé ». Les processus et conséquences précis restent flous, mais sont en cours d’examen. En effet, la flore intestinale joue un rôle essentiel dans « mécanismes clés » liés à la digestion, mais aussi aux fonctions immunitaires ou neurologiques.
Au niveau des poumons, les études cliniques réalisées chez les plasticiens ont montré des dysfonctionnements, des inflammations, des fibroses et même, dans certaines études, une augmentation des cas de cancer du poumon, a constaté Sonja Boland, ingénieure de recherche. à l’Université Paris Cité, le 17 octobre, lors d’une audition au Sénat consacrée aux impacts des plastiques sur la santé humaine. Ces résultats doivent être pris avec précaution, prévient-elle : « Dans le cadre professionnel, ils étaient confrontés à des doses très, très élevées. »
Un autre exemple qui affecte directement la santé humaine concerne le bisphénol A, une substance principalement utilisée en combinaison avec d’autres pour fabriquer certains plastiques et résines. Massivement utilisé par l’industrie agroalimentaire pour les conserves ou les canettes, il est interdit en France depuis 2015. L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Anses) le classe comme perturbateur endocrinien.
La communauté scientifique soupçonne depuis une vingtaine d’années un lien entre exposition au bisphénol A et autisme. Ceci a été renforcé par une étude publiée en août dans la revue scientifique Communications naturelles. Les chercheurs établissent un lien, pour les garçons, entre l’exposition au bisphénol A au cours de la vie intra-utérine et la probabilité d’être diagnostiqué autiste à l’âge de 9 ans. Pour eux, le risque est multiplié par six.
Parce que des conséquences néfastes ont déjà été observées chez les animaux
Comme toujours, les chercheurs observent les effets possibles sur divers animaux avant de s’intéresser aux humains. Les microplastiques ont des effets sur les huîtres, affectant leur croissance et leur reproduction, rapporte l’Ifremer. Des chercheurs ont montré que les moules exposées aux microplastiques en laboratoire produisaient moins de fibres leur permettant de s’attacher aux rochers et donc de résister aux marées. Recherche en 2019.
Du côté des mammifères, Mathilde Body-Malapel, chercheuse à l’université de Lille, a observé une inflammation importante de l’intestin chez des souris dont la nourriture contenait des microplastiques. Cela pourrait suggérer des maladies plus graves parmi eux, et d’éventuelles affections à surveiller chez les humains.
« La communauté scientifique a réussi à établir la toxicité d’un type de microplastique, celui du polystyrène sphérique, sur la souris. »
Mathilde Body-Malapel, chercheuse à l’Université de Lillesur franceinfo
« Nous disposons désormais, au niveau mondial, de plusieurs études qui démontrent la toxicité de ce plastique (que l’on trouve dans l’emballage) sur plusieurs organes »continue-t-elle. Le spécialiste ajoute que les chercheurs commencent à s’intéresser à d’autres types de plastiques, qui ne sont pas forcément sphériques, et qui ont des tailles différentes. Le but : se rapprocher des microplastiques présents dans l’environnement, issus de la dégradation de morceaux de grande taille et aux formes variées. Conditions du protocole de laboratoire « ne sont pas forcément représentatifs de la réalité, où l’on est exposé à des polymères différents, de tailles différentes »insiste Muriel Mercier-Bonin. Un autre progrès important concerne l’harmonisation des protocoles pour produire des résultats comparables entre les laboratoires du monde entier.
Parce qu’il existe des dizaines de plastiques et des milliers d’additifs
Il n’existe pas un type de plastique, mais des dizaines, auxquels s’ajoutent quelque 16 000 additifs. Ceux-ci sont ajoutés au matériau initial pour lui conférer une qualité particulière : souplesse, rigidité, résistance à l’oxydation, aux UV ou encore à l’eau. En résumé, les plastiques ne pourraient pas être utilisés sans eux.
Les experts s’accordent sur l’opacité de la composition des additifs, pour des raisons de secret industriel. Or, ces éléments, en plus d’être potentiellement toxiques, sont très solubles : ils adhèrent mal au matériau et sont rapidement rejetés dans l’environnement. « Si vous prenez deux pots de yaourts de marques différentes dans votre réfrigérateur, ils ont probablement des compositions différentes » mis en lumière en mars, dans les colonnes deOuest de la FranceGuillaume Duflos, directeur de recherche à l’Anses. « Mais ce sont les additifs qui soulèvent le plus de questions. »
Entre polymères et additifs, le nombre de combinaisons devient vertigineux. Une situation problématique pour établir la toxicité d’un microplastique puisqu’en théorie elle ne peut être déterminée que pour un seul type de plastique à la fois. C’est pourquoi Mathilde Body-Malapel appelle à agir vite : « Si, avant de prendre des mesures, on nous demande de démontrer la toxicité de chaque type de microplastique, nous ne pourrons pas les réduire et nous en protéger.
Sur le nombre total de 16 000 additifs, 4 000 ont une toxicité connue, rapporte Hervé Raps, médecin délégué à la recherche au centre scientifique de Monaco, à franceinfo. « Éliminons-les d’abord avant de nous occuper des 12 000 de plus »suggère ce co-auteur d’un rapport analysant la « impacts négatifs du plastique sur la santé et le bien-être humains ».
Parce que les microplastiques peuvent absorber d’autres polluants
En plus de leur propre nocivité, les nanoplastiques et microplastiques peuvent être des chevaux de Troie pour d’autres substances dangereuses, constate Muriel Mercier-Bonin. Lors de leurs déplacements, ils peuvent rencontrer d’autres produits dans l’air, l’eau ou le sol, les absorber et les transporter, y compris dans les organismes.
« Ils peuvent absorber des contaminants, des polluants environnementaux, comme les métaux lourds. »
Muriel Mercier-Bonin, chercheuse en toxicologie alimentairesur franceinfo
De plus, des « effets cocktails » peuvent survenir. Sonja Boland a parlé aux parlementaires du microplastique atmosphérique qui, associé à un autre polluant présent dans l’air, présente un nouveau danger que les composants ne présentent pas séparément. Des combinaisons encore mal connues et potentiellement nombreuses.
Parce qu’il est compliqué de mesurer l’exposition
Comme les microplastiques et nanoplastiques peuvent être ingérés, inhalés ou entrer en contact avec la peau, et que tout cela varie selon les modes de vie, il devient complexe d’en évaluer les risques. « Une personne qui consomme souvent des produits à emporter n’a pas la même exposition qu’une personne qui n’en consomme pas ou rarement »illustre Muriel Mercier-Bonin. L’air urbain est plus chargé en microplastiques et nanoplastiques que celui de la campagne, a rappelé Sonja Boland au Sénat, soulignant que « L’inhalation est au moins aussi importante que l’ingestion ».
À cela s’ajoutent les difficultés techniques de mesure des nanoplastiques dans le corps humain, notamment dans les poumons, alors même que ce sont des organes où les scientifiques s’attendent à en trouver une quantité importante.
Pour éviter l’inertie, Hervé Raps appelle la communauté internationale à prendre des mesures fortes au nom du principe de précaution. « Même si c’est compliqué, même si on ne peut pas tout dire à 100%, on voit désormais trop de cancers, de maladies métaboliques, de troubles de la fertilité »il plaide. Pour lui, le lien possible entre les microplastiques et nanoplastiques et divers maux affectant la santé humaine doit être pris au sérieux.
« Si vous regardez les courbes des maladies chroniques, des troubles de la puberté, des troubles du développement chez l’enfant, toutes ces courbes sont en augmentation depuis les années 1950. »
Hervé Raps, médecin délégué à la recherche au centre scientifique de Monacosur franceinfo
« Il y a sûrement plein de facteurs mais les courbes sont parallèles à l’augmentation des produits chimiques et à l’augmentation des produits plastiques »insiste-t-il. Un constat inquiétant, alors que la production de plastique doit doubler d’ici 2040 et tripler d’ici 2060.