Pourquoi les frères Lebrun crient-ils « Tcho ! » à chaque point gagné ?
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Pourquoi les frères Lebrun crient-ils « Tcho ! » à chaque point gagné ?

Pourquoi les frères Lebrun crient-ils « Tcho ! » à chaque point gagné ?

Les JO de Paris ont mis en avant, entre autres disciplines, le tennis de table, avec notamment la « Lebrun mania » qui s’est emparée des compétitions de tennis de table suite aux très bons résultats des pongistes. Ceux des 2 frères Lebrun, Félix et Alexis, qui sont tous deux précoces, talentueux, et développent une image attractive et dynamique, ont été particulièrement relayés.

Leur notoriété s’est accrue lorsque l’aîné des frères Lebrun a réagi à un tweet d’Antoine Griezmann, répondant à la question « Que dit Alexis Lebrun après chaque point ? Essaie ? Eussai !? Assez ? Il est trop fort ! »

Cet échange a été repris dans divers médias, qui ont souligné le côté amusant de l’échange, voire la créativité du pongiste, et l’athlète explique :

« Au début c’était « Tcho », puis « Tchosé », et puis tout est parti en vrille. »

Si cet échange peut prêter à sourire, ces termes sont bien connus des joueurs de tennis de table, et ont même fait l’objet de vidéos explicatives : la chaîne officielle WTT explique l’étymologie de CHO par rapport aux chinois « balle » et « bonne balle » :

The History of CHO | Art of CHO

La chaîne de PingSunday relaie également cette explication, mais dresse aussi un inventaire de termes alternatifs, parfois propres à certaines langues (« allez », « vamos », « allez »). On peut considérer que la dimension internationale des concours crée une situation favorable aux contacts linguistiques, qui peuvent conduire à des évolutions, adaptations, et innovations, qui expliquent le « Tchosé » d’Alexis Lebrun. Pour comprendre exactement les différentes évolutions, jusqu’à la forme actuelle, on pourrait aussi appliquer la même méthodologie que certains linguistes font en « morphologie historique », qui permet de comprendre par exemple comment « cabalum » en latin est devenu « cheval », mais cela nécessiterait de faire un travail de terrain à Montpellier et d’enquêter sur les frères Lebrun et leurs partenaires ! (une hypothèse que je tenterais ici serait le passage de « tcho allez c’est ça » à « tcho c’est ça » pour arriver à « tchosé », selon un principe d’économie linguistique).

Le langage du sport comme variété spécialisée

Mais au-delà du terme lui-même et de ses éventuelles variantes, il est intéressant de réfléchir à l’existence même de tels termes, et à leur utilisation dans le contexte des compétitions. Selon Artur Gałkowski, le langage du sport peut être considéré comme une variété spécialisée du langage qui « se caractérise par un lexique spécifique au monde du sport, utilisé aussi bien par les professionnels que par les amateurs, mais aussi par les utilisateurs ordinaires du langage, membres des sociétés communicationnelles de la civilisation moderne ». Mais à un second niveau, ce langage est utilisé dans une dimension performative du langage. Ainsi, si « dire c’est faire », les discours des sportifs en contexte peuvent avoir différentes fonctions, qui ont été expliquées par exemple comme un moyen de détente : « Nous sommes un sport sous forte pression et cela nous permet parfois de relâcher cette pression, témoigne Alexis Lebrun. Le fait de crier nous permet d’être plus détendus ».

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Le cri du pongiste aurait donc une fonction libératrice. Mais il ne faut pas négliger, outre le rapport à son propre stress, le contexte de l’opposition qui se joue au tennis de table, et l’influence que ce langage peut avoir dans l’interaction avec l’adversaire.

Influencer l’adversaire : performativité du langage

Dans un article intitulé « Influencer les jugements des adversaires lors des interactions sportives de compétition : un exemple du tennis de table », publié en 2006 dans Revue européenne de psychologie appliquéeG. Poizat, C. Sève, C. Rossard identifient dans le tennis de table « les communications verbales adressées à l’adversaire ou à soi-même » notamment dans les catégories « Distraire l’adversaire » et « Réduire le sentiment de confiance de l’adversaire ».

Ces cris serviraient donc à attirer l’attention de l’adversaire sur soi, à lui faire perdre sa concentration, et aussi à affirmer une posture qui va miner sa confiance. Les auteurs relaient également les résultats d’une étude de Greenlees et al. (2005), toujours sur le sujet du tennis de table, qui met en avant « l’influence de la perception de l’adversaire sur les anticipations de l’issue du match », et met en avant « la multitude de signaux et de comportements qui peuvent influencer cette perception ». Ils concluent qu’avec ces comportements « ajoutés » que sont les communications verbales et l’expression des émotions notamment, « les joueurs de tennis de table exploitent l’impact de l’évaluation sociale de l’expression des émotions pour influencer les perceptions de l’adversaire ».

Ainsi, ce que cet échange, et la couverture médiatique du tennis de table, ont mis en évidence, c’est aussi l’importance du langage dans le contexte de l’interaction sportive : il peut contribuer à changer la perception que les adversaires ont les uns des autres, et contribuer à gagner un match.

La communication dans la relation entraîneur-joueur

Pour revenir aux frères Lebrun, et pour ajouter une composante de langage dans le contexte de la compétition, un point clé de leur réussite est la relation avec leur entraîneur-coach, Nathanaël Molin. Comme le relate le site des Jeux Olympiques, la relation de confiance entre l’entraîneur et le joueur instaure une confiance qui favorise la gestion du stress et de la compétition. Ainsi, explique M. Molin, à propos de Félix Lebrun :

« Je lui ai dit quelque chose que j’avais en tête depuis très longtemps. Juste avant d’entrer dans le tableau, à la fin de l’échauffement : ‘tu ne prépares pas ce match depuis 2 jours, ça fait 17 ans, et ton entraîneur prépare ça depuis 20 ans, on est prêt’. »

Comme le montre Martinent dans un article de 2022 sur la relation entraîneur-coaché ​​en tennis de table, « il existe en effet un consensus parmi les entraîneurs de tennis de table, les chercheurs et les psychologues du sport selon lequel l’atteinte des objectifs de performance dépend en partie de la capacité des pongistes à faire face au stress généré par la compétition et à gérer leurs émotions ressenties pendant la compétition ». Et là aussi, le langage entre en jeu, puisque « la communication de l’entraîneur s’affirme comme un élément crucial (…) lors des temps de coaching (discussion d’avant-match, temps morts, coaching entre les sets). S’assurer que les joueurs ont reçu, accepté et compris le message selon les souhaits de l’entraîneur est un enjeu particulièrement saillant ». La relation étroite entre le joueur et l’entraîneur peut s’accompagner d’un travail sur l’acquisition ou le développement de bonnes compétences en communication. La synthèse de tout cela donne alors lieu à des situations comme celle-ci :

On remarque à la fois les cris d’encouragement de Félix Lebrun, mais aussi les liens avec le coach, puisque chaque regard est tourné vers lui (son adversaire, le Japonais Harimoto, faisant de même au moment de gagner ses points).

Enfin, à travers ce bel exemple de « Lebrun mania », et tout le talent des deux frères et de leur équipe, c’est aussi la puissance des mots, et les enjeux de la communication, qui ont été mis en lumière. Et heureusement, la recherche s’intéresse de plus en plus à ces paramètres : nous menons par exemple actuellement une recherche-action sur le coaching en tennis de table (Alive Coaching TT : Analyse linguistique des interactions verbales en contexte de coaching, cas du tennis de table), en partenariat avec le CD95TT, et plusieurs entraîneurs et joueurs du Val d’Oise, dont les premiers résultats seront bientôt présentés lors des journées d’études Explorations linguistiques dans le domaine du sport et de l’activité physique.

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