Pourquoi les consommateurs se précipitent-ils toujours vers le dernier iPhone malgré de nouvelles fonctionnalités limitées ?
La sortie d’un nouvel iPhone semble toujours être un événement, même si les modèles se suivent et se ressemblent. La marque sait très bien jouer sur les processus psychologiques qui donnent envie à ses clients de renouveler leur appareil, même en l’absence de saut technologique majeur.
Chaque année, Apple dévoile un nouveau modèle d’iPhone et chaque année, les fans affluent dans les Apple Store. Toutefois, les changements d’un modèle à l’autre sont souvent minimes. Alors pourquoi cet engouement perdure-t-il même lorsque les nouveautés sont limitées ? Comment expliquer que des millions de consommateurs choisissent de se procurer la dernière version alors que leurs anciens téléphones fonctionnent encore parfaitement ?
En 2023, Apple aura vendu 235 millions d’iPhone dans le monde, un chiffre impressionnant pour un marché que l’on pourrait croire saturé. En moyenne, les utilisateurs français changent de téléphone tous les deux à trois ans alors que leur durée de vie technique pourrait atteindre 5 voire 10 ans. Pour expliquer ce phénomène, deux notions psychologiques sont au cœur du mystère : l’obsolescence perçue et le sentiment de déclassement.
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L’obsolescence perçue : une pression subtile vers la nouveauté
L’obsolescence perçue n’a rien à voir avec un problème technique. Contrairement à l’obsolescence programmée où un produit est conçu pour cesser de fonctionner après une période de temps définie, l’obsolescence perçue repose sur la simple perception que notre téléphone est « vieux », « moins performant » et « obsolète » dès qu’un nouveau modèle apparaît. .
Apple, avec un marketing parfaitement orchestré, est passé maître dans l’art de créer cette impression. A chaque lancement, la marque met en avant des améliorations, comme un appareil photo plus performant, une batterie légèrement optimisée, un écran avec un taux de rafraîchissement amélioré ou encore un design subtilement revisité. Ces nouveautés, même si elles n’ont pas d’impact majeur sur l’utilisation quotidienne du smartphone, rappellent que le dernier modèle est plus moderne, plus adapté.
Pour certains, cette impression de « nouveau » donne l’illusion que l’ancien modèle, même s’il est toujours performant, a perdu de sa valeur. La stratégie de conception d’Apple renforce également cette perception d’obsolescence. Chaque nouveau modèle arbore souvent une touche design spécifique : une finition, une forme d’écran, un changement dans la disposition des caméras. Ce sont des indices visuels qui permettent très rapidement d’identifier un modèle comme étant ancien. Cette identification visuelle contribue à renforcer le sentiment que son téléphone n’est plus « dans l’air du temps » et alimente l’envie d’en changer.
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Ainsi, même si la technologie elle-même n’est pas intrinsèquement obsolète, le simple fait qu’elle paraisse ancienne devient un facteur de son obsolescence. À la base, l’obsolescence perçue est une stratégie subtile qui repose sur une légère pression et un coup de pouce discret qui transforme la possession d’un ancien modèle en un léger inconfort face au nouveau.
Le sentiment de dévalorisation : la comparaison sociale en jeu
Le deuxième mécanisme qui expliquerait cet engouement pour le dernier modèle d’iPhone est le sentiment de déclassement. Elle s’appuie sur la théorie de la comparaison sociale, développée par le psychologue américain Leon Festinger en 1954, selon laquelle les individus évaluent leur propre valeur en se comparant aux autres. Dans le contexte des smartphones, ce sentiment est particulièrement fort, car le téléphone est un objet de statut, souvent visible et omniprésent dans nos vies. Avoir le dernier modèle est vu comme un signe de réussite, voire un symbole d’appartenance à un groupe technophile d’avant-garde.
L’omniprésence des réseaux sociaux amplifie cette dynamique de comparaison. Sur Instagram, TikTok et YouTube, les influenceurs présentent les dernières versions de l’iPhone. Leur public, majoritairement jeune, est ainsi confronté au « standard » le plus récent, celui que l’on est censé désirer. Près de quatre consommateurs français sur dix ont déjà acheté un produit après l’avoir vu sur les réseaux sociaux, un chiffre qui s’élève à 61 % parmi la génération Z (née entre la fin des années 1990 et le début des années 2010).
L’iPhone, souvent mis en avant par les influenceurs, devient ainsi un objet de désir et un outil de connexion au monde moderne. En possédant un modèle plus ancien, les utilisateurs peuvent ressentir une certaine forme d’inconfort, de décalage et de déclassement par rapport à leurs pairs possédant le modèle le plus récent. A l’inverse, posséder le dernier modèle, c’est montrer que l’on est « dans le coup », que l’on a les moyens financiers et l’envie de rester au top de la tendance. Pour certains, acheter le dernier iPhone est donc une manière de rester dans la course sociale, de montrer qu’ils ne sont pas « à la traîne ».
Les événements de lancement d’Apple contribuent également à maintenir cette dynamique de déclassement. Chaque année, Apple organise des événements en grande pompe, retransmis en direct et largement médiatisés. Ces moments de présentation ont pour but de susciter l’envie, de souligner l’exclusivité du nouveau modèle et de rappeler au consommateur que son ancien téléphone est désormais obsolète. Ces événements créent une pression subtile mais efficace : il ne s’agit plus seulement de technologie, mais de participation à un phénomène de société, à un rituel culturel, voire à une célébration du progrès et de l’innovation.
En fin de compte, l’obsolescence perçue et le sentiment de déclassement se renforcent mutuellement. En jouant sur ces deux leviers psychologiques, Apple parvient à créer une fidélité quasi inconditionnelle où chaque nouveau modèle éclipse un peu plus l’ancien. Le téléphone d’hier devient vite un objet du passé tandis que le dernier modèle incarne la modernité et le statut social. Cependant, cette course effrénée vers la nouveauté pose question. Cette stratégie d’Apple n’est en effet pas tenable sur le long terme compte tenu de l’impact environnemental de l’industrie des smartphones. Entre attrait constant pour la nouveauté et conscience écologique, ne serait-il pas temps pour les marques de proposer d’année en année une autre voie que le smartphone jetable ? Un avenir où l’enthousiasme pour la technologie et la responsabilité environnementale pourraient enfin cohabiter.