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Pourquoi les applications de rencontre posent problème à la Russie face à l’offensive ukrainienne – Ouest-France édition du soir

Après les récentes offensives ukrainiennes dans la région de Koursk, le ministère russe de l’Intérieur vient d’exhorter ses citoyens à ne plus utiliser les applications de rencontre. Tinder, Grindr, Badoo et consorts seraient des mines d’informations pour les forces militaires adverses et menaceraient la sécurité des armées. Décryptage de cet outil d’espionnage particulier.

Mardi 20 août 2024, le ministère russe de l’Intérieur a averti les citoyens de la région de Koursk, récemment visée par une attaque surprise de l’Ukraine, de limiter leur activité en ligne et leur présence sur les applications de rencontres. Le but : empêcher les forces ukrainiennes de collecter des informations. Cet avertissement a été relayé sur la chaîne Telegram officielle des autorités russes. Il est destiné aux militaires, aux habitants des régions frontalières comme Briansk et Belgorod, et aux forces de police stationnées dans la zone.

Les soldats à la recherche d’une histoire d’amour devront attendre, car selon la déclaration russe, « Les ennemis utilisent les données collectées » sur les sites et applications à des fins stratégiques. Dans ce contexte, les applications de rencontre représenteraient une réelle menace pour la conduite des opérations armées et la survie des troupes. Isabelle Dufour, directrice des études stratégiques chez Eurocrise, décrypte pour le compte de l’AFPédition du soir les risques liés aux sites de rencontres en terrain militaire.

Une séduction innocente

Si ces applications sont au centre des préoccupations des autorités, c’est d’abord parce que les militaires, comme tout jeune de leur âge, ne peuvent résister à l’appel de la tentation et de la séduction. Isabelle rappelle qu’il ne faut pas imaginer que la population militaire soit très différente de la population normale. « Elle suit de la même manière les évolutions sociétales et les combattants, plus masculins, sont tout aussi friands des applications de rencontres »note le chercheur.

En l’absence de paix, les jeunes soldats trouvent du réconfort dans le fait de plaire. Innocents, ils nouent des relations virtuelles avec le monde extérieur sans se rendre compte qu’une question apparemment anodine posée par leur interlocuteur peut révéler des informations cruciales sur la position des troupes, l’existence et le déroulement d’une éventuelle opération. « Les soldats se sentent invincibles à cet âge-là, ils ont besoin de parler de ce qu’ils vivent, explique le spécialiste. Ils ne veulent pas être des héros silencieux. Le défaut réside ici.

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Un « pouvoir de nuire »

Pour décrire l’influence de ces applications sur le domaine militaire, Isabelle Dufour parle de « pouvoir de nuisance »Les sites de rencontres, comme tout autre réseau social, sont une mine d’or pour les services de renseignement ennemis et peuvent changer le cours d’un conflit. « Tout ce que vous publiez est géolocalisable, rappelle le chercheur. S’il y a beaucoup de connexions de profils similaires, au même point géographique, cela nous donne une idée du nombre de militaires potentiellement présents. »

Le temps de connexion sur les plateformes trahit également une position : « En 2022, le soir du Nouvel An, les Ukrainiens soupçonnaient les Russes d’occuper un bâtiment et décidèrent d’attaquer après que les soldats ennemis eurent tous envoyé « Bonne année » à leurs contacts »Isabelle se souvient. Cette affaire avait été largement médiatisée. Plusieurs centaines de soldats russes avaient péri lors d’un bombardement de l’artillerie ukrainienne dans la ville de Makiivka, dans la région orientale de l’Ukraine occupée par la Russie depuis 2014.

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Une technique d’espionnage sournoise

Derrière cette stratégie d’espionnage, il y a deux écoles de pensée. Les informations peuvent être collectées discrètement. « Lorsque la géolocalisation est activée, il est facile de rester derrière son ordinateur et de pirater les données »explique Isabelle Dufour. Des stratégies plus proactives peuvent également être mises en place, en créant de faux profils pour communiquer avec le soldat. « Engager une conversation et demander des détails sur le poste semble beaucoup moins suspect sur Tinder qu’ailleurs »le chercheur soulève. C’est à ce moment-là que le piège peut se refermer sur ces proies faciles et tous leurs coéquipiers.

Mais qui se cache derrière ces stratagèmes ? « Tout dépend de l’organisation politique de l’État. » En France, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), chargée de lutter contre les interférences, et la Direction du renseignement militaire (DRM), surveillent les réseaux sociaux et fournissent des services de prévention aux militaires. En revanche, en Russie ou en Ukraine, « Les stratégies sont beaucoup plus offensives. Ils ont des unités entières dédiées à ce travail d’espionnage et de renseignement et embauchent des espions ou des experts de telle ou telle plateforme. »

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Mise en œuvre des mesures de sécurité

Les combattants se font berner comme des débutants alors qu’ils sont sensibilisés au problème au sein de leurs unités. Même avant la récente déclaration du ministère, la Russie a pris à bras le corps ce problème de piratage de données. « Depuis trois ou quatre mois, les autorités russes se montrent très agressives envers leurs soldats. On les voit coller des téléphones aux arbres pour leur rappeler que les téléphones sont interdits sur le front. » Depuis juin 2023, Tinder est hors service en Russie, mais des VPN permettent de contourner les interdictions et d’autres applications existent.

En France, la communication sur ce sujet est très présente. L’armée a le droit à son propre guide de bon usage des médias et des réseaux sociaux, élaboré en 2011 et récemment mis à jour.

Le problème des sites de rencontres en temps de guerre et des réseaux sociaux en général est loin d’être nouveau. Le ministère américain de la Défense avait déjà interdit l’activation de la géolocalisation pour ses soldats en 2018 après un scandale lié à l’application de course à pied Strava. LinkedIn et Facebook sont également largement utilisés pour le piratage de données.

En mars 2022, au tout début de l’invasion russe de l’Ukraine, des soldats russes ont également été géolocalisés alors qu’ils tentaient de séduire des soldats ukrainiens sur les applications de rencontres Tinder et Grindr. Des informations qui ont été utilisées par les services secrets occidentaux pour surveiller l’invasion russe de l’Ukraine.

Cammile Bussière

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