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Pourquoi le succès des Jeux paralympiques ne suffira pas à rendre le sport plus inclusif ? Les explications du sociologue Flavien Bouttet

Maître de conférences à l’Université de Lorraine, auteur d’une thèse sur les politiques nationales du handicap et le poids des Jeux paralympiques dans leur construction, Flavien Bouttet détaille les freins à la pratique sportive et à une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap. Selon lui, le succès populaire de ces Jeux ne contribuera pas à les lever.

Pensez-vous qu’après les Jeux Paralympiques, davantage de personnes handicapées se lanceront dans le sport ?

Les indicateurs montrent qu’un événement comme les Jeux paralympiques n’amplifie pas la pratique sportive des personnes handicapées. Après ceux de Londres en 2012, on a constaté un afflux de personnes handicapées dans les clubs en septembre et octobre, puis la courbe a baissé.

Le rapport à la pratique sportive, au corps ou à l’engagement dans un club se construit sur le très long terme, dans les relations familiales, dans les relations amicales, dans les relations aux institutions. Et en aucun cas parce qu’on est interpellé pendant quinze jours par un événement.

Malheureusement, à l’image des Jeux Paralympiques, les politiques des collectivités territoriales en matière d’inclusion se traduisent souvent par l’organisation de « Journées Sport et Handicap ». Cette politique événementielle est imposée et empêche de penser l’inclusion et l’égalité d’accès à la pratique sportive de manière structurelle avec une offre régulière et continue pour les personnes en situation de handicap.

Ne peut-il pas encore y avoir un effet déclencheur ?

Même si les personnes handicapées se projettent en regardant les athlètes paralympiques, leur désir de participer à un sport peut rencontrer de nombreux obstacles.

Seulement 5 à 15 % des installations sportives sont accessibles aux personnes à mobilité réduite. Et 1,4 % des clubs sont en mesure d’accueillir des personnes en situation de handicap. Elles ont donc rarement le choix de la discipline qu’elles peuvent pratiquer.

La question de l’accès à la mobilité est centrale…

En moyenne, une personne handicapée doit parcourir 50 kilomètres pour rejoindre son lieu de formation. Le manque d’accessibilité des transports constitue un obstacle majeur.

Les transports en commun sont très peu accessibles, une voiture spécialement aménagée est souvent inabordable et le transport à la demande, censé pallier l’inaccessibilité des transports en commun, est souvent organisé à l’échelle d’une commune ou d’une communauté de communes. Les personnes souhaitant rejoindre un lieu sportif situé hors de ce périmètre ne peuvent donc pas en bénéficier.

Le Comité Paralympique et Sportif Français communique beaucoup sur les sommes investies pour favoriser la pratique sportive des personnes en situation de handicap…

En réalité, 160 à 170 millions d’argent public ont été investis pour les Jeux paralympiques et pour permettre à la France de briller lors de l’événement. Je constate que le Comité paralympique et sportif français communique beaucoup sur le dispositif Club inclusif, dont le budget n’est que de 2,2 millions d’euros. Sept ou huit fois plus d’argent a été investi pour la haute performance et la préparation des athlètes aux Jeux paralympiques.

« Seule la filière « Activité Physique Adaptée », créée dans les années 1980 par les Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), forme des professionnels sur le sujet qui doivent pallier les lacunes des autres filières. »

De même, on manque d’ambition pour combler le déficit d’encadrement : un rapport officiel sur le sujet propose de recruter 1 000 personnes en service civique pour encadrer les personnes handicapées dans les clubs. Les politiques publiques sont largement sous-dimensionnées.

Qu’en est-il de la formation des superviseurs ?

La thématique de l’inclusion est absente de la formation des encadrants sportifs, notamment pour le Brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS), bien qu’une loi de 1984 impose un enseignement sur la question du handicap. De même, les facultés de sciences du sport sont organisées en cinq filières et la problématique du parasport et du sport adapté ne les imprègne pas toutes.

Seule la filière « Activité Physique Adaptée », créée dans les années 1980 par la Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), forme des professionnels sur le sujet qui doivent pallier les lacunes des autres filières.

Mais, au-delà de la formation des professionnels, une transformation sociale majeure est nécessaire pour que l’égalité d’accès des personnes handicapées, quelle que soit leur nature, soit considérée comme naturelle et normale par l’ensemble de la population.

L’établissement d’enseignement peut-il contribuer à cela ?

Au primaire, les difficultés à mettre en place des cours d’éducation physique et sportive (EPS) sont majeures, et donc, a fortiori, à inclure les élèves en situation de handicap. Au secondaire, les enseignants qui recherchent des solutions d’inclusion ne se sentent pas forcément soutenus par l’équipe éducative. Ils disposent de moins d’éducateurs aux élèves en situation de handicap (AESH) que dans d’autres disciplines. Aujourd’hui, les écoles souffrent d’un manque de ressources humaines et de compétences pour être véritablement inclusives.

Notre société est bâtie sur des normes valables. Tout comme l’institution scolaire, les parents et les professionnels de la santé considèrent comme normal que les enfants en situation de handicap soient dispensés de sport durant leur scolarité.

En termes d’image et de visibilité des personnes handicapées, un événement très médiatisé ne peut-il pas avoir des effets positifs ?

En effet, lors des Jeux paralympiques, on voit des personnes avec des corps qui sortent des normes en vigueur, mais dans un cadre très spécifique, avec un rôle particulier, que seuls quelques élus à l’échelle internationale peuvent tenir. Ce sont des sportifs de très haut niveau, peu représentatifs de l’ensemble des personnes handicapées.

Je ne pense donc pas que leur image puisse influencer les interactions entre les personnes valides et les personnes handicapées dans la société. La vraie question est de savoir pourquoi nous avons besoin des Jeux paralympiques pour voir des personnes handicapées ? Pourquoi n’en voyons-nous pas plus dans la rue, à la télévision, à l’école ou au travail ?

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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