Le secteur, plus vaste que celui du cinéma et de la musique réunis, traverse une crise sans précédent. Des licenciements se succèdent depuis plus d’un an dans plusieurs pays, malgré une croissance stable du marché mondial en 2023.
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Plus de 11.000 salariés de l’industrie du jeu vidéo ont été licenciés dans le monde depuis le début de l’année, selon le site spécialisé Game Industry Layoffs. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter depuis l’an dernier, alors que s’ouvrait mercredi 21 août à Cologne (Allemagne) la Gamescom, l’un des plus grands salons du secteur. Le secteur, qui pesait 168 milliards d’euros à l’international en 2023 selon le cabinet spécialisé Newzoo, connaît un ralentissement du marché après le boom lié aux confinements pendant la pandémie de Covid.
« C’est sans précédentobserve Héloïse Linossier, journaliste spécialisée dans les jeux vidéo et cofondatrice du média Origami. C’est une crise que le jeu vidéo n’a pas connue depuis au moins trente ans. Le secteur affiche toutefois une croissance mondiale assez stable de 0,6 % en 2023.
La fin de la parenthèse dorée du Covid
« Ce n’est pas pour rien que cela apparaît quelques années après le Covid, dans le sens où la crise sanitaire a été une période très faste pour les jeux vidéo, puisqu’on était tous enfermés à la maison. Les studios se sont vraiment enrichis, et il y a eu énormément d’investissements, elle dit. Il y a beaucoup de jeux qui sortent, et donc il y a beaucoup de concurrence, même entre les plus petits jeux. Mais l’amélioration a été de courte durée, avec comme conséquence une surproduction. Le temps moyen passé par un utilisateur devant son écran est passé de 12 à 16 heures par semaine pendant la Covid, avant de retomber à 13 heures en 2022.
Un secteur de plus en plus concentré
« Il y a également eu une concentration d’entreprises dans le secteur, avec de nombreuses acquisitions ces dernières années. » Fin 2023, Microsoft a racheté le développeur et éditeur Activision Blizzard King pour plus de 63 milliards d’euros, créant ainsi le numéro 3 mondial du jeu vidéo. Mais en janvier, le nouveau géant a supprimé 1 900 emplois. Il s’agit de l’un des nombreux licenciements des mois suivants dans le secteur. Un groupe est emblématique de la crise actuelle : Embracer. Surnommé « l’ogre du jeu vidéo » en raison de ses multiples acquisitions, l’entreprise suédoise a fini par accumuler les difficultés financières. Résultat : « 4 500 licenciements, 44 studios fermés et plusieurs dizaines de projets en développement annulés. C’est assez colossal. »
La crise du secteur s’étend sur une grande partie du globe. « Les quatre zones les plus touchées sont les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne et la Pologne, un pays où il y a beaucoup de production », rappelle le journaliste spécialisé. La France est également concernée, mais « Le licenciement n’est pas aussi simple à réaliser qu’au Canada par exemple, car nous avons un Code du travail qui protège actuellement un peu mieux les salariés. »
Investissements risqués
De plus, les GAFAM, ces géants du numérique comme Amazon ou Facebook, n’ont pas toujours fait les bons choix d’investissement. « Ce sont des gens qui sont arrivés avec une grille de lecture qui ne correspond pas à celle du jeu vidéo en termes de réussite, déclare Héloïse Linossier. Google a beaucoup investi dans les jeux vidéo et a même créé sa plateforme de cloud gaming, qui s’appelait Stadia. Mais elle n’existe plus, elle n’a pas fonctionné. » Les studios rachetés par Google ont été fermés dans la foulée. Mais dans le domaine des jeux vidéo, « Il faut être patient, tout n’est pas immédiatement rentable. » Amazon a acheté Twitch, la plateforme de streaming, qui n’est toujours pas rentable.
Certains studios se sont lancés dans d’autres investissements risqués, comme l’intégration de cryptomonnaies et de NFT dans leurs jeux, ces objets numériques convoités pour leur rareté, et donc leur valeur. Ce fut notamment le cas du géant français Ubisoft avec Quartz, son propre système d’achat de NFT, qui permettait de personnaliser son expérience de jeu. « Cela a été très mal reçu par les joueurs et aussi par une bonne partie des développeurs qui n’étaient pas du tout d’accord avec ce système, ajoute Héloïse Linossier. Nous ne jouons pas pour gagner de l’argent et nous savons très bien qui va gagner de l’argent grâce à cela. Et ce ne sont pas vraiment les joueurs.
Le coût des jeux en question
Cette crise pourrait être l’occasion de revoir certains codes de l’industrie, notamment le coût des jeux. Le budget de la dernière version de Spider-Man sur PlayStation, par exemple, était de 300 millions de dollars, soit trois fois plus que sa première version, sortie en 2018. « Pourquoi continuons-nous à faire des jeux vidéo plus longs, plus chers et plus sophistiqués ? elle se demande. C’est un risque énorme de passer six ans à développer un jeu qui va durer des centaines d’heures. Pourquoi ne pas réduire les efforts ? Certains joueurs pourraient se plaindre, mais ce serait vraiment un système de production beaucoup plus sain.