pourquoi le prix du baril baisse et pourquoi personne ne s’inquiète
Les prix du pétrole brut ont récemment atteint leur plus bas niveau depuis six mois et les compagnies pétrolières font état de résultats décevants. Ni la géopolitique ni l’urgence climatique ne suffisent à les faire grimper.
Il n’y a donc eu qu’une bulle, qui a duré environ un an et demi. Après s’être stabilisé autour de 100 dollars en 2022 et même avoir atteint 120 dollars au plus fort des craintes liées à la guerre en Ukraine, le pétrole est revenu à des niveaux normaux en 2024. Le baril de Brent de la mer du Nord oscille autour de 80 dollars depuis janvier, un niveau médian depuis les années 2000.
Oubliés donc les super profits des compagnies pétrolières : le baril de WTI (West Texas Intermediate) américain a suivi la même courbe, avec une clôture moyenne cette année autour de 78 dollars – il était à 94 en 2022.
Pourtant, la demande, principal facteur de fixation des prix, ne fait pas défaut. Selon l’Agence internationale de l’énergie, elle devrait croître jusqu’en 2030.
« Il y a une vraie décorrélation entre prix et demande : les données sont bonnes, la consommation continue d’augmenter. Nous sommes certains que 2024 battra des records, et il est très probable que ce soit encore le cas en 2025 », souligne Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS.
Côté production, tout est également mis en place par les pays producteurs pour créer de la rareté – et donc des prix élevés – sur les marchés internationaux. Une baisse de production a été décidée par le cartel OPEP+ (12 membres de l’OPEP, plus des membres invités dont la Russie), de 1,65 million de barils par jour (la consommation mondiale est de 103 millions de barils par jour), et sera prolongée jusqu’en 2025. A cela s’ajoutent des baisses temporaires de 2,2 millions de barils, prolongées jusqu’en septembre.
Pas de quoi faire mécaniquement grimper le prix du pétrole, cependant, alors que l’Opep+ contrôle 40% de la production mondiale. Le cartel pourrait être tenté d’étendre encore ses restrictions pour tenter de compenser la baisse des prix.
« La question de la mise en œuvre effective de cette décision dépend toutefois des conditions de marché. La chute de 12% des prix du pétrole depuis début juillet, déclenchée par des inquiétudes sur la demande, devrait inciter l’Opep+ à ajuster à nouveau sa politique d’offre de pétrole », prévient l’institut IFP Energies Nouvelles dans son dernier point de marché.
Des forces contradictoires
La stagnation, voire la baisse du prix du baril, ne dépend donc pas des forces habituelles de l’offre et de la demande, mais de variables macroéconomiques. «Depuis plusieurs mois, des forces contradictoires s’opposent. Les forces à la hausse, qui sont géopolitiques, s’accentuent progressivement. Les forces à la baisse sont liées à la santé économique de la Chine et des Etats-Unis», analyse Francis Perrin.
Les tensions géopolitiques devraient en effet faire exploser le cours de l’or noir : la situation extrême à Gaza vient d’être relayée par l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh, le chef de la section politique du Hamas, à Téhéran. Le Hamas, suivi par le Hezbollah et le régime iranien lui-même, promet des représailles sur Israël. Avec deux conséquences sur le marché pétrolier : d’un côté, l’Iran risque d’être déstabilisé dans sa production, alors que son pétrole est soumis aux sanctions occidentales, et qu’il est le premier fournisseur de brut de la Chine. De l’autre, les rebelles houthis en mer Rouge pourraient multiplier les attaques contre les pétroliers, dans un trafic déjà perturbé ces derniers mois.
« La question est de savoir si l’Iran sera accompagné par le Hamas et le Hezbollah, s’il utilisera des drones, si des milices chiites en Irak ou en Syrie pourraient également être actives », a ajouté Francis Perrin.
Mais face à ces considérations, qui auraient dû pousser le baril vers le haut, d’autres inquiétudes opposées se font jour. La prime de risque géopolitique s’est en effet légèrement dégonflée ces derniers jours, au moment où, à l’inverse, la santé économique des Etats-Unis inquiète les marchés : les mauvais chiffres de l’industrie et de l’emploi, au plus bas depuis deux ans, posent la question d’un ralentissement durable de la première économie mondiale. Et d’une potentielle erreur de la Fed, qui a maintenu ses taux très élevés.
La situation est identique en Chine, où la croissance ralentit structurellement et pourrait peiner à atteindre les 5 % promis par Xi Jinping. L’immobilier, secteur clé de cette croissance, est à la peine, à l’image du géant Evergrande, et le Parti ne parvient pas à relancer la consommation au sein du pays. En pleine transition vers un modèle où elle consomme chez elle et se spécialise dans les industries vertes clés (éoliennes, panneaux, batteries, voitures), la Chine peine à compter sur ses citoyens et doit faire face à des enquêtes pressantes de ses concurrents. Autant de nuages qui freinent sa croissance et sa consommation de pétrole.
Les compagnies pétrolières n’ont aucun doute
Le prix du baril commence aussi à influencer les résultats des entreprises du secteur. Après deux années d’euphorie et de « super profits », Totalénergies annonce un bénéfice net en baisse de 15% – certes, toujours à 9,8 milliards de dollars. Et Shell, son rival britannique, accuse une baisse de 8% de son bénéfice. Le pétrole n’est pas le seul facteur, puisque le gaz arrive notamment en tête des baisses. Mais le mouvement est général. Les sociétés américaines ExxonMobil et Chevron ont vu leurs raffineries réduire leurs marges, de 10 et 20% depuis le début 2024. Ce qui a notamment conduit le premier à vendre son site français de Fos-sur-Mer – avec un plan social à la clé.
La période un peu moins favorable ne devrait toutefois pas perturber leurs pratiques et stratégies. « Le prix n’est pas si mauvais pour les compagnies pétrolières, on a vu pire pendant la pandémie par exemple, estime Francis Perrin. Les États producteurs peuvent vivre avec un baril à 70 dollars. »
LE majeures Les géants du pétrole ont même décidé de se relancer, avec une hausse de la production prévue dans la quasi-totalité de leurs feuilles de route. L’organisme Carbon Tracker a ainsi répertorié les projets menés par les plus grosses firmes : ConocoPhilips, le pire élève d’un point de vue écologique, promet une hausse de 47 % de sa production d’ici 2030. Chevron vise 33 %, tandis que Totalénergies vient de lancer deux mégaprojets en Angola et en Ouganda.
Ils ont aussi les poches pleines depuis la guerre en Ukraine, ce qui leur permet de se concentrer sur les investissements… Dans les hydrocarbures : ainsi, le mouvement de concentration en cours aux Etats-Unis a vu plusieurs méga-rachats avoir lieu, que la baisse des prix n’aura pas immédiatement impactés. ConocoPhillips a annoncé le rachat de Marathon Oil pour 17 milliards en mai ; Chevron a racheté Hess pour 53 milliards ; Exxon a repris Pioneer pour 60 milliards de dollars. majeures sont donc d’autant mieux armés pour résister aux turbulences des prix qu’ils se sont renforcés en rachetant des indépendants aux portefeuilles juteux.
Prix bas, transition ratée ?
Le grand perdant de cette histoire ? Le climat, sans doute. Des prix bas, mais pas assez bas, sont la recette parfaite pour que rien ne change : pas de contestation sociale, pas de remise en cause du modèle économique des compagnies pétrolières. « Aucune compagnie pétrolière n’a renoncé à sa stratégie de diversification, mais on peut réduire son rythme », souligne Francis Perrin.
Le secteur a globalement choisi de poursuivre son chemin, quels que soient les enjeux climatiques : de belles opportunités existent encore dans le schiste (pétrole non conventionnel) aux Etats-Unis, ou à l’étranger, comme en témoignent les découvertes très significatives réalisées par ExxonMobil en Guyane ces derniers mois. Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, estime qu’il faut ouvrir de nouveaux champs pétroliers car les champs actuels perdent 4% de leur production chaque année, et la demande stagne.
Mais selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), cette demande devrait atteindre son pic en 2030. Elle met en garde contre d’importantes surcapacités d’ici la fin de la décennie.
« Les compagnies pétrolières devraient s’assurer que leurs stratégies et leurs plans d’affaires sont préparés aux changements en cours », a déclaré son dirigeant, Fatih Birol, qui est très critique à l’égard de la majeures.
Ils ne sont pas menacés pour l’instant, mais la baisse des prix résultant d’une récession aux États-Unis, ou de la transition énergétique en Asie notamment, pourrait finir par les affecter fortement. D’autant que le changement climatique influence déjà la fixation des prix : selon une étude publiée en 2023, le changement climatique induit déjà une volatilité des prix bien plus importante sur le marché.