Les grandes salles de la COP 29 en cours de démontage, au pied du stade olympique de Bakou, rappelaient momentanément l’état glacial des relations diplomatiques entre l’Azerbaïdjan et la France. Le gouvernement Barnier n’avait envoyé aucun représentant au sommet censé œuvrer à la protection de la planète dans une capitale où tout ressortissant de notre pays est considéré comme un soutien potentiel à la cause arménienne.
Cela ne s’applique pas à tout le monde. Pour Yassine Benzia et Abdellah Zoubir, les deux Français du Karabagh FC, le durcissement très net des positions n’a abouti qu’à la fermeture de l’école française de Bakou et au « transfert » de leurs enfants dans l’équivalent américain. .
Dans leur quotidien, rien n’a changé. « C’est un pays qui aime le football, beaucoup de gens m’arrêtent dans la rue, explique la seconde, qui débute ici sa septième saison. Je ne ressens aucune tension, je n’ai jamais eu de commentaire déplacé. J’habite sur la côte, il y a tous les restaurants, comme en France, il fait bon vivre. C’est calme et côté sécurité, c’est super, il n’y a rien à dire. »
« Quand vous venez ici, vous signez dans un club spécial. A notre arrivée, le coach nous explique l’histoire de cette équipe. »
Le Karabakh FC n’est pas un club ordinaire, comme son nom l’indique : c’est celui d’un territoire dont l’Azerbaïdjan se considérait expulsé et qu’il a entièrement reconquis en 2023, poussant la communauté arménienne (environ 100 000 personnes) à l’exil. « Quand vous venez ici, vous signez dans un club spécial. A notre arrivée, le coach nous explique l’histoire de cette équipe.. Nous sait que le club a été transféré à Bakou à cause de la guerre, qu’il y a eu des répercussions »explique Benzia.
La voix du coach local porte. Gurban Gurbanov, meilleur buteur de l’histoire de l’Azerbaïdjan (14 buts en 68 sélections), dirige depuis 2008 ce qui s’appelait alors le FC Karabagh Agdam. Ville d’origine du club, devenue ville fantôme en 1994. Il y a deux ans, il a débuté sa conférence de presse, avant de recevoir Nantes, par un discours sur la solidarité des joueurs avec les combattants, alors que le conflit allait reprendre.
Maintenant que l’Azerbaïdjan a reconquis le Haut-Karabakh par la force, plus personne n’envisage de délocaliser l’équipe dans ce territoire enclavé, où elle a encore joué pour la première fois la saison dernière, pour un match de Coupe nationale. Le président Ilham Aliev en a profité pour inaugurer un stade décoré d’un immense slogan : « Le Karabakh est azerbaïdjanais. »
Mais la réappropriation des lieux ne passera pas par le football. L’équipe ne quittera pas Bakou, épicentre du Championnat national (7 équipes sur 10 sont basées dans la capitale) et emplacement idéal pour s’étendre en Europe, obsession du club. «Voici le projet de Coupe d’Europe, note Zoubir. Le club est ambitieux, c’est sa onzième saison consécutive en Coupe d’Europe, et c’est quelque chose qui me passionne beaucoup. Les vrais matchs où l’on s’amuse, c’est ceux du jeudi soir. J’ai joué contre Arsenal, Leverkusen, Tottenham, Villarreal. Mais je n’ai jamais vécu la Ligue des champions, j’ai été éliminé deux fois en barrages, et j’aimerais bien la vivre avec le Karabagh. » Ce club qui s’est imposé dans le paysage en menant un combat qui le dépasse.