Pourquoi le déficit continue-t-il de se creuser et « risque-t-il de dépasser 6% du PIB » cette année ?
Selon le ministre du Budget Laurent Saint-Martin, le déficit budgétaire de l’Etat pour l’année en cours sera bien plus élevé que les trajectoires initiales annoncées par le gouvernement précédent.
Alors qu’il doit préparer d’urgence le budget 2025, le nouveau gouvernement a hérité d’une situation économique particulièrement délicate. Et même pire que ce qui avait été annoncé ces dernières semaines. « En 2024, le déficit public (l’écart entre les recettes fiscales de l’État et ses dépenses) risque de dépasser 6% du PIB (production économique en France)selon les dernières estimations dont nous disposons »a déclaré le ministre chargé du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, mercredi 25 septembre, devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale.
Le déficit sera donc bien supérieur à ce qui était anticipé dans la trajectoire budgétaire initiale du précédent gouvernement, qui tablait sur un trou équivalent à 5,1 % du PIB (après les 5,5 % de 2023). Début septembre, Bruno Le Maire avait déjà annoncé une première hausse du déficit anticipé pour 2024, passant de 5,1 % à 5,6 %. Le déficit est également bien supérieur au seuil de 3 % du PIB fixé par l’Union européenne, que la France n’a respecté que sept fois depuis son adoption en 1992. Comment expliquer un tel dérapage ?
Des recettes fiscales inférieures aux prévisions
Pour justifier cet écart, Laurent Saint-Martin évoque largement les causes déjà énumérées le 9 septembre par l’ancien ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, et son ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave. Mais leur impact sera clairement plus important que prévu. Parmi les deux « principales raisons » mentionné, les recettes fiscales seront finalement « moins important » que dans la trajectoire budgétaire initiale.
Laurent Saint-Martin attribue cet écart à la « composition » croissance : la hausse du PIB français en 2024 dépend in fine Les exportations devraient être plus importantes que prévu. Or, qui dit exportations, dit absence de TVA. A taux de croissance égal, les impôts collectés pour le budget seront donc moins élevés, explique le ministre.
Mais « La composition de la croissance n’est pas l’explication principale » La surestimation des recettes fiscales est un point qui ressort pour franceinfo d’Eric Heyer, directeur du département d’analyse et de prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Selon lui, l’écart entre déficit anticipé et déficit réalisé est en grande partie dû à une mauvaise anticipation d’un paramètre précis : l’élasticité des recettes fiscales à la croissance, c’est-à-dire la manière dont l’évolution de l’activité économique entraîne avec elle l’évolution des recettes.
« En moyenne, sur le long terme, une hausse de 1 % de la croissance entraîne une hausse de 1 % des recettes fiscales. Mais d’une année sur l’autre, cette relation peut être différente. »explique cet expert. Cela fait donc partie des paramètres que le gouvernement tente d’anticiper afin de calculer au mieux son budget pour l’année suivante. Cependant « En 2021 et 2022, nous avons eu de bonnes surprises : à croissance égale, nous avons eu des recettes fiscales bien supérieures aux prévisions, l’élasticité est passée à 1,5. »
« Plusieurs observateurs ont attribué cette agréable surprise à la politique de baisse d’impôts du gouvernement, fondée sur le principe « trop d’impôt tue l’impôt », qui a encouragé l’exécutif dans cette stratégie. Sauf qu’ils avaient crié victoire beaucoup trop tôt, et voilà que l’élasticité des recettes fiscales à la croissance est retombée en dessous de 1. »note Eric Heyer.
Les dépenses des collectivités locales en hausse
Deuxième raison évoquée par le ministre du Budget : les dépenses des collectivités locales « plus haut que la trajectoire prévue ». Bruno Le Maire a même parlé d’une « augmentation extrêmement rapide »OMS « pourrait à lui seul dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d’euros » – un chiffre repris par Laurent Saint-Martin.
Les élus locaux contestent toutefois cette responsabilité. « Les municipalités ont l’obligation de voter un budget équilibré, et donc d’avoir un niveau de recettes équivalent à leurs dépenses »Frédérique Macarez, maire LR de Saint-Quentin (Aisne) et vice-présidente de l’association des élus locaux Villes de France, le rappelle à France 2. Mais « Il est faux de dire que c’est interdit (aux communautés) être en déficit et qu’ils ne peuvent pas combler le déficit public »a insisté Thomas Cazenave lors de son audition devant la commission des finances de l’Assemblée, rappelant que ce budget pourrait déraper en cours d’année, en raison de la hausse des coûts ou d’une anticipation erronée.
Désormais, les collectivités pointent à leur tour du doigt l’État, à qui elles attribuent des mesures coûteuses, comme la revalorisation des salaires des fonctionnaires, sans compensation financière. « Quand l’État prend ce type de décision, il doit absolument prévoir un certain montant de recettes d’indemnisation »explique Stéphane Troussel, président PS du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, à France 2. « Mais ce n’est absolument pas ce qu’il a fait. Il a fait encore pire en privant les autorités locales de revenus au fil des ans », dénonce l’élu.
Des réductions d’impôts non financées
Pour Eric Heyer, il est de plus en plus difficile d’utiliser les crises sanitaire ou inflationniste comme explication au déficit actuel, puisque la plupart des mesures prises en conséquence ont été interrompues.
En revanche, l’économiste rappelle le poids de mesures encore plus anciennes. « Il y a eu un certain nombre de baisses ou d’annulations d’impôts prévues depuis 2019, qui datent d’avant la crise sanitaire et qui sont entrées en vigueur alors qu’aucune tentative n’a jamais été faite pour trouver un financement pour compenser la perte de recettes. »note l’économiste. Il cite par exemple « l’annulation de la taxe d’habitation pour les 20 % les plus riches, les baisses d’impôts de production, l’augmentation de la prime d’activité en réponse aux ‘gilets jaunes’, ou encore l’annulation de la taxe carbone sur les carburants en 2019, qui devait normalement servir à financer un certain nombre de mesures qui n’ont pas été annulées en face ».
L’incertitude politique qui freine les acteurs économiques
Selon Laurent Saint-Martin, le creusement du déficit public s’explique également par « l’attentisme des acteurs économiques depuis plusieurs mois ». Les entreprises sont toujours confrontées à des taux d’intérêt plus élevés qu’il y a quelques années, malgré les récentes baisses du taux directeur de la Banque centrale européenne, ce qui n’encourage pas l’investissement.
Ils ont également suspendu de nombreux investissements et embauches cet été en raison de l’incertitude politique, en attendant de savoir quel Premier ministre succéderait à Gabriel Attal, assure le ministre du Budget. « Et moins d’activité signifie moins de revenus. »