pourquoi la surpopulation carcérale atteint un niveau sans précédent en France
Le phénomène s’explique principalement par l’augmentation de la durée de détention. Elle persiste depuis des années et inquiète les avocats à l’approche des Jeux olympiques de Paris.
Un nouveau record battu. Au 1er avril, la France comptait 77 450 détenus, selon les chiffres publiés mardi 30 avril par le ministère de la Justice. Selon ces statistiques, 3 307 détenus sont contraints de dormir sur un matelas posé à même le sol de leur cellule. Parmi les personnes incarcérées, 20 438 sont des prévenus en attente de jugement.
C’est dans les maisons d’arrêt – où sont majoritairement incarcérés les jeunes hommes, en détention provisoire ou condamnés à des peines n’excédant pas deux ans – que le phénomène est le plus marqué. En avril, la densité carcérale atteint, voire dépasse, 200 % dans 17 établissements ou quartiers. Avec 321 détenus pour 114 places, soit une densité carcérale de 281,6%, L’établissement le plus surpeuplé de France est le centre pénitentiaire de Majicavo, situé au nord de Mamoudzou, à Mayotte.
Vient ensuite la maison d’arrêt de Carcassonne. Puis le centre pénitentiaire de Gradignan (Gironde). Dans cet établissement, qui compte aussi parmi les plus vétustes, on compte trois détenus par cellule de 9 m2. Chez les agents d’encadrement, les arrêts maladie se multiplient, rapporte France 3 Nouvelle-Aquitaine. La maison d’arrêt de Nîmes connaît une situation similaire, tout comme les établissements pénitentiaires de Gagny (Seine-Saint-Denis)Fresnes (Val-de-Marne), Tulle (Corrèze), Foix (Ariège) ou encore Perpignan.
Un nombre de détenus qui ne cesse d’augmenter
Dans un courrier envoyé le 8 avril, des avocats franciliens ont interrogé le garde des Sceaux à ce sujet. « une promiscuité révoltante ». Ils alertent Eric Dupond-Moretti sur les risques de « suicide », « violence » ou même « mutinerie généralisée », « aggravée par la possibilité d’une canicule au cœur de l’été ». Le problème ne devrait pas s’améliorer pendant les Jeux olympiques de Paris, car le monde judiciaire s’attend à davantage de délinquance et donc à davantage d’incarcérations. Pour ces avocats, il faut donc « mettre fin à cette surpopulation carcérale chronique »OMS « augmente sans interruption depuis plus de 20 ans ».
« La courbe du nombre de détenus est en hausse : au début des années 1980, il y a eu une poussée », confirme Ivan Gombert, secrétaire national de FO-Direction, le syndicat des directeurs des services pénitentiaires. Pour décrire ce phénomène, Annie Kensey, démographe et chercheuse associée au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, n’hésite pas à prendre la parole. « de l’inflation carcérale ».
Depuis 1990, la tendance ne s’est inversée que deux fois. D’abord, lorsque les peines d’emprisonnement pour les courtes peines ont chuté drastiquement au tournant des années 2000. « La durée moyenne de détention augmente en même temps que les incarcérations diminuent »analyse Annie Kensey à l’époque. L’autre raison vient de la décision d’accorder deux grâces présidentielles collectives en 1999. Depuis 1988, entre 3 000 et 4 000 détenus ont été graciés pour le 14 juillet. Aujourd’hui, ce principe, qui jouait un rôle de soulagement pour les établissements pénitentiaires surpeuplés, n’existe plus. : en 2007, Nicolas Sarkozy, tout juste élu président, supprime le décret de grâce, rompant avec une tradition héritée de la monarchie. .
C’est le contexte sanitaire lié à l’épidémie de Covid-19 qui explique la deuxième baisse du nombre de détenus, mesurée en janvier 2021. Afin de réduire les clusters en prison, une libération anticipée de deux mois pour les personnes en fin de peine est décrété. Dans le même temps, l’activité judiciaire ralentit, ce qui limite les arrivées en détention. Annie Kensey observe une baisse de 13 000 détenus durant cette période : 6 500 libérés prématurément et 6 500 qui ne sont pas entrés. Dans le même temps, le chercheur constate un effet boomerang, « puisque nous avons condamné ces gens après ».
Des phrases de plus en plus longues
Depuis la pandémie, le démographe constate que le nombre de personnes entrant en prison s’est stabilisé, autour de 25 000 personnes par trimestre. La surpopulation carcérale n’est donc pas provoquée, comme cela a pu se produire dans le passé, par un recours accru à l’incarcération. « Pour l’instant, l’inflation carcérale n’est liée qu’à des durées de détention plus longuesexplique Annie Kensey. Au cours des deux dernières années, le nombre de personnes condamnées à moins de six mois a diminué, mais tout le reste a augmenté, notamment les peines d’un à deux ans. »
« Les juges imposent des peines plus longues pour garantir que la personne aille en prison. »
Annie Kensey, démographe et chercheusesur franceinfo
Le chercheur voit « Effets secondaires » de la loi de programmation et de réforme de la justice promulguée en 2019, qui rend obligatoire la modification de la peine lorsqu’elle est inférieure ou égale à six mois, mais l’interdit au-delà d’un an d’emprisonnement. Ainsi, la durée moyenne de détention est passé de 8,5 mois à près de 12 mois en 2020.
« Nous avons créé de nouveaux aménagements de peines, mais nous avons rempli les prisons », souligne Ivan Gombert. Pour le syndicaliste, lorsqu’une personne est condamnée à une peine avec sursis sans être incarcérée, elle « ne voit pas la contrainte ». C’est seulement après avoir multiplié « petits délits » qu’elle passe « à travers la boîte de la prison. » « Du coup, on se retrouve avec des peines plus longues », déplore-t-il. Une tendance qui contraste avec certains de nos voisins européens : en 2021, la durée moyenne de détention était de 4,5 mois en Allemagne, contre un peu plus de 10 mois en France, selon les statistiques du Conseil de l’Europe.
Une promesse de créer des lieux à conserver
Ces peines plus courtes, Béatrice Brugère, secrétaire générale de l’Unité-Magistrats FO, souhaiterait les voir appliquées en France. Co-auteur avec Ivan Gombert d’une chronique dans Marianne sur la surpopulation carcérale, elle juge qu’aujourd’hui, « La prison sert simplement à mettre certains individus à l’abri de la société pour un temps. » Le Syndicat de la Magistrature partage ce constat, sans toutefois avancer les mêmes solutions. Il souhaite plutôt « Redonner du sens à la douleur »avec « un vrai travail socio-éducatif ».
Ni la détention à domicile sous surveillance électronique, ni la libération sous contrainte de plein droit, qui permet une libération anticipée à l’issue de la peine, ne permettent actuellement de réduire l’incarcération, explique Nelly Bertrand, secrétaire générale du Synicat de la magistrature. Les conditions ne sont pas non plus réunies pour éviter la récidive, bien au contraire. Le syndicat, classé à gauche, va plus loin : si l’on veut moins de détenus dans les prisons, il faut revoir toute la politique pénitentiaire.
De son côté, pour endiguer le phénomène, le ministère de la Justice mise sur la création de 15 000 nouvelles places de prison d’ici 2027. Ce plan, né d’une promesse d’Emmanuel Macron lors de sa première campagne présidentielle, continue d’être mis en œuvre par Eric Dupond- Moretti.
« Les objectifs d’Eric Dupond-Moretti sont de réduire la surpopulation carcérale, d’assurer l’efficacité de la réponse pénale et d’améliorer les conditions de travail des surveillants ainsi que les conditions de détention. »
Le ministère de la Justicesur franceinfo
Entre 2017 et 2023, 19 établissements ont été mis en service. Quatre le seront cette année. Le ministère assure également que 886 places supplémentaires, réparties dans plusieurs établissements en Ile-de-France, à Caen et Troyes, seront opérationnelles à l’ouverture des JO de Paris. Mais aux yeux du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, « plus on construit, plus on remplit ». D’autant plus que ces nouvelles places de prison coûtent « horriblement cher »selon Dominique Simonnot.
Le ministère de la Justice assure d’activer d’autres « leviers » et faits saillants « la diversification de l’offre de peines » et les alternatives à l’incarcération. « Près de 200 000 personnes sont surveillées en milieu ouvert », illustre-t-il. La chancellerie prend également pour exemple le développement accru des travaux d’intérêt général (TIG), avec la création d’une agence nationale dédiée et une offre de postes TIG portée à 39.600 en 2023, contre 26.000 deux ans plus tôt. L’administration pénitentiaire poursuit également ses efforts « politique volontariste »qui vise à répartir les condamnés des maisons d’arrêt vers les centres de détention, afin d’optimiser les places disponibles.
L’inquiétude des institutions européennes
Insuffisant, souligne la Cour des comptes. Dans un rapport publié l’automne dernier, elle estimait que « l’impact » de la « leviers » géré par les pouvoirs publics « est resté limité jusqu’à présent »tout en reconnaissant que les causes de cette situation « Une surpopulation carcérale persistante » sont « complexe ». « Certains crimes et délits font l’objet d’une répression accrue, comme les violences conjugales, les délits routiers ou les violences contre les forces de l’ordre. L’augmentation du recours aux comparutions immédiates et le maintien d’un niveau élevé de taux de détention provisoire renforcent cette tendance. », analyse la Cour des comptes. Le tribunal dénonce en outre un « une forme de ‘plafond de verre’ pour les aménagements de peines » et note que les juges privilégient « l’incarcération pour une population marquée par la récidive et la précarité ».
Le problème dépasse nos frontières : à plusieurs reprises, la France a été pointée du doigt par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour ses conditions de détention et pour la surpopulation carcérale. Preuve que le phénomène ne semble pas s’inverser, la CEDH mentionne, dans sa décision datant de juillet 2023, ne pas voir « aucune raison de parvenir à une conclusion différente ». Le Conseil de l’Europe a également récemment exprimé son « profonde préoccupation » et a invité les autorités françaises à « examiner sérieusement et rapidement l’idée d’introduire un mécanisme national contraignant de régulation pénitentiaire ».
« La difficulté d’un tel système réside dans la mise en place d’un numéro clausus. Qui peut bénéficier d’une sortie de prison ? Comment décider lorsque plusieurs détenus ont la même date de fin de peine ? Cela contredit le principe d’individualisation de la peine. », rétorque le ministère de la Justice. Pour le Contrôleur Général des lieux de privation de liberté, le gouvernement « manque de courage politique ». Dominique Simonnot soupire : « J’espère que nous ne sortirons pas de cette situation au prix d’une tragédie. »