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pourquoi la sincérité du vote est remise en question par les ONG et les observateurs

pourquoi la sincérité du vote est remise en question par les ONG et les observateurs

Quel crédit faut-il accorder aux élections législatives en Géorgie, officiellement remportées par le parti au pouvoir, le Rêve géorgien ? Depuis samedi, la liste des irrégularités constatées lors du vote n’a cessé de s’allonger. La présidente Salomé Zourabichvili, pro-occidentale et opposée au gouvernement, a dénoncé, lundi 28 octobre, un système « sophistiqué » de fraude qui a permis, selon elle, de confisquer la victoire aux oppositions pro-européennes. Ce coup de force, a-t-elle poursuivi, est la mise en œuvre d’un « Méthodologie russe ».

Selon elle, la fraude concernait notamment le vote électronique, utilisé pour la première fois en Géorgie : on a retrouvé le même numéro de carte d’identité correspondant à « dix-sept voix, vingt voix, dans différentes régions »a déclaré le président géorgien. « Le jour du scrutin s’est déroulé dans un contexte de violations graves et substantielles »affirme également l’ONG Transparency International, membre de la coalition My Vote, qui regroupe une trentaine d’organisations impliquées dans l’observation de l’élection.

Lela Gogoladze a observé le vote à Rustavi, dans le bureau n°. 4, au nom de l’ONG Partenariat pour les droits de l’homme. « Des observateurs étaient présents au nom des organisations nouvellement créées liées au parti Rêve Géorgien et ont filmé l’ensemble du processus »explique-t-elle à franceinfo. Ils ont ainsi exercé une forme de pression psychologique sur les électeurs, estime la jeune femme, d’autant que le bulletin portait la marque du vote de manière transparente, avant de le glisser dans la machine. « Les gens savaient que leur choix était visible et qu’ils étaient filmés. »

Lela Gogoladze a également surpris un homme alors qu’il prenait une photo de son vote. « Il était nerveux, il était évident qu’il semblait accomplir une tâche. » Interrogé, un responsable du bureau de vote lui a demandé de montrer son téléphone : il venait de poster la photo de son vote en faveur de Georgian Dream dans un groupe WhatsApp, qui contenait d’autres photos similaires, envoyées par des anonymes. Pour la jeune femme, cela ne fait guère de doute : le parti au pouvoir a exercé des pressions en amont en ciblant les individus manipulables ou faibles.

Un homme envoie une image de son vote pour Georgian Dream dans un groupe WhatsApp dédié, le 26 octobre 2024, jour des élections législatives en Géorgie. (RD)

L’observateur cite également la présence constante d’un groupe d’hommes vêtus de noir, à l’extérieur du bureau, qui s’adressaient aux électeurs venus voter. « L’un d’eux, qui possédait un insigne d’une organisation liée à Georgian Dream, venait de temps en temps. » Lela Gogoladze partage ses interrogations sur ces allées et venues. Ensuite, ces individus « nous ont encerclés, nous criant dessus de manière agressive, nous accusant de vouloir ruiner le processus électoral. » Le chef de la commission électorale, a-t-elle déclaré, n’a jamais caché son penchant pour le parti au pouvoir, violant ainsi le principe de neutralité. Des scènes similaires ont été observées dans de nombreux endroits du pays.

Le jour même du scrutin, des images avaient déjà été largement partagées sur les réseaux sociaux, comme des bourrages d’urnes dans le village de Sadakhlo – où le vote a été invalidé – ou des échauffourées à Tbilissi, la capitale.

Un journaliste de la chaîne d’opposition Formula TV a été insulté à Khachouri et le rédacteur en chef de l’agence Mtisambebi a été empêché de filmer et agressé verbalement dans une autre ville. Mariam Dolidze, représentante du Mouvement national uni, parti d’opposition, a été agressée et hospitalisée alors qu’elle surveillait un bureau de vote à Tbilissi, selon le média indépendant Publika.

Un groupe d’hommes vêtus de noir a également déclenché une bagarre devant le bureau n°60 dans le quartier de Gldani à Tbilissi, a déclaré Kakha Betlemidze, qui y était observateur. « Cela s’est produit entre 15 et 16 heures et les gens ont été grièvement tabassés », explique-t-il à franceinfo, alors que les images ont été largement partagées. Par la suite, un député de l’opposition a déclaré avoir identifié un militant du Rêve géorgien. « Cinq personnes ont réussi à entrer malgré des traces d’encre »assure également le jeune homme, cette marque signifiant qu’ils avaient déjà voté ailleurs. « Je ne comprends même pas comment cela s’est produit. »

Sur les réseaux sociaux, de nombreux Géorgiens partagent leurs anecdotes derrière le mot-clé : « J’ai été témoin d’une élection truquée ». Un homme « un certain Dato, un criminel local, se cachait devant les 39ème et 40ème bureaux de vote »» dit par exemple un internaute. À un moment donné, il est entré et a tenté de pénétrer dans un isoloir où se trouvait une femme âgée. »puis l’affaire dégénéra, lorsque cet individu fit scandale. Les principaux groupes d’opposition ont, de leur côté, commencé à recueillir des témoignages d’électeurs. Ils accusent le parti au pouvoir de fraude et d’avoir « volé » les élections législatives.

Secret de l’isoloir violé, intimidations, présence d’intrus… Transparency International classe méthodiquement les documents dont elle dispose. Et peut ainsi dégainer des stratagèmes de fraude privilégiés. Certaines personnes, en particulier, « pourrait voter plusieurs fois au nom d’une autre personne »explique à franceinfo Eka Gigauri, directrice exécutive de l’ONG. « Les machines utilisées pour vérifier les cartes d’identité des électeurs ne fonctionnaient pas, ce qui leur permettait d’obtenir les numéros d’identification d’autres personnes » et votez à leur place.

Ce faisant, le nombre d’électeurs par bureau a donc été respecté. Mais cela nécessitait de connaître les numéros d’identification impliqués, poursuit Eka Gigauri. « Avant les élections, des centaines de milliers de personnes ont déclaré avoir reçu des menaces pour qu’elles divulguent leur numéro.» déclare le patron de Transparency International. En fin de compte, le parti au pouvoir disposait de milliers de numéros pouvant être utilisés le jour du scrutin.» Selon elle, il suffisait de faire pencher ou forcer une centaine de voix dans chacun des 3.100 bureaux de vote pour renverser le résultat national.

Le réseau d’observateurs dénonce également les entraves à leur travail, ainsi que les intimidations, voire les violences verbales ou physiques. « Les bureaux de vote étaient organisés de manière à nous empêcher d’observer les procédures d’identification et d’enregistrement des électeurs. Parfois, lorsqu’un observateur insistait pour s’approcher, il était contraint de quitter les lieux. » Eka Gigauri évoque également la présence massive de titouchkis, des voyous vêtus de noir, à proximité des bureaux de vote : « Ils ont exercé une pression psychologique sur les électeurs et se sont également montrés agressifs envers les observateurs et les médias, qui ont été attaqués. » Ces groupes, poursuit Eka Gigauri, ont été particulièrement actifs lorsque des irrégularités étaient constatées, afin d’éloigner les témoins.

« Il y a toujours des irrégularités, dans tous les pays »» a balayé le Premier ministre, Irakli Kobakhidze, dans une interview à la BBC. Le dirigeant a également assuré que seul « certains bureaux de vote » ont connu des incidents, sur 3.111 bureaux que compte le pays. Encore, « le jour du scrutin, nous avons reçu de nos observateurs plus de 900 rapports faisant état de violations des procédures électorales dans les 1 131 bureaux de vote où nous étions présents »» écrit la plateforme Mon Vote à l’Union européenne, qui regroupe une trentaine d’associations et de collectifs. Les violations ont même pris une « caractère répété, continu et systématique » dans au moins 196 bureaux de vote où se trouvaient ses observateurs, « ce qui a eu un impact significatif sur les résultats des élections ».

Est-il possible de l’évaluer ? Le chercheur Levan Kvirkvelia a publié une analyse statistique très marquante, au point d’être partagée par le président géorgien. Ses travaux ne permettent pas d’identifier d’anomalie majeure dans les villes (courbe claire), mais ils matérialisent cependant une aberration statistique dans les campagnes (courbe sombre). La piste de droite, surnommée « queue russe » par les statisticiens électoraux spécialisés dans la région, montre que le parti Rêve géorgien obtient des scores supérieurs à 85 % dans un très grand nombre de localités.

Cette répartition est d’autant plus inquiétante que la participation a atteint près de 100 % dans des centaines de localités, avec une quasi-unanimité des voix en faveur du Rêve Géorgien. L’auteur juge tel « scénario irréaliste pour des élections équitables ».

La commission électorale a finalement annoncé mardi qu’un recomptage partiel des voix allait débuter dans cinq bureaux de vote de chaque circonscription, soit 14% du total, tout en dénonçant un « Campagne d’information manipulatrice et infondée visant à tromper les électeurs » et en rejetant catégoriquement les accusations de fraude.

Les pays de l’UE ont en tout cas accueilli les résultats avec prudence. L’Allemagne a condamné « d’importantes irrégularités »alors que la France disait attendre les autorités géorgiennes « qu’ils enquêtent sur les irrégularités constatées avant et pendant le vote ». Toutes ces critiques n’ont pas empêché le président hongrois Viktor Orban de s’envoler rapidement pour Tbilissi, où il a célébré la victoire du rêve géorgien et salué les élections. « libre et démocratique ».

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