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Pourquoi la guerre dans la bande de Gaza affaiblit les relations entre Israël et l’Égypte

Pourquoi la guerre dans la bande de Gaza affaiblit les relations entre Israël et l’Égypte

Le Caire s’inquiète des conséquences de ce conflit se déroulant à sa frontière, craignant notamment un afflux de réfugiés gazaouis. Le début des opérations militaires israéliennes à Rafah accroît les tensions.

Ils se renvoient la balle. Le Caire et Tel-Aviv s’accusent mutuellement, mardi 14 mai, d’être responsables de la fermeture du point de passage de Rafah, le seul entre la bande de Gaza et l’Egypte, qui réduit drastiquement la quantité d’aide humanitaire qui entre dans l’enclave. « Le monde accuse la situation humanitaire en Israël, mais la clé pour éviter une crise à Gaza est désormais entre les mains de nos amis égyptiens. »a assuré le ministre israélien des Affaires étrangères Israel Katz, sur. En réponse, son homologue égyptien, Sameh Choukri, a dénoncé « catégoriquement la politique d’Israël consistant à déformer les faits et à éviter toute responsabilité ». Là « catastrophe humanitaire » dans l’enclave palestinienne est « le résultat direct des atrocités aveugles commises par les Israéliens »il ajouta.

Ces échanges illustrent la tension entre Le Caire et Tel-Aviv, dont les relations sont tendues depuis le début de l’opération militaire israélienne dans la bande de Gaza. L’Egypte est pourtant le premier pays arabe à avoir normalisé ses relations avec Israël et, depuis 1978 et les accords de Camp David, les deux voisins vivent en paix. « Avant le 7 octobre, l’Égypte a coopéré au blocus de Gaza imposé par Israël pendant 17 ans »rappelle Timothy E. Kaldas, directeur adjoint de Tahrir Institute for Middle East Policy, un groupe de réflexion basé aux États-Unis. Cette collaboration s’explique par la méfiance du Caire à l’égard du Hamas, ainsi que par sa dépendance « L’aide américaine, notamment militaire, est régulièrement conditionnée à l’acceptation des souhaits israéliens »note Thomas Vescovi, chercheur et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire d’Israël et des territoires palestiniens occupés.

Mais la vaste opération israélienne dans la bande de Gaza a eu de profondes répercussions en Égypte. Les attaques des rebelles Houthis du Yémen, en soutien au Hamas, ont « fortement perturbé » trafic maritime commercial en mer Rouge, note Timothy E. Kaldas, professeur de relations internationales et spécialiste de la politique étrangère égyptienne. Résultat, le nombre de cargos empruntant le canal de Suez a fortement diminué depuis décembre, selon l’office britannique des statistiques, avec de graves conséquences économiques pour l’Egypte, déjà touchée par l’explosion de sa dette publique et une inflation galopante. .

« La guerre d’Israël est extrêmement impopulaire auprès de la population égyptienne, déjà en colère contre le régime d’Abdel Fattah al-Sissi. Il est donc dans son intérêt que la crise humanitaire à Gaza ne s’aggrave pas au point de menacer la stabilité de son pays. »

Timothy E. Kaldas, professeur de relations internationales

sur franceinfo

Le Caire craint également l’afflux de réfugiés gazaouis dans le désert du Sinaï, qui borde le sud de l’enclave palestinienne. « C’est d’abord une question de principe, car chaque fois que des Palestiniens ont été chassés de leur terre par Israël, ils n’ont jamais pu y revenir », souligne Thomas Vescovi. C’est aussi une question de sécurité pour l’Égypte. « Le président Abdel Fattah al-Sisi estime qu’un déplacement massif de population présente le risque que les membres du Hamas transfèrent leurs activités vers le Sinaï. » explique Timothy E. Kaldas. « Cependant, selon le chef de l’Etat égyptien, des attaques menées depuis l’Egypte ouvriraient la voie à une réponse militaire israélienne, mettant en péril les accords de paix de Camp. David. »

Le Caire s’oppose donc à l’offensive annoncée de longue date par Israël contre la ville de Rafah, qui borde sa frontière, de peur de voir les déplacés de Gaza qui s’y sont rassemblés tenter d’entrer sur son territoire. Le 6 mai, l’armée israélienne a néanmoins ordonné aux civils d’évacuer certains quartiers de Rafah, et s’est engagée dans d’intenses combats dans l’est de la ville. « Cette avancée est considérée comme une menace par l’Egypte, car les forces israéliennes contrôlent désormais les entrées et sorties du point de passage de Rafah.», note Thomas Vescovi. Le Caire craint également de voir Tel-Aviv prendre le contrôle du « corridor de Philadelphie », une zone tampon à la frontière entre Gaza et l’Égypte, où les renseignements israéliens affirment que se trouvent des tunnels du Hamas. « pourrait légitimement être considéré comme une violation des accords de Camp David »estime Thomas Vescovi.

Le début des opérations à Rafah a également coïncidé avec le rejet par Tel-Aviv d’un accord de cessez-le-feu approuvé par le Hamas. Un camouflet pour l’Egypte, qui avait négocié cette pause humanitaire aux côtés des deux autres médiateurs, le Qatar et les Etats-Unis. « Dès les premiers jours du conflit, (Caire) a aidé à organiser les premières discussions sur la libération des otages israéliens et un cessez-le-feu »se souvient Thomas Vescovi.

« L’Egypte considère que la question palestinienne est son domaine réservé (…) et que toute négociation doit passer par là ».

Thomas Vescovi, historien

sur franceinfo

Lors du dernier cycle de discussions, le Caire « j’avais le sentiment d’avoir tout fait pour éviter une opération militaire (à Rafah) ce que tout le monde pense être un désastre »décrypte Timothy E. Kaldas. « Mais Israël a tout brisé, augmentant le risque de conflagration régionale et prolongeant la catastrophe humanitaire d’une manière totalement inutile », juge-t-il. Cet échec a également donné lieu à « une préoccupation plus large, car il n’y a pas d’issue claire à conflit »souligne le chercheur. « On ne sait pas exactement ce qu’Israël accepterait pour mettre fin à la guerre, sinon une capitulation totale du Hamas, ce qui n’arrivera pas. »

Dans ce contexte, alors que 600 000 Gazaouis ont fui Rafah vers le Nord depuis le 6 mai selon l’ONU, l’Egypte continue d’accroître la pression diplomatique sur Israël. Mi-mai, le Caire a déclaré vouloir se joindre à la plainte pour génocide déposée contre Israël par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de Justice. Dans le même temps, des responsables ont déclaré à CNN et au le journal Wall Streetsous couvert d’anonymat, que l’Egypte envisageait « dégrader » ses relations diplomatiques avec Tel-Aviv. Autant « des signaux diplomatiques forts » de « frustration » du Caire, observe Timothy E. Kaldas.

L’Egypte, l’une des forces motrices de la Ligue arabe, pourrait également tenter d’influencer les autres membres de l’organisation pour qu’ils « pour contraindre Israël » renoncer à son opération à Rafah, déclare Thomas Vescovi. Jusqu’à présent, les dirigeants arabes se sont rencontrés à deux reprises. Lors d’un sommet à Bahreïn jeudi, ils ont appelé à un cessez-le-feu et au déploiement de soldats de maintien de la paix dans le pays. « territoires palestiniens occupés » par Israël.

« La marge de manœuvre de l’Egypte est limitée. Elle n’a aucun intérêt à lancer une opération militaire contre Israël. »

Thomas Vescovi, historien

sur franceinfo

Caire « n’a pas les moyens militaires pour entrer en conflit ouvert »confirme Timothy E. Kaldas, « et « ne prendra pas le risque de se retirer des accords de Camp David, alors qu’elle dépend entièrement de l’aide et des revenus internationaux ». Il en va de même pour Benjamin Netanyahu, estime l’expert en relations internationales. « S’il prenait le risque inconsidéré d’entrer en conflit avec l’Égypte, sa coalition risquerait de s’effondrer et il pourrait être écarté du pouvoir », il dit. Cependant, le Premier ministre israélien, « qui devra répondre de sa responsabilité dans les attentats du 7 octobre après-guerre »joue sur sa survie politique en menant cette offensive. « Il est convaincu que le recours à la force obligera le Hamas et les pays de la région à accepter ses conditions, et ainsi à sauver la face sur le plan interne », » acquiesce Thomas Vescovi. Sa stratégie est de gagner du temps. »

Cette stratégie, au coût humain catastrophique pour les Gazaouis, pourrait avoir d’autres conséquences « imprévisible »prévient cependant Timothy E. Kaldas. « La question n’est pas seulement de savoir ce que l’Egypte, ou d’autres gouvernements de la région, sont prêts à faire : la guerre à Gaza peut conduire à des tensions dans les pays arabes, si les populations se lassent de la passivité de leurs dirigeants, conclut-il. Cela pourrait s’avérer dangereux pour la stabilité de toute la région.»

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