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Pourquoi la démission surprise de Thierry Breton est un symbole du jeu de pouvoir entre Ursula von der Leyen et les États membres

La présidente de la Commission européenne doit présenter mardi sa nouvelle équipe aux députés.

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L'ancien commissaire européen au Marché intérieur Thierry Berton, lors d'une conférence de presse à Bruxelles (Belgique), le 16 mars 2023. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Une décision choc. Le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, a claqué la porte de la Commission européenne, lundi 16 septembre. L’ancien ministre français de l’Économie a expliqué sa décision dans une lettre adressée à la présidente Ursula von der Leyen et diffusée sur X. La lettre, au ton cinglant, est un exercice inhabituel dans le monde policier de la politique européenne. D’autant qu’elle va même jusqu’à accuser l’Allemand de « gouvernance douteuse »Si l’Elysée n’a pas tardé à réagir, annonçant quelques heures plus tard qu’il proposait le ministre démissionnaire des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, au poste de commissaire, l’événement n’en demeure pas moins inédit.

Mais que pouvait donc bien avoir Thierry Breton ? Très médiatisé, celui qui avait été proposé par Emmanuel Macron pour un second mandat était notamment connu pour ses attaques contre les géants du web et sa défense de l’industrie européenne. « Cette décision n’est pas très surprenante, car les relations entre Ursula von der Leyen et Thierry Breton n’étaient pas très bonnes. « C’est bien », a souligné auprès de franceinfo Sophie Pornschlegel, directrice d’études à l’Institut Jacques Delors de Bruxelles. La Française avait ainsi ouvertement critiqué la gouvernance du président allemand lors de la campagne pour les élections européennes du 9 juin. « Les relations entre von der Leyen et Breton étaient notoirement exécrables.confirme la députée européenne Horizons Nathalie Loiseau.

« C’était un pari risqué qu’il se présente au poste de commissaire. »

Nathalie Loiseau, députée européenne Horizons

à franceinfo

Le leader européen a parfois été critiqué pour sa manière de communiquer, faite d’éclairs sur les réseaux sociaux, mais aussi pour sa tendance « être perçu comme quelqu’un qui défend principalement les intérêts français, plutôt qu’européens »ajoute Sophie Pornschlegel. Les tensions entre la présidente et son commissaire sont évidentes dans la lettre de démission de Thierry Breton. Le Français accuse le dirigeant allemand d’avoir proposé son remplacement « ppour des raisons personnelles dont vous n’avez jamais discuté directement avec (lui)« . « C’est très inhabituel et constitue un affront direct au style de gouvernance d’Ursula von der Leyen, qu’elle considère comme pas assez collectif.résume le directeur des études de l’Institut Jacques Delors à Bruxelles.

Au-delà de la relation entre les deux hommes politiques, la démission de Thierry Breton met en lumière les difficultés d’Ursula von der Leyen à constituer le casting de sa nouvelle Commission. Réélue à sa tête en juillet, elle doit présenter mardi aux chefs de groupe du Parlement européen les noms et les portefeuilles des 27 nouveaux commissaires (un par État membre). Un exercice qui tient du numéro un, révélateur du poids des États membres, des forces politiques et des orientations de l’exécutif européen.

L’autorité du président avait été remise en question au cours de l’été. Sa demande de La proposition des Etats membres de lui envoyer deux noms, un homme et une femme, est restée lettre morte. La promesse d’un collège commun de commissaires s’est donc évanouie, ce qui a mis à mal la parole donnée par la cheffe conservatrice.

La démission de Thierry Breton est-elle une tentative de reprendre le contrôle ? Dans sa lettre, l’ancien commissaire affirme que le chef de l’exécutif européen « a demandé à la France de se retirer » son nom et « et a proposé, comme compromis politique, un portefeuille prétendument plus influent pour la France au sein du futur collège »De son côté, Ursula von der Leyen s’est contentée de remercier Thierry Breton « pour son travail »via un communiqué de son porte-parole. « Il est dans son intérêt d’avoir un collège de commissaires qui travaillent bien ensemble, ce qui n’a pas toujours été le cas en 2019. »analyse Sophie Pornschlegel.

L’affaire est aussi symbolique d’une lutte entre les États membres et la présidente de la Commission, accusée d’avoir trop pris la vedette lors de son premier mandat. L’eurodéputé socialiste Christophe Clergeau a ainsi décrit sur X comme « Un camouflet pour Emmanuel Macron » la démission de Thierry Breton. « C’est inquiétant pour l’influence de la France en Europe »Nathalie Loiseau s’alarme. La députée européenne du Rassemblement national Mathilde Androuët déplore sur franceinfo « L’influence d’Ursula von der Leyen sur Emmanuel Macron »considérant qu’elle « dicte ses choix aux exécutifs nationaux ».

Alors que plusieurs voix, dont l’eurodéputée verte Marie Toussaint sur X, appelaient le président français à proposer une femme au poste de commissaire, le chef de l’Etat a finalement désigné l’actuel ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné. Preuve qu’Emmanuel Macron ne veut pas se laisser dicter sa conduite par Ursula von der Leyen ? « Ce qui est sûr, c’est qu’il est l’un de ses amis proches. »note Sophie Pornschlegel. Ce choix « permet à Emmanuel Macron de conserver une influence à Bruxelles et donc en France aussi »résume un député macroniste de France Télévisions, qui note que le patron du Quai d’Orsay « s’entendre bien » avec le Président de la Commission.

L’ancien président du groupe Renew Europe au Parlement européen est un expert des institutions européennes. « C’est une forme de preuve, c’est un Européen convaincu et il a des talents de négociateur et de diplomate »note la députée européenne et actuelle directrice de Renew Europe Valérie Hayer, interrogée par franceinfo.

Reste à savoir quel portefeuille obtiendra le chef de la diplomatie française. « C’est ce qui compte avant tout et je pense que nous pouvons être confiants sur ce qui sera proposé à la France et sur la confirmation de son influence »espère Valérie Hayer. « Il sera une figure importante de la nouvelle équipe »prédit l’analyste Mujtaba Rhaman sur X.

En France, la démission de Thierry Breton a immédiatement déclenché une vague d’interrogations sur une éventuelle participation au gouvernement, dont le nouveau Premier ministre Michel Barnier doit annoncer la nomination d’ici la fin de la semaine. Si Matignon s’abstient de tout commentaire, « Michel Barnier et (Thierry Breton) s’entendre bien »souligne toutefois un adjoint d’Ensemble à France Télévisions. « Sans doute Thierry Breton a-t-il trouvé un atterrissage ailleurs », un député européen macroniste devine à franceinfo.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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