Les mauvais sondages se succèdent pour la liste portée par Valérie Hayer, largement derrière Jordan Bardella et désormais suivie de près par Raphaël Glucksmann. Mardi, la macronie se retrouve à Paris pour un grand rendez-vous, avec l’espoir de lancer une nouvelle dynamique.
C’est une scène que Victor Albrecht, président de la Renaissance de l’Yonne, a déjà vécu à plusieurs reprises. Sur les marchés de son département, lorsqu’il remet aux badauds un tract pour Valérie Hayer, tête de liste du parti présidentiel aux élections européennes, la réaction est souvent la même : « Les retours sur Valérie sont positifs. C’est : ‘On ne la connaît pas, mais elle a l’air sérieuse’ ». Et puis, forcément, le tract est retourné pour dévoiler le visage d’Emmanuel Macron. « En voyant la photo de Macron, certains se plaignent. Il faudra alors redoubler d’efforts pour convaincre, en vantant notre bilan.»
Inconnue du grand public, la présidente du groupe Renew au Parlement européen, qui organise, aux côtés du gouvernement, un grand rendez-vous à Paris mardi 7 mai, se retrouve à porter sept ans de macronisme sur ses épaules. La conquête de nouveaux électeurs n’est plus à l’ordre du jour, la bataille se résume désormais à convaincre les électeurs du chef de l’Etat de se rendre aux bureaux de vote le 9 juin.
Or, « la mobilisation de la base macroniste est faiblenote Mathieu Gallard, directeur des études de l’institut Ipsos. Les électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 sont parmi ceux qui ont le moins l’intention de voyager. » Une situation que les experts du camp présidentiel ont bien à l’esprit. « On sent que les électeurs de toujours iront peut-être au Pays Basque ou à Deauville le jour du scrutin »soupire l’un d’eux, craignant une désertion des électeurs macronistes.
Une stratégie anti-RN qui ne prend pas
En effet, à l’heure actuelle, l’écart entre la majorité et l’extrême droite n’a jamais été aussi grand dans les sondages. La quatrième vague du baromètre de l’institut Ipsos du mois d’avril le confirme « un léger tassement » par Valérie Hayer mais la campagne avait déjà commencé pour elle « à un niveau bas », rappelle Mathieu Gallard. La candidate de la Renaissance, qui a dévoilé tardivement sa liste et son programme, est créditée de 17% d’intentions de vote, contre 32% pour Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national.
Parmi les partisans du chef de l’Etat, personne ne croit sérieusement à un renversement de cette tendance en un mois. Dans tous les esprits, la première place est désormais acquise au RN. L’« exploit » de 2019, où le camp présidentiel a terminé à un petit point de l’extrême droite (23 % contre 22), semble même hors de portée. « Le RN marche sur l’eau. Bardella n’est pas bon et multiplie les approximations mais ça ne tient pas dans l’opinion, » regrette un proche d’Edouard Philippe. Pendant cinquante ans, le peuple a rejeté l’extrême droite. Aujourd’hui, ces gens sont toujours en colère, mais plus contre le RN. Il y a une forme de balancement du pendule. »
La majorité ne sait pas très bien comment attaquer le camp de Marine Le Pen. La stratégie anti-RN, qui a fortement marqué le lancement de la campagne de Valérie Hayer à Lille le 9 mars, semble abandonnée. « Les gens ne comprennent pas qu’il existe un traitement spécial pour les infirmières autorisées. La diabolisation ne fonctionne plus »assure un leader de la majorité.
Attal va-t-il se lancer dans la bataille ?
Conséquence : les macronistes cherchent une échappatoire. « Le seul crochet qu’ils ont trouvé, c’est sur l’Ukraine et la Russie, ça leur permet d’attaquer le RN sur le camp du patriotisme et de la souveraineté », observe le communicateur Philippe Moreau-Chevrolet. Mais cela reste insuffisant, comme le souligne plus généralement un cadre majoritaire à France Télévisions : « Pour contrer Jordan Bardella, il faut continuer de dénoncer ses tromperies et ses contradictions. Mais c’est vrai que rien ne semble coller.»
Il y a une carte sur laquelle la majorité pensait miser : Gabriel Attal. La nomination du populaire et plus jeune Premier ministre de la Ve République avait même été vendue comme « l’arme anti-Bardella ». « Il a créé beaucoup d’espoir au début, et puis ça ne change rien du tout. Il ne s’implique pas dans cette campagne. fustige, amèrement, un cadre Jeunesse auprès de Macron (JAM). « C’est vrai que certains le soupçonnent de se soucier de son image et de ne pas vouloir trop l’abîmer »sort du cadre de la majorité.
Une stratégie jugée « perdant »par un membre du directoire de Renaissance. « Au final, il sera quand même jugé sur le résultat, nous serons tous responsables. Il est capable de faire bouger les lignes, on a besoin de lui. Mais le chef du gouvernement compte accélérer. « Il veut être un acteur actif de la campagne », rapporte un de ses proches. Initialement opposé à l’idée de débattre avec Jordan Bardella, Gabriel Attal a finalement laissé fuiter son envie d’un « affrontement démocratique » avec le champion du RN.
« La politique nationale ne nous aide pas »
L’autre chef de l’exécutif caresse depuis un moment l’idée de se lancer en campagne. Emmanuel Macron a même voulu, selon l’aveu de ce même exécutif majoritaire, participer au rendez-vous de Lille, avant de finalement y renoncer. En 2019, le président de la République n’avait pas mis les pieds dans ce type de rassemblement, mais il avait écrit une longue lettre aux Français. Les rumeurs de sa participation cette fois à un meeting de campagne agitent la macronie. Certains s’y opposent. « Il n’est pas obligé d’être là. Je suis une très vieille France, le président est au dessus des partis », affirme un responsable du camp présidentiel. Tandis que d’autres militent ardemment pour. « Il est fondamental qu’il investisse, assure un ministre. CONTRECela ne me choque pas qu’il soit sur scène pour une réunion. » Les militants attendent aussi avec impatience de voir Emmanuel Macron entrer dans l’arène.
« C’est le président qui peut ramener nos électeurs, il est exceptionnel en campagne. C’est censé être sa dernière campagne nationale, nous voulons en profiter avec lui.
Victor Albrecht, président de la Renaissance de l’Yonnesur franceinfo
Pour l’instant, l’implication du chef de l’Etat se limite à son discours sur l’Europe à la Sorbonne le 25 avril. Une longue intervention qui n’a pas été vendue comme un discours de campagne par le camp présidentiel mais qui a bel et bien été comptée comme telle par l’Arcom. Et dont les effets ne sont pas vraiment tangibles. « Le président est entré en campagne avec ce discours mais il n’a créé aucune dynamique, c’est un échec »juge le communicateur Philippe Moreau-Chevrolet.
Le contexte national et les annonces gouvernementales marquées par la dégradation des finances publiques sont également tenus pour responsables de la morosité ambiante. « La politique nationale ne nous aide pas, entre les histoires d’endettement et d’assurance chômage »assure un cadre de JAM, confronté lui aussi à une désaffection des jeunes pour le chef de l’Etat. « On ne va pas se leurrer, le débat national ne risque pas de surmobiliser notre électorat qui ne veut pas nous plaire.soupire aussi un parlementaire issu de la majorité. Depuis 2022, nous n’avons pas fait de choses très populaires. » La réforme des retraites et la loi sur l’immigration, en particulier, ont laissé des traces.
Chaque lundi, la direction du parti reçoit des retours de toute la France sur les tracts du week-end. « Là où c’est le plus dur, c’est dans les circonscriptions très LFI et RN, mais aussi certaines CSP+ où nos électeurs se sont concentrés sur les questions d’immigration ou de retraites par exemple », explique davantage le cadre de la majorité. «Le macronisme repose sur une base sociale-démocrate forte. Cependant, beaucoup ne se sentent plus en phase. »relève un autre responsable du camp présidentiel. « C’est dur de porter les couleurs de la majorité en ce moment » reconnaît encore un membre de l’équipe de campagne.
L’ombre de Raphaël Glucksmann
En plus de voir Jordan Bardella prendre définitivement son envol, les macronistes s’alarment de voir Raphaël Glucksmann se rapprocher dangereusement de leur candidat et récupérer une partie de cet électorat macroniste déçu. La tête de liste PS-Place publique n’est qu’à trois points de Valérie Hayer dans le dernier baromètre Ipsos. « Parmi les électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour 2022 qui comptent voter, 17 % voteront pour Raphaël Glucksmann »explique Mathieu Gallard.
Comme pour Jordan Bardella, la macronie ne sait pas non plus très bien briser la dynamique Glucksmann. « C’est compliqué à gérer, reconnaît un membre du gouvernement. Il a su se démarquer des Nupes et se donner une image très acceptable. » Surtout, nous continuons de la même source, « Le plus gros problème c’est qu’on disait qu’il était presque comme nous, c’est le seul reproche qu’on pouvait faire à Valérie. »
Dans une interview avec Figaro le 29 février, qui visait à lancer sa campagne, l’eurodéputée a déclaré : « Avec Raphaël Glucksmann, nous votons à 90 % de la même manière au Parlement européen. Il devrait être avec nous et il le sait. « Une connerie importante », grogne aussi un proche d’Edouard Philippe qui, sans croire à un croisement de courbes, parle de « gifler » si un tel scénario se produit. « Cela devient une possibilité, même si ce n’est pas une évidence »assure l’enquêteur Mathieu Gallard.
« Le franchissement des courbes (avec le candidat socialiste), ce serait l’acte de décès de la macronie. Le gouvernement serait confronté à un gros problème politique.
Philippe Moreau-Chevrolet, communicateursur franceinfo
Dans le camp présidentiel, beaucoup s’accrochent à ce mantra : les sondages ne font pas d’élection. Notamment les élections européennes, où l’intérêt des Français se cristallisera tardivement.