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Pourquoi est-il si compliqué de connaître la qualité de l’eau ?

Pourquoi est-il si compliqué de connaître la qualité de l’eau ?

Les principales explications sont le manque de publication des analyses de la qualité de l’eau et des avis des autorités sanitaires.

L’eau de la Seine est décidément très trouble. De nouvelles données publiées par Mediapart mercredi 7 août montrent que l’eau du fleuve parisien n’a été d’une qualité suffisante pour la baignade que 10 à 20 % du temps entre le 26 juillet et le 5 août. Ces révélations mettent une nouvelle fois à mal la rhétorique des responsables publics qui affirment que la Seine est désormais baignable, tout en refusant de publier les chiffres et les avis sanitaires qui permettent de le vérifier.

Depuis deux semaines, il est très compliqué, voire impossible, d’accéder aux analyses de la qualité de l’eau du fleuve parisien. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques de 2024 (Cojo) ne publie que quelques résultats au compte-gouttes. La mairie de Paris et la préfecture d’Ile-de-France ont coupé les robinets de leur propre bulletin hebdomadaire lancé en juin. L’Agence régionale de santé d’Ile-de-France refuse également de partager les conseils sanitaires que lui a demandés la préfecture de région. Quant aux chercheurs et spécialistes, ils n’ont pas eux-mêmes accès aux analyses.

Alors que les Jeux olympiques de 2024 touchent à leur fin, franceinfo fait le point sur les raisons pour lesquelles il est si difficile de connaître la qualité de l’eau de la Seine.

1 Parce que les analyses bactériologiques ne sont pas publiées

Les autorités ont vu les choses en grand pour surveiller la Seine. Depuis le début de l’été, l’eau du fleuve parisien est analysée dans 35 points de prélèvement différents répartis en amont, en aval et dans la capitale. Quatre de ces points d’analyse sont situés sur le seul site olympique, entre le pont Alexandre III et le pont de l’Alma. Ceux-ci font l’objet d’une surveillance très spécifique : des analyses y sont réalisées deux fois par jour depuis le 1er juin, selon le journal L’équipe. Mais il ne sert à rien de chercher les résultats de ces prélèvements. Ils ne sont pas rendus publics, ou seulement partiellement.

Interrogé en mars dernier, Marc Guillaume, le préfet de la région Ile-de-France, avait promis d’être transparent. « Bien sûr, sous une forme ou une autre, peut-être avec un délai de quelques heures, mais il n’y a évidemment aucune raison pour que la qualité de l’eau ne soit pas rendue publique »il a répondu lors d’une conférence de presse (déclaration à 16’50 min).

Depuis juin, la Ville de Paris publie un bulletin hebdomadaire intitulé « Météo de la Seine ». Cette publication était partielle : elle ne donnait que les résultats de quatre points de prélèvement sur la quinzaine dont disposait la ville et ces analyses étaient publiées avec une semaine de décalage. Interrogée en juin par franceinfo sur la possibilité de consulter les données manquantes, la municipalité a évoqué « une publication en fin d’année ».

Mais depuis le début des Jeux olympiques, même le bulletin hebdomadaire de la Ville de Paris est interrompu. Interrogée par franceinfo, la mairie explique que «Pendant les Jeux, la publication des résultats des tests sur les sites olympiques relève de la responsabilité de Paris 2024.» Elle précise également qu’elle « reprendra la publication de son bulletin hebdomadaire le vendredi, comme c’est le cas depuis début juin. Le prochain inclura toutes les données de la période des Jeux Olympiques sur les quatre points testés par la Ville. »

De son côté, le Cojo n’a pas communiqué les analyses dont il disposait pendant les deux semaines de compétitions. Contactés par franceinfo fin juillet, les organisateurs des JO nous ont renvoyés vers les fédérations sportives, qui n’ont pas non plus accédé à notre demande. Les seules informations rendues publiques étaient désormais celles communiquées lors des points presse des organisateurs des JO, et uniquement lorsqu’un entraînement ou une compétition avaient lieu. Ces communications ne mentionnaient que de simples plages de résultats bactériologiques, sans préciser les localisations des prélèvements, ni l’intégralité des résultats pour les jours concernés. Pourtant, certaines de ces analyses gardées secrètes ont finalement été rendues publiques mercredi 7 août par Mediapart. Elles montrent que la qualité de la Seine est restée très largement insuffisante depuis le début des JO. Entre le 26 juillet et le 5 août, l’eau était impropre à la baignade entre 80 et 90 % du temps, selon la réglementation appliquée.

2 Parce que l’Agence Régionale de Santé ne communique pas ses conseils sanitaires

En France, lorsque l’on souhaite se baigner dans un plan d’eau, il faut se référer aux avis de l’Agence régionale de santé (ARS) pour savoir si la baignade est dangereuse ou non pour la santé. C’est dans ce sens que, depuis le début de l’été, la préfecture de la région Ile-de-France a demandé deux avis sanitaires consultatifs à l’ARS d’Ile-de-France. Le premier a été rendu le 12 juillet. Il avait été demandé en vue d’autoriser la baignade dans la Seine à la maire de Paris, Anne Hidalgo, et au préfet Marc Guillaume, le 17 juillet. Un deuxième avis sanitaire a été rendu le 24 juillet, celui-ci en vue de la tenue des épreuves de triathlon et de marathon de natation pendant les Jeux olympiques.

Mais impossible de savoir ce que contiennent ces avis sanitaires. Interrogé par franceinfo Jeudi 8 août, L’ARS refuse de les partager. Elle renvoie vers la préfecture, qui ne transmet pas non plus les documents demandés. Impossible également de connaître les conclusions de ces avis. L’ARS refuse de préciser si elles sont favorables ou défavorables à la baignade dans la Seine.

Ces documents sont néanmoins considérés comme communicables par la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Cette autorité indépendante est chargée d’évaluer si une administration est censée publier un document donné. Franceinfo l’avait contactée à l’automne dernier, afin d’avoir accès aux avis sanitaires émis entre 2019 et 2023 par l’ARS sur les baignades dans la Seine. Le verdict rendu en novembre avait donné raison à franceinfo, et l’ARS s’était conformée à cette décision en transmettant les avis demandés.

Leur publication, en janvier dernier, révélait que les recommandations de l’ARS n’avaient pas été respectées lors des tests réalisés pour l’épreuve de triathlon, organisée en août 2023. Les athlètes avaient été autorisés à nager pendant deux jours, alors que les seuils fixés par l’Agence sanitaire avaient été dépassés. Franceinfo avait également révélé que des adjoints à la mairie de Paris avaient participé à une nage dans la Seine en juillet 2023, sous les yeux de la maire de Paris, malgré un avis défavorable de l’ARS sur cet événement.

3 Parce que les chercheurs et les spécialistes ne peuvent pas décider

En l’absence de publication d’analyses de la qualité de l’eau, les scientifiques eux-mêmes ne sont pas en mesure de juger de l’état de la Seine depuis le début de l’été. Jean-Marie Mouchel, chercheur à Sorbonne Université, explique ne pouvoir pour l’instant s’appuyer que sur ses propres modèles statistiques pour mesurer l’impact du plan baignade de 1,4 milliard d’euros engagé par l’Etat et ses partenaires locaux pour les Jeux. « Je suis quasiment convaincu que le nombre de jours où l’on pourra se baigner dans la Seine sera désormais d’un jour sur deux, sur certains sites »estime cet éminent spécialiste. « Mais je dis ça un peu au hasard puisque je n’ai pas accès aux données. »il précise aussitôt.

Cet expert des analyses bactériologiques de la Seine fait partie depuis cinq ans d’un groupe de travail chargé d’analyser les données de qualité des eaux du fleuve parisien pour le compte des services de l’Etat et de la Ville de Paris. « Cela nous permet d’avoir accès aux données, mais avec un décalage d’un an. Donc les données de 2024, je les aurai en 2025 »il rapporte.

D’autres spécialistes sont tout simplement maintenus silencieux, accuse Mediapart. C’est le cas des scientifiques et ingénieurs qui travaillent à Eau de Paris, la régie municipale de la capitale parisienne. Ce sont les laboratoires de ce service qui collectent et analysent l’eau de la Seine« Mais depuis l’ouverture des Jeux olympiques, l’establishment n’ose plus répondre à aucune question sur l’état du fleuve. »Ce silence concerne également le personnel des services d’assainissement de la ville. Toujours selon Mediapart, un mail a été envoyé aux salariés, leur demandant « la plus grande discrétion » quand ils échangent « sur ces sujets »y compris « dans la sphère personnelle ». Interrogée par franceinfo, la Ville de Paris a déclaré qu’elle est « Il est tout à fait normal qu’une organisation demande à ses agents ou employés de diriger toute demande de presse vers le service dédié à cet effet ».

« Déjà en août 2023, la communication était complètement verrouillée lors des « épreuves tests » dans la Seine. Mais désormais, elle est encore plus renforcée »juge Antton Rouget, l’un des journalistes ayant rédigé l’enquête de Mediapart, interrogé par franceinfo. « Les seules personnes autorisées à parler de la Seine sont les politiques ou les organisateurs des Jeux. Et les médias et les citoyens sont priés de les croire sur parole. »regrette le journaliste.

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