Pourquoi Emmanuel Macron met-il autant de temps ?
Le maître des horloges laisse filer le temps. Emmanuel Macron continue « tester les hypothèses de Xavier Bertrand et Bernard Cazeneuve »Près de deux mois après le second tour des élections législatives anticipées, qui ont vu l’Assemblée divisée en trois blocs, le président de la République n’a toujours pas désigné le successeur de Gabriel Attal à Matignon. Le Premier ministre démissionnaire continue de traiter les affaires courantes, alors que le 1er octobre approche, date butoir pour soumettre le projet de loi de finances au Parlement.
« Quand je pense que les Macronistes se moquaient de nous parce qu’il nous a fallu quinze jours pour nous mettre d’accord sur une proposition de Premier ministre »se moque par conséquent du sénateur communiste Ian Brossat sur X. « Je considère que le cycle de consultation est trop long »estime également un proche d’Édouard Philippe. Le chef de l’État a, pêle-mêle, évoqué la « stabilité du pays »recherche « d’un compromis »là « Trêve olympique » ou même le « retour à l’école » pour gagner quelques jours de répit.
Mais en attendant, les dossiers à traiter s’accumulent à Matignon, entre l’état préoccupant des finances publiques, les dossiers de l’assurance chômage ou de la Nouvelle-Calédonie, ou encore les projets de loi actuellement à l’étude et restés en suspens du fait de la dissolution, notamment celui sur la fin de vie. Alors, quel est le problème ? Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il besoin d’autant de temps pour prendre une décision ?
S’il n’est pas pressé, c’est d’abord parce que la Constitution lui en donne les moyens. « D’un point de vue juridique, c’est parfaitement constitutionnel, car l’article 8, et c’est peut-être un problème, ne fixe pas de délai. On peut avoir un gouvernement qui s’occupe des affaires courantes pendant un mois, un an, cinq ans… »rappelle sur franceinfo Benjamin Morel, constitutionnaliste et maître de conférences à l’université Paris II.
Sans contraintes juridiques, Emmanuel Macron peut donc gagner du temps pour chercher des solutions. « Ce retard n’est que la conséquence mathématique des résultats des élections, avec une Assemblée quasiment ingouvernable. »explique un conseiller ministériel. « Il essaie de trouver un Premier ministre qui ne sera pas censuré dans deux mois, alors que c’est une équation presque impossible »ajoute un proche du chef de l’État. Les trois grands pôles du nouvel hémicycle – le Nouveau Front populaire, le camp présidentiel et le Rassemblement national – sont en effet, pour l’instant, imperméables à tout accord de coalition. Et aucun de ces trois blocs ne peut atteindre la majorité des 289 députés sans le soutien d’une partie au moins d’un autre camp.
« La politique, de nos jours, c’est juste savoir compter jusqu’à 289. »
Un député de la Renaissanceà franceinfo
« Le problème n’est pas le nom du Premier ministre, mais la coalition.confirme Benjamin Morel. Actuellement, le Nouveau Front populaire ne tiendrait pas 48 heures avant de tomber, tout comme un gouvernement LR allié au camp présidentiel. Nous avons donc un blocage avec ces trois blocs. » « C’est la preuve que la politique française, contrairement à nos voisins européens, est une politique de combat. »regrette un conseiller ministériel. « Il y a une difficulté politique majeure, certains partis jouant pour leur survie ou leurs trajectoires politiques personnelles »chuchote un proche du président, lorgnant du côté de LR ou de certains socialistes.
L’attitude du président de la République est aussi l’une des explications de ces deux mois d’attente. « Dans sa psychologie, Emmanuel Macron déteste être contraint et il aime choisir son timing pour décideranalyse un proche du président. De plus, il est proactif. Il refuse d’être dans l’impuissance d’une cohabitation. « Il aime garder le contrôle et quand il nommera quelqu’un, il devra lâcher prise et cela se passera au Parlement »observe Benjamin Morel. L’ancienne ministre écologiste Cécile Duflot, dans une série de messages sur X, s’inquiète de voir le chef de l’État rechercher un profil intraçable, « un Premier ministre-chef de cabinet, mais dans l’opposition »autrement dit « un adversaire, mais qui lui obéirait en tous points ».
« Ce n’est plus la recherche d’un Premier ministre, mais la chasse au dahu et donc… ça pourrait durer longtemps. »
Cécile Duflot, ancienne ministre écologistesur X
« Nous avons besoin d’une personnalité qui s’oppose au président. Après les deux défaites que nous avons subies, il semble évident de montrer une forme d’alternance »assure un proche du président. « Il y a cette volonté exprimée par les Français d’avoir un sentiment de cohabitation »interprète Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement démissionnaire. « Mais il nous faut aussi un profil qui nous permette de nous ouvrir sans trahir ce qui a été fait pour le pays depuis sept ans. C’est un contexte exceptionnel, d’où la nécessité de prendre notre temps. »
Aux yeux de Benjamin Morel, Emmanuel Macron a pourtant mal pris les choses : « Dans les régimes parlementaires classiques, ce n’est pas le président, chef de groupe parlementaire, qui fixe les conditions des négociations, excluant notamment LFI et le RN. C’est totalement dysfonctionnel. » Il invite à s’inspirer des exemples de la Belgique ou de l’Espagne, où Lucie Castets, la candidate désignée par le Nouveau Front populaire, se serait vu confier dans un premier temps la tâche de recueillir le soutien d’au moins 289 députés, avant de passer à un autre candidat en cas d’échec. « On laisse pourrir ça pendant deux mois avant de lancer les consultations, ça ne peut pas marcher. »croit le constitutionnaliste.
« Il veut être au centre de la décision pour montrer que cela vient de lui. Or, si on veut que ça marche, il faut montrer que cela ne vient pas de lui. »
Benjamin Morel, constitutionnalisteà franceinfo
« Le président n’a aucun intérêt à prolonger cette affaire pour le plaisir. Il a toutes les cartes en main pour se décider dans les prochains jours et nous n’avons aucune leçon à lui donner », a-t-il ajouté. répond un ministre démissionnaire. Mais à l’issue de ce processus bancal, le RN risque de se retrouver « en position d’arbitre de l’élégance »décider du sort du nouveau Premier ministre, poursuit Benjamin Morel : « Tant que les blocs macroniste et NFP ne s’entendront pas pour faire un accord ensemble, il y aura une impasse, et la seule issue sera le soutien sans participation du RN »c’est-à-dire une situation dans laquelle il n’entre pas au gouvernement, mais ne vote pas non plus pour le renverser. Le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella s’est également déclaré prêt à accepter un gouvernement technique s’il était chargé, notamment, de mettre en place un système de scrutin proportionnel pour les prochaines législatives.
Pour incarner cette équipe technique, le nom de Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), avait été soufflé à la presse lundi, mais l’hypothèse s’est éloignée au fil de la journée. Et les pistes Xavier Bertrand et Bernard Cazeneuve sont revenues à la table des négociations à l’Elysée. « Il y a un intérêt à faire ces consultations, c’est de forcer tout le monde à prendre position, notamment le RN« , explique un député de Renaissance. Mais en attendant trop longtemps, Emmanuel Macron court aussi le risque d’aggraver la crise politique. « Avec la période olympique et les vacances, les Français ont été assez indifférents jusqu’à présent, reconnaît le même parlementaire. Mais maintenant, ils veulent encore que les choses avancent.
hd1