Durant sa campagne électorale, le Républicain a multiplié ses intimidations, notamment à l’égard de ses « ennemis » politiques. Des déclarations qu’il aura, en théorie, le pouvoir de mettre en œuvre.
« Je gouvernerai avec une seule devise : promesses faites, promesses tenues. » Lors de son discours de victoire depuis Mar-a-Lago (Floride), dans la nuit du mardi 5 au mercredi 6 novembre, Donald Trump a donné le ton de son futur second mandat à la Maison Blanche : il compte mettre en œuvre son programme campagne. L’affirmation, banale pour un candidat qui vient de remporter l’élection présidentielle, inquiète néanmoins les démocrates et plusieurs médias libéraux, comme CNN et Vox. Le républicain est « un danger pour la démocratie »juge par exemple le site américain, au lendemain de l’élection.
L’avertissement, martelé par Kamala Harris tout au long de la campagne, pose une question : que fera réellement Donald Trump lors de ce second mandat ? Au-delà du programme, donnera-t-il suite aux nombreuses menaces qu’il a proférées contre ses adversaires politiques ? Au cours de l’année écoulée, le milliardaire a par exemple promis de poursuivre en justice Joe Biden, ou encore d’utiliser l’armée contre ceux qu’il qualifie de « des ennemis de l’intérieur ». « Nous savons désormais qu’il ne faut pas prendre Donald Trump sur parole, mais il faut le prendre au sérieux »estime Nadia E. Brown, professeur de politiques publiques à l’université de Georgetown.
« Donald Trump dit beaucoup de choses qui peuvent paraître farfelues, mais ses déclarations contiennent généralement une part de vérité. »
Nadia E. Brown, politologuesur franceinfo
«Il est difficile de savoir ce qu’il fera réellement, car nombre de ses déclarations dépassent le cadre habituel de la vie politique. Nous ne savons pas s’il a l’intention de le faire, ou s’il s’agit de simples provocations”poursuit l’expert. Lors de son premier mandat, entre 2016 et 2020, « Donald Trump n’a pas donné suite à tout ce qu’il a dit pendant la campagne »se souvient Hans Noel, professeur de sciences politiques à l’université de Georgetown. Son appel à « enfermer » Hillary Clinton, par exemple, n’a jamais été suivie d’action. « Cette fois, le les menaces contre ses opposants politiques sont plus précises, note cependant le politologue. Il considère qu’il a été attaqué par des ennemis et qu’il doit se défendre.
Il existe une autre différence majeure avec son premier mandat. « À l’époque, certaines mesures n’ont pas abouti parce que certains représentants républicains au Congrès ne les soutenaient pas, ou parce que les démocrates contrôlaient la Chambre des représentants. »entre 2018 et 2020, explique Hans Noel. Lors de son investiture en janvier 2025, Donald Trump aura les mains plus libres. Les démocrates peuvent encore espérer contrôler la Chambre des représentants, et ainsi limiter le champ d’action du président. Mais le Parti républicain compte déjà 211 élus, selon des résultats partiels vendredi matin, se rapprochant des 218 sièges nécessaires pour détenir la majorité. Les conservateurs disposent déjà d’une majorité au Sénat, avec au moins 53 sièges sur 100 (deux sièges restent à attribuer).
« Le président américain dispose d’une grande liberté dans l’exercice de son pouvoir. L’un des garde-fous est le Congrès : de Bush à Biden, les élus ont bloqué certaines initiatives du président.»
Hans Noel, politologuesur franceinfo
Avec un Congrès à majorité conservatrice dans les deux chambres, Donald Trump serait d’autant plus libre dans ses actions que « LE Le Parti Républicain a beaucoup évolué depuis 2016″souligne le politologue. « Ceux qui dénonçaient Trump en interne ont tous été expulsés. Si vous regardez les républicains qui ont fait campagne pour Kamala Harris, ils ne sont plus membres du parti, ou ils n’ont plus de fonctions. » En clair, ils n’ont plus aucun moyen de pression sur Donald Trump.
Nikki Haley, qui a affronté le milliardaire lors des primaires du parti avant de se rallier à sa cause, s’est aventurée à le critiquer dans les derniers jours de la campagne, rapporte Axios. Mais « elle n’a plus de poste de gouverneur et, si elle veut un avenir politique au sein du parti, elle rentrera probablement dans le rang »anticipe Hans Noël.
Même sans le contrôle total du Congrès, Donald Trump disposera d’une grande marge de manœuvre. Plusieurs chefs d’État américains avant lui « dépassé et redéfini le cadre de leur pouvoir »se souvient Hans Noël. « L’immigration en est un exemple : c’est au Congrès de légiférer sur le droit d’asile, le contrôle des frontières et le financement de ces mesures », il explique. Mais le président peut modifier le cadre d’action de la police aux frontières ou signer des décrets durcissant les conditions d’entrée sur le territoire. C’est ce qu’a fait Joe Biden en juin, lorsqu’il a fermé temporairement la frontière avec le Mexique pour empêcher les migrants illégaux d’accéder au système d’asile.
Au sein du futur cabinet Trump, la loyauté envers le président sera également essentielle. Au début de son premier mandat, les responsables ont organisé « la résistance » à la Maison Blanche, travaillant en coulisses pour contrer le « impulsions malavisées » du milliardaire. Cette fois, Donald Trump a déjà annoncé qu’il « s’entourerait de personnes plus fidèles, plus en accord avec sa ligne »observe Nadia E. Brown.
Le président élu a également annoncé son intention de « tourner » de nombreux employés des agences fédérales, pour les remplacer par des fonctionnaires choisis par lui. Des nominations politiques qui porteraient atteinte à l’indépendance de ces services. Donald Trump « a tenté de prendre ses distances avec le ‘Projet 2025′ »plan d’action d’un groupe ultraconservateur préparant le retour du républicain à la Maison Blanche, note Hans Noel. « Mais ce document explique clairement l’objectif de recruter et de former des personnes pour occuper des postes clés dans l’administration fédérale, pour l’aider à réaliser ses volontés. »
Le choix de JD Vance comme colistier illustre aussi la volonté de Donald Trump de s’entourer uniquement de partisans dociles. Comme le note CNN, le futur vice-président a refusé d’admettre publiquement que le milliardaire avait perdu les élections de 2020. Il a également suggéré qu’il agirait différemment de Mike Pence, qui avait certifié la victoire de Joe Biden malgré les exigences de Donald Trump de bloquer le processus démocratique. .
Lors du deuxième mandat du milliardaire à la Maison Blanche, il y aura «beaucoup moins de garanties»résume Hans Noël. Le politologue cite cependant le pouvoir judiciaire. Il y a huit ans, des décisions de justice ont bloqué certaines mesures de Donald Trump. Le « Muslim ban », interdisant l’entrée dans le pays aux ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane, avait ainsi été déclarée contraire à la loi par la justice américaine.
« De nombreux avocats et militants modérés ou progressistes s’inquiètent des résultats des élections. Ils ne manqueront pas de contester en justice d’éventuelles mesures discriminatoires.»
Hans Noel, politologuesur franceinfo
« Une grande partie de ce que Trump dit vouloir faire dès son premier jour au pouvoir sera illégale ou irréalisable. »abonde Steve Vladeck, un constitutionnaliste interrogé par le Washington Post. « Mais même ce qui est illégal pourrait être appliqué pendant un certain temps, et il pourrait vraiment réussir à faire avancer la loi dans sa direction. »
D’autant que Donald Trump, lors de son premier mandat, a nommé de nombreux juges conservateurs au sein des tribunaux fédéraux. « Ces magistrats ne constituent pas l’ensemble du système judiciaire », et les républicains pourraient subir des revers devant les tribunaux, tempère Nadia E. Brown. Même la Cour suprême, où Donald Trump a installé une majorité conservatrice, pourrait ne pas toujours lui donner raison. « Le président de la Cour veut préserver la légitimité de l’institution. Il s’aligne généralement sur d’autres conservateurs, mais pourrait parfois adopter une approche plus modérée, pour garantir que la Cour suprême reste une branche opérationnelle du pouvoir., avance le politologue.
D’autres contre-pouvoirs existent également. « Les États dirigés par les démocrates résisteront à la politique de Donald Trump, et de nombreuses décisions se prennent à ce niveau »se souvient Hans Noël. Le politologue cite également la presse, « même si elle hésitait parfois à le critiquer pendant la campagne. » « Une majorité d’Américains n’accepteront pas que leurs libertés et leurs droits soient bafoués, ils se mobiliseront si la démocratie recule trop loin »anticipe Nadia E. Brown. Tout se résumera donc à une seule question, selon Hans Noel : « Donald Trump tentera-t-il de faire tout ce que craignent les démocrates ? »