Pourquoi deux astronautes risquent de rester bloqués sur l’ISS pendant plusieurs mois
Les astronautes américains Butch Wilmore et Suni Williams ont quitté la Terre à bord d’une capsule conçue par Boeing, avec des années de retard. Des problèmes techniques, notamment des fuites d’hélium et de propulseurs, empêchent pour l’instant leur vol de retour.
La NASA envisage désormais un plan B. Début juin, les deux premiers astronautes du nouveau vaisseau spatial Starliner de Boeing ont quitté la Terre pour un voyage de huit jours vers la Station spatiale internationale (ISS). Ils y sont désormais depuis plus de 60 jours et pourraient même y rester jusqu’en 2025.
Après des semaines durant lesquelles la NASA a insisté sur le fait qu’ils n’étaient pas « coincés » là-haut, il semble que le lanceur de Boeing soit, pour le moment, jugé incapable de les ramener sur Terre en toute sécurité.
« Nous sommes dans une situation nouvelle, dans la mesure où nous avons plusieurs options », a déclaré mercredi Ken Bowersox, administrateur associé de la NASA. « Nous n’avons pas besoin de ramener un équipage à bord de Starliner ; nous pouvons le ramener à bord d’un autre véhicule. »
Les nouvelles déclarations suggèrent que SpaceX pourrait être chargé de ramener Butch Wilmore et Suni Williams chez eux, une opération qui pourrait prolonger de six mois le séjour des astronautes à bord de l’ISS.
Vers la suprématie pour SpaceX ?
Il y a dix ans, la NASA avait confié à Boeing le développement d’un nouveau véhicule destiné à transporter des astronautes dans l’espace, pour un montant de 4,2 milliards de dollars. La même année, l’agence américaine avait également accordé 2,6 milliards de dollars à SpaceX pour la même mission.
Mais la société d’Elon Musk opère déjà depuis quatre ans des vols vers la Station spatiale. L’affaire Butch Wilmore et Suni Williams menace désormais l’existence même du programme spatial de Boeing et fait de SpaceX, plus que jamais, le partenaire privilégié.
L’entreprise d’Elon Musk avait réussi son premier vol habité en 2020 et a depuis effectué huit vols habités vers l’ISS pour la Nasa. A titre d’illustration, l’astronaute français Thomas Pesquet est parti avec un vaisseau Soyouz (construit en Russie) pour sa première mission et une capsule SpaceX pour sa deuxième en 2021. De son côté, le programme du géant de l’industrie aéronautique Boeing a des années de retard.
Une série de problèmes pour Boeing
Le programme de développement Starliner a déjà subi de nombreux revers, et cette première mission habitée arrive avec des années de retard.
En 2019, lors d’un premier essai inhabité, la capsule n’a pu être placée sur la bonne trajectoire et est revenue sans avoir atteint l’ISS. En 2021, alors que la fusée se trouvait sur la rampe de lancement pour tenter à nouveau le vol, un problème de valves bloquées, cette fois sur la capsule, a entraîné un nouveau report. Le vaisseau vide a finalement réussi à rejoindre l’ISS en mai 2022.
Boeing avait alors espéré pouvoir réaliser son premier vol habité la même année, mais des problèmes découverts tardivement, notamment au niveau des parachutes ralentissant la capsule lors de sa rentrée dans l’atmosphère, ont une nouvelle fois provoqué des retards.
Après plusieurs reports cette année, notamment en raison de problèmes de fuite d’hélium, Starliner a décollé le 5 juin avec ses premiers astronautes à bord pour une dernière mission de test avant le début de ses opérations régulières.
Lors du vol d’approche vers l’ISS, les fuites d’hélium ont repris tandis que cinq des vingt-huit propulseurs se sont arrêtés à un moment donné. Starliner a néanmoins réussi à rejoindre l’ISS mais la NASA a souhaité procéder à des tests pour comprendre les causes de ces incidents. Pour l’heure, les analyses n’ont pas réussi jusqu’ici à rassurer l’agence spatiale.
Ce nouveau revers écorne une nouvelle fois l’image de Boeing, qui est aussi sous le feu des projecteurs en raison de ses échecs dans l’aviation civile. L’agence spatiale américaine persiste néanmoins à vouloir disposer d’un deuxième moyen de transport vers l’ISS en plus de SpaceX, afin de pouvoir mieux faire face à d’éventuelles situations d’urgence.
Des tests supplémentaires pour garantir un retour
Cette nouvelle affaire provoquerait de forts désaccords au sein de la Nasa et avec Boeing, détaille Le Monde. Si, lors du retour, trop de propulseurs connaissent une nouvelle panne avant que la capsule ne se soit suffisamment éloignée, Starliner pourrait devenir incontrôlable et entrer en collision avec l’ISS.
Des propulseurs sont également nécessaires pour donner à la capsule la puissance dont elle a besoin pour quitter l’orbite et revenir sur Terre.
Les vols de retour des deux astronautes américains ont été reportés à plusieurs reprises depuis début juin. Ce vendredi, Boeing a assuré dans un communiqué rester « confiant » dans la capacité de Starliner « à revenir en toute sécurité avec l’équipage ».
« Nous continuons de répondre aux demandes de la NASA pour des tests, des données et des analyses supplémentaires », a ajouté l’entreprise, qui n’a pas participé à la conférence de presse de mercredi comme d’habitude.
Mais quoi qu’il arrive, « Starliner a un bel avenir », a assuré mercredi le patron de la Nasa, Steve Stich, estimant que les problèmes rencontrés pourraient « être réparés » à l’avenir.
Élaboration d’un nouveau plan
La Nasa est néanmoins passée à l’étape de l’élaboration d’un nouveau plan. Elle pourrait s’appuyer sur les vols réguliers de relève des quatre membres de l’équipage permanent de l’ISS. Le prochain est prévu en février, sous l’égide de SpaceX, qui n’enverrait alors que deux astronautes au lieu des quatre prévus actuellement et en rapatrierait quatre, dont les deux astronautes de Boeing bloqués.
Cela signifie que Butch Wilmore et Suni Williams resteraient à bord de l’ISS pendant six mois supplémentaires, la durée d’une mission de routine vers la station, et que la capsule de Boeing reviendrait sur Terre vide.
« Si la NASA décide de modifier la mission, nous prendrons les mesures nécessaires pour configurer Starliner pour un retour sans équipage », a déclaré Boeing dans un communiqué. En effet, Starliner n’est pas initialement programmé pour revenir à vide.
« Nous n’avons pas approuvé ce plan », a prévenu mercredi Steve Stich. Mais « nous avons fait tout ce qu’il fallait » pour qu’il puisse être mis en oeuvre, a-t-il ajouté.
« Notre option préférée est de ramener Butch et Suni à bord du Starliner », a-t-il répété, expliquant que d’autres tests étaient prévus.
La décision devrait être prise à la mi-août. En attendant, la date de lancement de Crew-9 a été repoussée d’août à fin septembre pour donner à la NASA plus de temps pour prendre sa décision. Il faudra également tenir compte de la nouvelle composition du programme si Crew-9 passe de quatre à deux astronautes.