Dès jeudi, 9 millions de Français seront invités à répondre à la campagne annuelle de recensement. Trois nouvelles questions leur seront posées, dont une sur l’origine géographique de leurs parents. Craignant une utilisation politique, associations et syndicats appellent à ne pas réagir.
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Âge, profession, logement… Entre le 16 janvier et le 8 mars, 9 millions de Français tirés au sort seront invités à participer au recensement annuel réalisé par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et les communes. Objectif : connaître la répartition de la population et ses caractéristiques, afin d’affiner les politiques publiques déployées dans les territoires.
Pour cette campagne, trois nouvelles entrées font leur apparition dans le questionnaire, qui en compte une trentaine : fréquence du télétravail, existence d’un handicap et lieu de naissance de la mère et du père. Mais l’introduction de ce dernier point divise les acteurs de la lutte contre les discriminations.
L’Insee, mais aussi la Défenseure des droits, Claire Hédon, estiment que cette question est nécessaire pour «pour mettre en évidence des types de ségrégation ou des inégalités de situation» lié à l’origine des parents, Muriel Barlet, chef du service démographie à l’Insee, l’explique à franceinfo. Ces informations sont utiles aux décideurs publics, mais aussi aux chercheurs ou aux enseignants, ajoute l’équipe du Défenseur des droits, sollicitée par franceinfo.
« Cela permettra au débat public de se dérouler sur une base éclairée et non, comme c’est trop souvent le cas, sur des approximations, des raccourcis ou des stéréotypes. »
L’équipe du Défenseur des droitssur franceinfo
En revanche, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) et trois syndicats (CGT, FSU et Solidaires) s’inquiètent de la situation. « dangereux » ce que présente, selon eux, cette nouveauté. « Le recensement est un bien public (…), nous appelons à ne pas répondre à cette nouvelle question »disent-ils dans une pétition.
« Il est nécessaire que les questionnaires posent la question des inégalités résultant de discriminations liées à la couleur de la peau, à la religion supposée ou à l’origine. géographique »assure à franceinfo Jan Robert Suesser, membre du bureau national de la LDH. En France, l’utilisation des statistiques ethniques est ainsi autorisée à de rares exceptions près, notamment pour la recherche scientifique. Ainsi, plusieurs études comme l’enquête Trajectoires et Origines de l’INSEE et de l’INED collectent déjà des données comme la couleur de la peau ou l’origine des parents.
Pour le responsable associatif, le recensement n’est néanmoins pas le bon outil pour mettre en lumière ces discriminations.
« La question de l’origine géographique des parents est inutile dans le recensement, car elle n’est pas justifiée par le déploiement d’une politique publique. »
Jan Robert Suesser, membre du bureau national de la LDHsur franceinfo
Jan Robert Suesser estime que les hommes politiques disposent de suffisamment d’informations sur le sujet. Sans compter les études intégrant déjà ce type de questions, la version précédente du recensement demande au répondant son lieu de naissance et sa date d’arrivée en France, s’il est né à l’étranger.
Pire, cette nouveauté est même « dangereux »selon Jan Robert Suesser. « La seule chose supplémentaire qu’apporte la question sur l’origine des parents est une connaissance très fine de la répartition géographique des personnes » descendants de l’immigration, et pas seulement des immigrés eux-mêmes. Cependant, ce décompte pourrait ouvrir la voie à des inégalités de traitement de la part des « des acteurs qui n’ont rien à voir avec la lutte contre les discriminations »souligne-t-il, alors que la préférence nationale figure toujours dans le programme du Rassemblement national.
« Les premiers usages du décompte des origines étrangères de la population à de fines échelles territoriales seraient de permettre de cibler des populations, de chercher à susciter des peurs, de manipuler l’opinion lors d' »actualités » » qui se prêteraient à des discours de rejet et d’exclusion. « s’alarment également la LDH et la CGT dans une tribune publiée par Libérer.
En réponse à ces inquiétudes, l’Insee souligne que le recensement propose un très grand nombre de répondants, permettant notamment de pouvoir « zoomer » sur des situations d’inégalités très précises, par exemple dans un bassin d’emploi donné, ou selon d’une vague spécifique d’immigration.
L’organisation rappelle également que « Les données du recensement sont confidentielles et ne sont pas transmises à d’autres administrations ». Ni ces derniers ni le grand public n’auront donc accès aux données individuelles. Par ailleurs, aucune donnée incluant l’origine des parents ne sera publiée pour les zones «moins de 5 000 habitants»afin de préserver cet anonymat. Les questions sur le handicap et l’origine des parents seront également facultatives, rappelle l’Insee, contrairement au reste du questionnaire.
L’institut souligne enfin que l’ajout des nouvelles questions a fait l’objet d’une « un long processus de consultation »au cours de laquelle un échantillon de la population, mais aussi le Conseil d’État et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ont été contactés. Ce dernier a estimé que l’introduction de la question sur l’origine des parents était « possible à condition que toutes les précautions méthodologiques aient été prises pour garantir la protection des données et que l’acceptabilité de cette question ait été préalablement testée ».