Pourquoi, après les avoir sauvés de l’extinction, l’Europe tue-t-elle aujourd’hui des milliers d’ours et de loups ?
« Le loup n’est plus un animal à deux oreilles, quatre pattes et une queue (…) C’est un sujet politique. » C’est ce qu’affirme Luigi Boitani, zoologiste à l’Université Sapienza de Rome et président du groupe de conservation Initiative pour les grands carnivores en Europe. Selon lui, « Il y a beaucoup de polarisation. Quand on parle de loups et d’ours, le monde n’est pas une variété de gris, il est noir ou blanc. »
Dans un article publié le 12 septembre, le quotidien britannique The Guardian revient sur la façon dont la chasse, mais aussi la préservation des loups, des ours et des lynx, est devenue un enjeu politique brûlant.
486 permis délivrés pour tuer des ours bruns en Suède
Chassé dans une grande partie de l’Europe aux XIXe et XXe siècles, le loup a pu faire son retour dans les années 1970 grâce à l’exode rural puis à la législation mise en place pour le protéger. Ce même processus a également permis à l’ours brun et au lynx de réapparaître dans des régions où ils avaient été éradiqués, précise The Guardian.
Mais la volonté de chasser les grands carnivores s’est accrue à mesure que les populations de loups et d’ours ont augmenté en Europe : on estime aujourd’hui qu’il y a plus de 20 000 loups et 17 000 ours en Europe.
En conséquence, les lois européennes concernant la chasse d’espèces telles que le loup évoluent constamment. En Suède, 486 permis ont été délivrés pour tuer des ours bruns – un cinquième de la population d’ours bruns du pays – pendant la saison de chasse qui dure jusqu’à la mi-octobre. Cette décision intervient après des abattages record de lynx et de loups en 2023, rapporte The Guardian.
En Roumanie, les députés ont voté en faveur du doublement du quota de chasse – de 220 à 481 ours bruns – et en Slovaquie, la législation autorise depuis juin dernier la chasse à proximité des villages et sous certaines conditions.
La Suisse, pour sa part, a dû faire face à des défis juridiques. « concernant sa proposition de tuer 70 % de sa population de loups », Selon le Guardian, alors que l’Autriche et l’Espagne ont été critiquées au début de l’été par la Cour européenne de justice, qui a statué « Les récents massacres de loups sont illégaux » opéré dans les deux pays.
Attaques de loups et « radicalisation électorale »
La question est rapidement devenue un enjeu politique. Selon The Guardian, « Plusieurs attaques d’ours ont fait la une des journaux et les politiciens ont ciblé des lois qui ont sauvé l’espèce de l’extinction… Les groupes de défense des agriculteurs et des chasseurs ont fait pression pour réduire le nombre de barrières nécessaires pour les tuer, car les animaux ont étendu leur aire de répartition et attaqué les humains et le bétail. »
Dans plusieurs pays européens, «« Les partis populistes qui courtisent les électeurs ruraux » a ensuite abordé le sujet, rapporte The Guardian. Et selon une étude menée dans les municipalités allemandes en 2022, « Les preuves indiquent que les attaques de loups sont un facteur potentiel de radicalisation électorale », expliquent les auteurs de l’étude.
Pourtant, selon les scientifiques, tuer des loups dans des pays où leur population est faible pourrait être catastrophique pour leur survie, voire contreproductif pour le bétail. En perturbant le mode de vie des meutes, les loups solitaires vulnérables pourraient s’aventurer davantage dans les fermes pour chasser et se nourrir, rapporte le quotidien britannique.
S’attaquer à la protection des grands carnivores représente ainsi « un pas en arrière » pour Ciprian Gal, militant de la branche roumaine de Greenpeace, qu’il associe à l’époque où l’homme ressentait encore un fort sentiment de compétition avec les animaux sauvages.
Les gouvernements européens, influencés par la rhétorique populiste dominante et les puissants lobbies de la chasse et de l’agriculture, semblent choisir des solutions basées sur la peur et un retour économique rapide.
Il conclut : « D’une certaine manière, c’est une réaction contre les politiques écologiques ambitieuses de ces dernières années et une soupape de sécurité pour ceux qui luttent encore pour faire face à la réalité climatique à laquelle nous sommes confrontés. »
GrP1