pour que la vie continue
« Quand les médecins nous ont dit qu’il n’y avait plus d’espoir pour notre fils Enzo, avec Cyril, mon mari, on s’est tout de suite dit : s’il doit partir, que ce ne soit pas pour rien. » Ce moment où la vie bascule, Danielle Basto le raconte cinq ans plus tard comme si c’était hier, chaque jour recommençait.
Ce 18 juin 2019 s’est pourtant déroulé comme d’habitude. Cyril, en équipe de nuit dans une usine de fabrication de roulements près d’Annecy, s’était couché tôt le matin alors que Danielle s’apprêtait déjà à partir embaucher, accompagnée d’Enzo, 17 ans, en bac professionnel, qui effectuait un stage en la même entreprise que ses parents. « Quand vers 6h30, j’ai entendu notre fille m’appeler, paniquée… Enzo faisait une crise », se souvient Danielle.
Un don peut sauver sept vies
Le jeune homme souffre de crises d’asthme depuis son plus jeune âge, mais les derniers examens ont été suffisamment rassurants pour ne pas paniquer à la moindre occasion. Sauf que cette fois, les choses sont plus que sérieuses. Le jeune homme, en arrêt cardio-respiratoire, a été transporté par les pompiers à l’hôpital d’Annecy où il est tombé dans un profond coma.
« Pendant vingt-trois jours, il a été maintenu en vie artificiellement par des machines. Au début, on espérait qu’il se réveillerait sans trop de séquelles. Mais quand nous avons compris qu’il resterait enfermé dans son corps, nous avons pris la décision, avec les médecins, de tout arrêter et nous avons donné notre accord pour les prélèvements. Notre seule question était de savoir exactement ce qui allait être pris pour savoir combien de personnes cela pourrait sauver. », poursuit Danielle.
« Pour chaque personne décédée et retirée, cinq à sept patients peuvent bénéficier d’une greffe d’organe qui leur sauvera la vie. », précise Marine Jeantet, directrice générale de l’Agence de la biomédecine (ABM). D’où l’importance de maximiser le nombre d’échantillons pour satisfaire un besoin qui ne cesse de croître. « Chaque jour, 23 nouveaux patients espèrent une greffe d’organe ou de tissu. Parmi eux, 15 bénéficieront d’un don, mais deux à trois décèderont faute de soins à temps, tandis que les deux à trois restants rejoindront la liste d’attente.souligne le professeur François Kerbaul, directeur des prélèvements et de la transplantation à l’ABM.
Premier motif de satisfaction : en 2023, le nombre de donneurs a augmenté de 5,7% par rapport à 2022. Au total, l’année dernière, 1.791 personnes décédées ont été collectées, dont 1.512 en état de mort cérébrale – comme Enzo – et 279 selon le so -protocoles dits « Maastricht 2 » (décès après arrêt cardiaque) ou « Maastricht 3 » (décès après arrêt circulatoire), auxquels il faut ajouter les 577 donneurs vivants d’un rein ou d’un lobe du foie.
Un taux d’opposition en constante augmentation
Deuxième point encourageant : cette augmentation des prélèvements a entraîné une augmentation du nombre de transplantations d’organes réalisées : 5.634 pour 2023, soit 2,5% de plus qu’en 2022. « Mais si l’activité de transplantation augmente, elle est deux fois moins rapide que le nombre de nouveaux patients », reconnaît le professeur Kerbaul. Résultats : en 2023, malgré une baisse de plus de 22 % en un an, le nombre de patients décédant faute de greffons reste à un niveau élevé – 823 – et le nombre de patients inscrits sur liste d’attente avoisine les 11 500, un enregistrer.
L’autre sujet de préoccupation pour l’ABM est l’augmentation constante du taux d’opposition. Stable, autour de 30%, sur la période 2017-2019, il a commencé à dépasser la barre des 33% avec la crise du Covid et s’élève désormais à près de 37%, avec des pointes allant jusqu’à 50% dans certaines régions – Hauts-de-France, Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur ou départements et régions d’outre-mer.
Le phénomène reste encore largement inexpliqué. « Nous travaillons avec des sociologues pour mieux comprendre les raisons de ces oppositions qui sont sans doute liées à une forme de colère sociale qui génère un sentiment de méfiance »» avance avec prudence Marine Jeantet.
« C’est aussi le résultat d’un manque de connaissances ou d’informations erronées encore trop souvent ancrées dans l’esprit du grand public », ajoute Carine Raffestin, membre du bureau de l’association française des coordinateurs hospitaliers et infirmière coordinatrice à l’hôpital de Moulins (Allier). Cette dernière sait de quoi elle parle pour être au contact quotidien des familles qui viennent de perdre un proche et « Amenez-les sur le chemin du don ».
En France, au nom de la solidarité nationale, le principe du consentement présumé s’impose. À moins d’être inscrite au registre national des refus – ce que l’ont fait 496 000 citoyens, soit moins de 1 % de la population –, toute personne décédée est considérée comme un donneur potentiel. « Mais la loi et l’éthique imposent aux équipes médicales de consulter les proches pour recevoir toute opposition du défunt. Cependant, en cas de doute, par précaution, ils feront valoir ce qu’on appelle une « absence de garantie » qui empêchera le don.précise Carine Raffestin.
Promouvoir la culture du don
Les réticences peuvent varier d’une famille à l’autre. « Certains ne comprennent pas la réalité médicale de la mort cérébrale puisque le patient est encore rose, chaud et respire. D’autres confondent le don d’organes avec le don du corps à la science, estiment que le défunt est trop vieux ou craignent que le corps ne soit endommagé. Beaucoup craignent que cela perturbe l’organisation des funérailles ou soit contraire aux rites religieux. C’est dans ce moment douloureux qu’il faut trouver les mots pour les rassurer. C’est pourquoi il vaut mieux en parler au préalable, simplement et sans tabou, en famille.continue-t-elle.
C’est là qu’on touche à ce paradoxe français : alors que 80 % des Français se disent favorables au don, seul un Français sur deux a explicitement évoqué le sujet avec son entourage. « Cependant, pour réduire le nombre de donneurs potentiels non prélevés, il existe une solution simple : faire connaître votre position à vos proches, oui ou non »insiste Marine Jeantet.
Pour lever le silence, l’Agence de la biomédecine a lancé depuis fin mai une campagne nationale de sensibilisation à travers des spots télévisés présentant des témoignages de proches de donneurs et la saison 2 de la série de vidéos décalées. Les Zorgans, diffusé sur les réseaux sociaux. Une campagne qui culminera le samedi 22 juin, Journée nationale de réflexion sur le don et la transplantation d’organes.
Ce jour-là, plus de 500 villages et villes « ambassadeurs » se mobiliseront tandis que le grand public est invité à porter le « ruban vert », symbole de promotion de la culture du don. « L’occasion d’affirmer haut et fort que donner est un droit », insiste Bruno Lamothe, responsable du pôle plaidoyer de Renaloo, une association de patients atteints de maladies rénales. « Celle de sauver des vies. » Comme Enzo et sa famille l’ont fait. Reins, valvules cardiaques, cornées, au moins quatre personnes en ont, selon Danielle, « retrouvé le sourire grâce à lui ».
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Ce que disent les religions
Les chrétiens. Selon le catéchisme de l’Église catholique, le don d’organes est considéré comme un « acte noble et méritoire » OMS « doit être encouragé en tant que manifestation de solidarité généreuse » à condition que le consentement soit libre et éclairé et que le geste soit libre. Une position partagée par le protestantisme.
Judaïsme. Les principales branches du judaïsme – libérales, orthodoxes ou conservatrices – s’accordent sur le fait que halakhaLa loi juive, considère que le précepte de sauver une vie prime sur celui du respect des rituels mortuaires qui nécessitent l’inhumation intacte du corps.
Islam. Si la vie humaine est sacrée et le corps humain inviolable, le Coran affirme que « Celui qui sauve une vie a sauvé toute l’humanité ». C’est sur cette base que le don d’organes peut être jugé « légitime » à condition qu’il soit volontaire et respecte l’interdiction d’en faire le commerce.