Star de l’après-Covid, incarnation parfaite du coin de nature, de l’habitat familial et même de la stabilité conjugale, la maison individuelle est un rêve de plus en plus inabordable pour de nombreux Français et son avenir semble difficilement conciliable avec la lutte contre l’étalement urbain.
« Réservé à une élite » pour 74%
Plus de cinquante ans après l’avènement du « modèle pavillonnaire », outil politique privilégié d’accession à la propriété pour les classes populaires, porté par la production de masse de maisons standardisées, la vie rêvée des Français passe toujours par le domicile. Selon la Fédération des constructeurs de maisons individuelles (FFC), huit Français sur dix préfèrent vivre dans une maison plutôt que dans un appartement, mais 74 % considèrent que cette possibilité sera bientôt « réservée à une élite ».
En cause : la flambée des coûts de construction et des taux d’intérêt couplée à l’objectif écologique de lutte contre le bétonnage des terres agricoles, qui limite à 125 000 hectares à consommer entre 2021 et 2031.
Chute des permis de construire
« Le marché est estimé à 50 000 maisons en 2024 contre 120 000 en 2022. On ne reviendra jamais à ce niveau-là », déplore Loïc Vandromme, directeur général du constructeur Hexaom.
« Absurdités écologiques »
Les jeunes sont néanmoins attirés par la maison. « L’attrait des grands centres-villes est moins évident pour les nouvelles générations qui sont plus enclines à vouloir vivre dans une maison en banlieue ou en zone périurbaine », souligne l’urbaniste Éric Charmes.
« La maison a été promue comme un habitat familial, associé à un idéal de stabilité conjugale et de transmission intergénérationnelle. Elle est donc très valorisée, sans que cette image ait été ternie par certaines limites, notamment sa faible adaptabilité à la vieillesse ou les coûts de déplacement et de chauffage », analyse la sociologue Violaine Girard.
En 2021, l’ancienne ministre du Logement Emmanuelle Wargon avait créé la polémique en déclarant que la maison individuelle, « ce modèle d’urbanisation qui dépend de la voiture », était « un non-sens écologique, économique et social ». Le secteur du BTP avait aussitôt fustigé « une élite parisienne (…) très éloignée des territoires », obligeant le ministère à faire marche arrière en expliquant qu’il ne s’agissait « pas de supprimer la maison » mais qu’il s’agissait de « repenser nos modèles d’urbanisme ».
Le logement, premier facteur d’artificialisation
Avec près des deux tiers des espaces consommés, l’habitat est de loin le premier facteur d’artificialisation, qui détruit la biodiversité et aggrave le réchauffement climatique. « Nous n’avons pas les moyens d’une ville tentaculaire, mais la maison individuelle reste possible dans des territoires déjà urbanisés », analyse Christophe Millet, président de l’Ordre des architectes. Une construction « en dentelle », qui interroge selon lui « le modèle d’uniformité des constructeurs ».
« Les maisons à quatre pans en kit ou sur maquette sont économiques, faciles à construire, mais ne s’adaptent pas aux manques de terrains disponibles comme les jardins », poursuit-il. Alors que les lotissements traditionnels comptaient de cinq à quinze maisons par hectare, les architectes recommandent de passer à 35.
« Densification douce »
Quant aux logements existants, où vivent deux tiers des Français, ils représentent 56 % des 37,2 millions de logements. « L’enjeu est de savoir mieux les utiliser », observe Thomas Uthayakumar, de la Fondation pour la nature et l’homme. Il propose notamment de transformer une partie des 10 % de résidences secondaires et des 8 % de logements vacants en résidences principales. « Près de 85 % des plus de 75 ans sont en situation de sous-occupation de leur logement », souligne-t-il également, plaidant pour un logement « adapté aux besoins ».
Du côté des constructeurs, on estime que le secteur s’adapte déjà. « Dire que l’habitat étale les villes est une fausse accusation quand les règles d’urbanisme empêchent une densification douce, horizontale ou verticale », juge Damien Héreng, président de la FFC, pour qui le « véritable enjeu est l’acceptation de la densité ».
« Ajouter une maison à une autre ne suffit pas à faire une ville, surtout quand un quartier est mal desservi », prévient Éric Charmes, l’enjeu étant, selon lui, de « transformer le modèle pavillonnaire de la maison avec un grand terrain et une piscine ». Selon Christophe Millet, la solution pourrait passer par des formes intermédiaires d’habitat, comme les maisons modulables, « capables de combiner le désir de tranquillité tout en limitant les contraintes de la maison individuelle, comme le coût de l’entretien ».