Sciences et technologies

Pour Meta et Snap, l’avenir de la technologie sera les lunettes augmentées

Yann Le Cun, le pionnier français de l’intelligence artificielle, ne jure que par sa paire de « lunettes intelligentes » Ray-Ban. Depuis trois ans, Meta, dont il est le directeur scientifique, co-développe une version high-tech du modèle iconique de la marque, la Wayfarer. Elle intègre ainsi deux caméras, des haut-parleurs et un micro, discrètement placés. En 2023, le projet a passé un cap, avec l’intégration de Meta AI, un assistant IA que l’utilisateur peut contrôler à la voix et lui demander de reconnaître des objets, de lancer des recherches ou encore de jouer de la musique.

Si le célèbre chercheur ne manque pas une occasion de promouvoir le projet, ce n’est pas un hasard : Meta estime que les lunettes augmentées sont l’avenir de la technologie, la prochaine révolution d’une ampleur similaire à celle du smartphone. Les Ray-Ban ne sont que la première pierre d’une vision beaucoup plus ambitieuse, dans laquelle les lunettes deviennent l’objet tant recherché qui permet une utilisation fluide de la réalité augmentée (AR).

Cette technologie, moins populaire que sa sœur la réalité virtuelle, consiste à faire apparaître dans la réalité des éléments virtuels (chiffres, modèles 3D, images, etc.). Cela permet d’augmenter le champ de vision de l’utilisateur avec des informations supplémentaires. Esquissées en 2022, les lunettes AR de Meta, baptisées Orion, devraient être présentées fin septembre, selon Le Verge.

Mais Meta n’est pas seul dans la course aux lunettes augmentées : le réseau social Snap pense lui aussi depuis 2016 que les lunettes sont l’avenir de la tech, et devrait présenter quelques jours avant la nouvelle version de ses Spectacles.

Pas encore un produit grand public

Plus précisément, Les deux entreprises profiteraient de leurs événements annuels, respectivement le Partner Summit pour Snap (17 septembre) et le Connect pour Meta (25 septembre), pour présenter leurs nouvelles lunettes. Avec un constat partagé : la technologie n’est pas assez mature pour le grand public. Les deux appareils seront produits au maximum à quelques milliers d’exemplaires pour un public sélectionné pour les Spectacles, comme pour la dernière génération (2021), et probablement réservés à des tests internes pour les Orion.

Autre point commun : ce sont les dirigeants cofondateurs, Mark Zuckerberg (Meta) et Evan Spiegel (Snap) qui mènent le projet des lunettes, et en sont les porte-parole. Ce dernier a ouvert la voie en 2016, alors que son réseau social Snapchat était à peine établi dans l’industrie. L’entrepreneur est convaincu qu’il ne faut pas rater la prochaine révolution dans matériel grand public, et ne lésine pas sur les moyens. Les investissements massifs de l’entreprise dans la réalité augmentée ont permis des succès, notamment côté logiciel, avec les filtres AR qui font la popularité de l’application. Mais le pari coûteux à long terme sur la matériel agace certains actionnaires, qui préféreraient voir l’entreprise consolider son modèle publicitaire avant de se tourner vers l’avenir.

Pour Meta, la question de l’argent n’est pas un problème, car la vache à lait publicitaire continue d’irriguer l’entreprise à coups de milliards de dollars. Mais le projet de lunettes s’est retrouvé noyé aux yeux du grand public dans le grand concept du « métaverse ». La réalité augmentée n’a pas eu autant de visibilité que la réalité virtuelle, déjà incarnée par les casques Quest et l’univers virtuel Horizon. L’entreprise a toutefois établi sa feuille de route dès 2022, avec pour objectif de présenter un premier prototype de lunettes à tester en interne… en 2024.

Elle est donc parfaitement dans les temps, et prévoit de commercialiser les lunettes pour le grand public après 2027. La raison de cette attente ? Le produit est encore bien trop cher (Meta n’a pas donné de chiffre exact pour le moment) pour convaincre le grand public, de l’aveu même du directeur technique Andrew Bosworth. L’entreprise devra donc non seulement prouver l’intérêt des lunettes Orion, mais aussi prouver qu’elle peut maintenir des performances élevées tout en tirant les coûts vers le bas.

L’objectif : atteindre les gammes de prix des consommateurs high-tech, soit quelques centaines d’euros. Une sage décision, puisque même Apple, avec son image d’entreprise de luxe, a concédé un échec commercial prévisible avec la sortie de son casque de réalité mixte Vision Pro (3 500 dollars pièce). Plutôt que de risquer le même sort, Meta va poursuivre le développement en interne.

Matériel difficile à fabriquer

La route reste longue pour les deux entreprises, dont le cœur de métier n’était pas la fabrication d’équipements. Le VergeL’investissement de Meta dans Orion se chiffrerait en milliards de dollars, même si le projet n’est pas encore à moitié terminé. Un coût à la mesure de la difficulté de la tâche : les lunettes nécessitent un niveau de miniaturisation avancé de l’électronique, et surtout, elles touchent à l’optique avec les lentilles. Les équipes de développement doivent combiner ces deux expertises, ou bien les entreprises devront former les partenariats les plus judicieux pour combler leurs lacunes.

C’est pourquoi Ray-Ban est un bon terrain d’essai : Meta s’appuie sur l’expertise d’un acteur de l’industrie optique (EssilorLuxottica) pour les lunettes, et poussera progressivement les fonctionnalités AR. La prochaine version, attendue pour 2025, devrait par exemple inclure un petit écran dans l’une des lunettes, pour faire une interface supplémentaire avec l’assistant. De plus, le format a déjà convaincu un certain public – à 300 euros pièce – et relève moins du  » quitte ou double  » que le projet Orion.

La fin des casques ?

Alors que Meta et Snap se concentrent uniquement sur le format des lunettes, toute une industrie s’est essayée à la création de casques de réalité augmentée au cours de la dernière décennie. Deux noms ont émergé du lot, mais n’ont pas réussi à populariser la technologie. D’un côté, on a Microsoft, avec son HoloLens qui lui a permis de décrocher un juteux contrat avec l’armée américaine. De l’autre, Magic Leap, une startup dédiée au sujet, dont les produits n’ont jamais vraiment trouvé leur marché, trop chers pour le grand public, et avec des applications trop niches pour le milieu professionnel. Les deux casques sont plus proches des lunettes de laboratoire encombrantes que des lunettes de ville dans leurs formats, et proposent des applications rudimentaires avec un prix au-delà de 3 500 euros l’unité…

Ces deux projets sont aujourd’hui dans une situation difficile en raison de leur incapacité à devenir des produits grand public. La division de réalité mixte de Microsoft a été particulièrement touchée par les licenciements annuels du géant de la technologie, et son contrat militaire arrive à échéance et sera à saisir. L’entreprise concentre ses efforts sur l’intelligence artificielle, et son avenir dans la réalité augmentée reste plus incertain que jamais.

Quant à Magic Leap, elle a subi le mois dernier un nouveau plan de licenciements pour accompagner un pivot dans son modèle économique. Plutôt que de vendre des casques, la startup va commercialiser des licences d’exploitation de sa technologie, notamment ses avancées en optique et en électronique. Parmi ses premiers clients figure Google, le premier à avoir misé sur l’idée des lunettes augmentées avec les Google Glass, un projet qui a tourné au fiasco. Mais difficile de savoir pour l’instant si le géant de la tech compte ou non suivre Snap et Meta dans leur pari fou sur la réalité augmentée.