pour la BD « Grégory », le scénariste Pat Perna est parti à la rencontre du couple Villemin
« Je ne l’aurais pas fait sans l’assurance de disposer d’une forme de libre arbitre… » Pour autant, le scénariste Pat Perna ne se cache pas derrière de fausses formules. La bande dessinée qu’il signe aujourd’hui avec le dessinateur Christophe Gaultier, a été réalisée en étroite collaboration avec Jean-Marie Villemin, dont le fils Grégory a été assassiné dans les Vosges, il y a tout juste quarante ans, le 16 octobre 1984, son corps retrouvé dans la Vologne. Il n’avait que 4 ans. Un livre qui n’évite rien des événements qui ont amené Jean-Marie Villemin, le 29 mars 1985, à prendre un fusil de chasse et à tirer sur son cousin germain Bernard Laroche, qu’il estime coupable, un acte pour lequel il sera condamné par la Côte d’Ivoire. -Cour d’assises d’Or. Cette affaire a choqué la France entière, révélant au-delà du drame les erreurs d’une justice dépassée et d’une presse en roue libre. Une œuvre intense, qui bénéficie du fusain et du style très libre de Christophe Gaultier, offrant au récit une densité rare.
Quel a été le niveau d’intervention de Jean-Marie Villemin dans cette histoire ?
Il est à l’origine du projet. Et il a écrit la préface. C’est l’éditeur Les Arènes qui nous a mis en relation. Jean-Marie Villemin m’a accompagné tout au long de la rédaction en me fournissant la documentation nécessaire. Il avait cette envie de s’exprimer à travers la bande dessinée. Parce que c’est quelque chose de plus proche de lui, de plus populaire, de plus facile à aborder que la littérature. J’étais un peu réticent au début. Mais on s’est rencontré, on a beaucoup parlé, l’homme m’a convaincu. Nous sommes devenus très proches au fil du temps. On peut même dire que nous sommes amis maintenant. C’est pourquoi j’ai écrit ce livre à la première personne. Comme si c’était lui qui parlait.
La blessure est toujours aussi vive, peut-être même plus qu’avant…
Nous avons tendance à penser qu’à mesure que le temps fait son travail, les choses s’améliorent. Mais ils sont toujours dans la même souffrance. Il suffit de gratter un peu pour voir la douleur reprendre vie. Ils forment un couple merveilleux. Christine Villemin est une personne ensoleillée. C’est un homme doux et attentionné. Ce sont des personnes rares qui ont réussi, malgré ce malheur et ces souffrances, à atteindre un degré de résilience incroyable.
Marie-Ange Laroche, la veuve de Bernard Laroche, s’exprime dans les médias. Sa sœur Murielle Bolle, dont le témoignage avait nommé Bernard Laroche, avant de se rétracter, a écrit un livre il y a quelques années. L’ancien colonel de gendarmerie Étienne Sesmat, qui dirigeait alors l’enquête, vient de faire de même… Chacun semble défendre « sa » vérité.
Il n’y a qu’une seule vérité, qu’il faudra exposer un jour, avec des preuves formelles. La documentation qui me est confiée me permet d’apporter un éclairage le plus rigoureux et objectif possible. Je m’appuie sur des milliers d’articles de presse, publiés du premier au dernier jour sur cette affaire, que j’ai pu étudier et comparer. Je ne cherche pas à démontrer quoi que ce soit. Je veux juste que les faits soient exposés le plus précisément possible pour une fois afin que chacun puisse se faire une idée. Le nouveau juge d’instruction qui suit le dossier, au vu de ses déclarations, semble déterminé à laisser le dossier ouvert, à faire éclater cette vérité.
Christine Villemin était autrefois soupçonnée d’avoir tué son fils. Y a-t-il encore des commentateurs qui défendent cette thèse ?
Il y en aura toujours. Cette hypothèse a été lancée par un journaliste pour vendre davantage de papier et redonner un nouveau souffle à l’affaire. Puis arrive Marguerite Duras, qui écrit un terrible article dans « Libération », en juillet 1985. Christine Villemin est non seulement lavée de tout soupçon (le non-lieu est prononcé en 1993, NDLR), mais la justice présente ses excuses. Ce qui est rare en France.
Pourquoi avoir choisi de vous appuyer sur le procès de Jean-Marie Villemin, jugé pour avoir tiré sur Bernard Laroche ?
C’est un point d’ancrage, le seul moment où tous les protagonistes étaient enfin réunis, pour présenter leur point de vue. Cela me permet de développer des arcs narratifs qui expliquent le tout. Il n’y a jamais eu de procès dans l’affaire Gregory. C’est la seule fois où tout a été dit. Durant les six semaines du procès, les juges sont retournés réinterroger chacune des personnes présentes.
Il fallait que ce soit violent. Non pas la violence des actes, mais celle des sentiments. »
Comment Christophe Gaultier s’est-il inséré dans le processus de création ?
Il a fait un travail incroyable. Nous étions, que ce soit Jean-Marie Villemin, Christophe ou moi, dans la même forme d’urgence. Nous voulions que cela se ressente dans la bande dessinée. Pour conserver cette spontanéité et la force de son dessin, il a travaillé directement sur un petit carnet. Il a fait l’encrage directement, boîte par boîte, sans retour possible. Cela donne une forme de puissance à la bande dessinée, aux mots, aux émotions de Christine et Jean-Marie Villemin. Toutes ces années, surtout la première période, ont été pour eux un chaos total. Nous ne pouvions pas utiliser un design trop rigoureux ou trop « joli ». Il fallait que ce soit violent. Non pas la violence des actes, mais celle des sentiments.
La charge émotionnelle a dû être très forte pour Jean-Marie et Christine Villemin lorsqu’ils ont découvert l’œuvre…
Christine Villemin n’a jamais réellement travaillé sur la bande dessinée, mais elle était là pour soutenir son mari. Elle était terrifiée, se disant qu’on allait encore déchaîner des torrents de boue, que la France entière allait encore la haïr. Nous avons découvert ensemble le livre terminé. C’était extrêmement dur et en même temps très libérateur. Ils étaient heureux, pour une fois, d’avoir quelque chose qui leur ressemblait, le plus proche possible de ce qu’ils avaient vécu. Et en même temps bouleversés car certaines scènes leur sont insupportables à revivre. Mais globalement, aujourd’hui, ils sont heureux et soulagés de l’avoir fait.
« Grégory », de Pat Perna et Christophe Gaultier, avec Jean-Marie Villemin, Les Arènes BD, 148 p. 25 €.