Pour Carolyn Christov-Bakargiev, commissaire de l’exposition « Arte povera », la vie au travail
A ses yeux, l’arte pauvre a « 300 millions d’années »et non soixante… La plupart des historiens de l’art identifient cette avant-garde artistique dans l’Italie des années 1960 et 1970 ? Carolyn Christov-Bakargiev voit plus large, plus loin : elle le démontre dans la vaste rétrospective du mouvement qu’elle orchestre à la Bourse de Commerce de Paris. Pistoletto, Penone, Zorio, Anselmo, Pascali… c’est la vie et l’œuvre des treize artistes majeurs du mouvement qu’elle retrace ici. Et un peu à lui. Parce que d’eux, elle a tout appris. « L’arte povera, c’est toute ma vie professionnelle »rappelle l’éminent spécialiste.
Pendant plus de vingt ans, elle dirigea le Castello di Rivoli, dont la collection abrite de nombreux chefs-d’œuvre de l’Italie d’après-guerre. A peine sortie de l’institution près de Turin, elle se lance dans l’aventure que propose la collection Pinault. «J’allais prendre ma retraite, assure-t-elle, quand Emma Lavigne, directrice de la Collection Pinault, m’a lancé ce défi. La qualité des œuvres d’art pauvre de cette collection est si exceptionnelle que j’ai immédiatement accepté ! »
Carolyn Christov-Bakargiev a commencé à s’intéresser à ce mouvement dès le début de sa carrière, dans les années 1980 : « La mode était alors à la peinture trans-avant-gardiste, très traditionnelle et dépassée, pas du tout d’arte povera., elle se souvient. Ce qui m’a tout de suite plu chez ces artistes, c’est leur capacité à s’engager dans une pensée non binaire mais complexe, comme celle du baroque. » C’est en ce sens que, comme elle le prétend, l’arte povera a toujours existé. « Au-delà de la libre association d’amis que nous célébrons ici, c’est un point de vue sur les enjeux esthétiques et éthiques de l’art, sur l’expérience de l’œuvre. C’est le Suprema Poverta Francescanala « suprême pauvreté de saint François », œuvre accomplie. Masaccio a peint l’arte povera, le Caravage aussi. »
« Changement perpétuel »
De la Documenta qu’elle a mise en scène à Kassel (Allemagne) en 2012 jusqu’à la Biennale d’Istanbul en 2015, elle a continué à appliquer les leçons apprises de ces treize artistes, avec lesquels elle a tous travaillé, à l’exception de Pino Pascali, décédé tragiquement en 1968. « Alighiero Boetti me disait souvent : « Ça ne sert à rien de repartir de zéro, d’inventer quoi que ce soit. Tout est déjà là. Nous devons simplement mettre le monde au monde. »
Lorsqu’elle évoque l’esprit de l’arte povera, elle invoque dans le même souffle mille autres esprits, les héros de la mythologie, les artisans du Néolithique, les présocratiques. Dans sa conversation en spirale, elle passe du quattrocento de Piero della Francesca au meilleur gelateria d’Italie, après avoir abordé l’abstraction de Malevitch. De l’arte povera, elle promet toujours d’en donner une définition ; elle tourne, s’écarte, élabore. Mais décrire cet art par des mots ne l’intéresse guère. Ce qu’elle veut que le visiteur ressente, c’est l’expérience. « Le cliché est de définir ce mouvement par son utilisation de matériaux humbles, bois, pierre, charbon, etc. Mais on peut l’approfondir et le complexifier. »
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