«Pour avoir une chance de gagner, il nous faut dix fois plus d’armes»
A Kiev, notre contributeur a rencontré Ivan Ponomarenko, un architecte ukrainien reconverti en opérateur de drone. Alors que l’armée russe semble en position de force, le soldat sonne le tocsin.
« Si je n’avais pas rejoint l’armée, qui l’aurait fait pour moi ? », dit Ivan Ponomarenko sur la place Maidan. Avant la guerre, Kievan, 43 ans, était architecte et utilisait des drones pendant son temps libre. En février 2022, lors de l’invasion russe, il envoie sa femme et ses deux enfants dans les Balkans. En mai 2022, il rejoint l’armée comme opérateur de drone.
Drones civils DIY
Si les hommes ukrainiens âgés de 18 à 60 ans ne sont pas autorisés à quitter le pays, l’armée manque de volontaires. Dans la capitale, impossible d’échapper aux affiches officielles appelant à rejoindre le front. Quelques jours avant notre rencontre, Ivan Ponomarenko était sur le front dans le sud-est du pays, territoire qui s’étend de la région de Kherson jusqu’au Donbass. Pour des raisons de sécurité, nous ne saurons pas exactement où.
Même s’il connaît des militaires qui manoeuvrent des drones kamikaze, Ivan Ponomarenko n’utilise les drones que dans le cadre d’opérations de reconnaissance aérienne, précise-t-il. Militaires, civiles, toutes les machines sont les bienvenues. Lors de collectes réalisées sur Instagram ou Facebook, des Ukrainiens achètent des drones civils en Europe occidentale. Ils les donnent ensuite à l’armée pour qu’elle les retravaille et les utilise.
En ces temps de pénurie d’armes, ce bricolage est loin d’être isolé. Alors que les villes de Kharkiv, Kherson, Odessa ou encore Kiev sont actuellement bombardées par des drones russes, il ne se passe pas une semaine sans que Volodymyr Zelensky exhorte l’Occident à lui fournir des systèmes ou des armes de défense antimissile.
« Cela fait deux ans que nous attendons les F-16. Pourquoi ne viennent-ils pas ? Cependant, ce ne sont pas des armes extraordinaires mais des avions utilisés pendant la guerre du Vietnam. »», peste Ivan Ponomarenko, qui estime à environ 2 000 le nombre d’avions de guerre dont dispose la Russie, contre lesquels elle aura besoin de bien plus que dix ou vingt F16…
Des champs de bataille dignes de 2ndlr Guerre mondiale
« La bataille de Bakhmut ou d’Avdïïvka, par exemple, ressemble beaucoup à celle de Verdun. Ils n’ont rien à voir avec la bataille de Falloujah en Irak. Ce qui se passe sur le front n’a rien à voir avec les guerres en Irak mais est très proche de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale.assure celui qui se rend régulièrement sur les champs de bataille.
Compte tenu du dynamisme et de la légèreté apparente des rues de Kiev, il semble surréaliste d’imaginer la capitale occupée par les chars russes. «A Kherson non plus, ils n’imaginaient pas que cela leur tomberait dessus du jour au lendemain. Et encore… »rétorque-t-il.
Ville du sud d’environ 300 000 habitants, Kherson a été occupée par les troupes russes de mars à septembre 2022.. « Des femmes y ont été violées, des gens ont été torturés par le FSB, emprisonnés sans procès ou abattus dans la forêt »assure Ivan Ponomarenko, avant de rappeler qu’avant d’être un champ de ruines, la ville de Donetsk comptait un million d’habitants et une équipe de football, le Shakhtar Donetsk, qui a remporté la Coupe UEFA en 2009.
Si la conversation prend une tournure politique, c’est parce qu’Ivan Ponomarenko estime que la situation est grave.. « Je crois que les dirigeants occidentaux n’ont pas encore compris l’ampleur de cette guerre. Face à nous, nous n’avons pas de miliciens armés de Kalachnikov comme en Irak ou en Afghanistan »souligne-t-il, précisant qu’il parle en son propre nom et non en celui de l’armée.
Quand les soldats achètent des balles à leurs frais…
«En face, il y a une énorme armée, celle du plus grand pays du monde d’un point de vue géographique : la Russie. Pour avoir une chance de gagner cette guerre, nous avons besoin de dix fois plus d’armes. »il prévient.
Les soldats ukrainiens sont obligés d’apporter à leurs frais des balles de fusil d’Europe occidentale, confie-t-il, avant de rappeler que dans la dernière aide militaire de l’Allemagne, il y a 10 000 obus. artillerie. Insuffisant : « Un canon tire au moins 100 obus par jour. Je te laisse compter »explique-t-il avec un mélange d’humour et de résignation.
Ivan Ponomarenko s’est rendu avec l’armée à Bucha, dans la banlieue de Kiev, deux jours après sa libération. Il aurait personnellement vu les corps de civils tués, violés ou torturés par des soldats russes. Une remise des pendules à l’heure alors que les questions sur l’authenticité du massacre de Boutcha fleurissent depuis deux ans sur les réseaux sociaux.
La propagande russe serait également « très fort en Europe occidentale », selon lui. Les Européens de l’Ouest, et notamment les Français, ont une image romantique et tronquée de la Russie. « Un pays où l’esclavage était courant jusqu’à la fin du XIXème siècle »il assure. « Certains d’entre vous pensent que Léon Tolstoï est le Victor Hugo russe, alors que Tolstoï avait des serfs »ajoute-t-il même, avant de préciser qu’il parle couramment le russe et qu’il s’est rendu très souvent en Russie avant la guerre.
Comme la plupart des croisés ukrainiens, Ivan Ponomarenko ne doute pas un instant que Vladimir Poutine a l’intention d’attaquer les pays baltes ou la Moldavie s’il gagne la guerre en Ukraine. Au moment d’écrire ces lignes, Volodymyr Zelensky vient d’abaisser l’âge légal de mobilisation à 25 ans. De son côté, lors d’un échange sur WhatsApp, le militaire m’informe qu’il vient de rentrer du front de Kherson après que son bataillon ait subi une attaque de drone russe. « Quelques gars sont à l’hôpital mais personne n’est mort donc ça va », commente-t-il sobrement. En voilà un qui n’a pas peur de défendre son pays.