Le chef aux multiples influences vient de publier son dernier ouvrage, « Confort », et tentera de conquérir plus largement le public français, à l’aide de légumes et d’épices.
Ses recettes sont devenues des incontournables de la cuisine tendance. Un chou-fleur entier rôti servi avec de la crème de sésame ? C’est lui. Une aubergine brûlée saupoudrée de grenade ? Encore lui. Des carottes entières à la harissa ? C’est encore lui : Yotam Ottolenghi. Ce chef anglo-israélien de 55 ans a fait irruption sur la scène culinaire française en 2013 et a vendu plus de 800 000 exemplaires de ses livres en France, selon son éditeur Hachette. Le chef et entrepreneur londonien a publié son nouveau livre, intitulé Confort – Pour « nourriture réconfortante ».
Sans restaurant en France ni étoile Michelin, comment ce chef a-t-il réussi à insuffler sa cuisine levantine au pays de la gastronomie ?
Yotam Ottolenghi a grandi au cœur de la partie juive de Jérusalem (Israël). À la maison, son père, d’origine italienne, prépare une cuisine traditionnelle du nord de la Botte – polenta, boulettes de viande, sauce tomate… – tandis que sa mère, d’origine allemande, est plus ouverte, avec des currys aux influences asiatiques. « Ces sensibilités différentes de mes parents m’ont donné un bon équilibre »explique le cuisinier à la parisien.
Dans les années 1990, l’étudiant en lettres s’envole pour Amsterdam (Pays-Bas), où il fréquente davantage le marché que les bibliothèques. « J’ai eu une petite crise de jeunesse » il confie à la IndiquerLes odeurs de blanquette de veau et de pot-au-feu commencent à s’échapper de sa cuisine. « J’ai essayé des choses, beaucoup de plats traditionnels d’inspiration française », se souvient-il. Une découverte que le jeune Israélien a peaufinée à l’école de cuisine française Cordon Bleu de Londres (Royaume-Uni), qu’il a intégrée en 1997.
Il se sent rapidement limité par la cuisine française, qu’il juge trop rigide. « Je ne comprends pas pourquoi nous suggérons que tous les légumes, quelle que soit leur taille, soient coupés de la même manière. »il s’enclenche Le monde. Ses carottes cuites entières, fanes comprises, deviendront plus tard l’une de ses marques de fabrique. En attendant, lors de sa formation au Cordon Bleu, une seule journée est consacrée aux « cuisines du monde »… alors qu’elles sont déjà omniprésentes dans les rues de Londres.
Il a également fait la rencontre décisive de sa carrière dans les cuisines d’un épicerie fine (un restaurant-traiteur qui propose des plats à emporter) dans la capitale britannique. Comme lui, Sami Tamimi est né à Jérusalem en 1968, mais dans la partie musulmane, avant d’émigrer en Europe. Ensemble, ils travaillent, partagent leurs souvenirs de cuisine israélienne et palestinienne, dont ils tirent un livre, Jérusalem.
L’émergence de Yotam Ottolenghi en France a commencé avec ce grand livre, publié en France en 2013. « Aucune maison d’édition française ne voulait acheter les droits, c’était trop différent »se souvient Catherine Saunier-Talec, directrice générale de la division chez Hachette Livre. C’est elle qui a installé le cuisinier dans les rayons des librairies françaises. « C’était un pari risqué, mais j’avais testé ses recettes et c’était une réussite à chaque fois »explique le rédacteur, passionné de cuisine.
Avec sa couverture en tissu à motifs et l’absence de photos, le livre est un OVNI. Avant d’aborder les recettes, le lecteur est invité à se plonger dans l’histoire de Jérusalem et les origines variées de ses plats phares. Yotam Ottolenghi pose les jalons de son « cuisine du soleil » qui fera son succès, avec l’utilisation d’ingrédients alors peu connus en France, comme le zaatar, un mélange d’herbes et d’épices généralement composé de thym, d’origan, de sésame, de sumac et de sel ; la mélasse de grenade ; ou encore le tahini, une crème de sésame.
« Avec Ottolenghi, nous avons découvert que le chou-fleur n’était pas seulement à gratin et qu’il pouvait être délicieux ! »
Catherine Saunier-Talec, directrice d’Hachette Pratiqueà franceinfo
Dans le livre, les recettes ne sont pas classées en entrées ou en plats principaux, comme dans les menus français traditionnels, mais sont présentées sous forme d’une multitude d’assiettes à partager entre tous les convives, sans ordre établi. Les viandes et les poissons sont également relégués au second plan, après les chapitres consacrés aux légumes frais et secs qui deviennent les véritables stars de l’assiette.
Cette nouvelle sauce aux saveurs méditerranéennes commence à faire son chemin en France grâce au bouche-à-oreille, mais reste limitée à un cercle restreint. « C’était vraiment un public d’initiés »explique Déborah Dupont-Daguet, propriétaire de La librairie gourmande à Paris et à Dijon (Côte-d’Or). Elle souligne également que malgré le succès à long terme du premier livre de Yotam Ottolenghi en France, les deux suivants ont été « flops ». Plus de cinq ans après leur sortie, les ventes de Non Et Doux Les ventes sont plafonnées à moins de 20 000 exemplaires, selon les estimations d’Edistat. Leur niveau de complexité et la longue liste d’ingrédients n’y sont sûrement pas pour rien.
L’engouement pour Ottolenghi a envahi la France quelques années plus tard, en 2018, avec la sortie de Simpledans lequel le chef réduit le nombre d’ingrédients et les temps de préparation. « C’est un peu comme Ottolenghi pour les nuls »explique la journaliste culinaire Estérelle Payany. « Ce livre l’a rendu accessible au grand public »ajoute Déborah Dupont-Daguet. Dans ses librairies, les clients ne connaissent pas toujours le nom du chef, mais ils veulent tous acheter. « Le livre jaune avec le citron ».
Le succès est exponentiel. « Chaque année, je vends plus que l’année précédente. »se réjouit Catherine Saunier-Talec. Au total, plus de 300 000 exemplaires du livre ont été vendus en France, selon la maison d’édition. « Pour un livre de chef à presque 40 euros, c’est énorme, il n’y a pas d’équivalent en France »assure Déborah Dupont-Daguet.
« Avec le confinement, les gens ont eu plus de temps pour cuisiner et en avaient un peu marre de toutes les recettes qu’ils connaissaient. (Yotam) Ottolenghi leur a permis de trouver de nouvelles inspirations. »
Déborah Dupont-Daguet, libraireà franceinfo
Un succès inattendu, tant l’Anglo-Israélien ne suit pas le modèle du médiatique chef français. Il n’a pas de restaurant étoilé à son actif, ne possède aucun établissement en France et boude les plateaux télé, à l’heure où des émissions comme « Top Chef » sur M6 dictent les tendances et les personnalités culinaires marquantes. Son style, sans toque, se démarque. « En France, les chefs sont enfermés dans des figures tutélaires et dans la haute cuisine. Alors qu’Ottolenghi est cool et fait des plats mijotés aux saveurs explosives. »décrypte Déborah Dupont-Daguet.
A Londres, ses neuf restaurants proposent sa cuisine à déguster sur de grandes tables ou à emporter sous forme de buffets. Pas de chichis, pas de nappes blanches. Pour Yotam Ottolenghi, ce sont les goûts qui comptent « pointu » (piquant) qui comptent, comme l’acide ou le piment. Oubliez le brocoli bouilli ou cuit à la vapeur. « C’est un péché de trop cuire les légumes comme ça ! »le chef s’indigne L’ExpressChez lui, les légumes sont traités avec les mêmes techniques que la viande : rôtis sur la braise, conservés ou encore cuits en croûte.
Ses livres cachent aussi un secret. «Toutes ses recettes fonctionnent vraiment, c’est génial», explique la cheffe Ella Aflalo, qui feuillette régulièrement les ouvrages de Yotam Ottolenghi. « Cela peut paraître peu, mais c’est très important. »explique la journaliste culinaire Estérelle Payany. « Alors que les grands chefs français adaptent simplement leur cahier des charges de restaurant aux quantités d’individus, Ottolenghi goûte à tout dans son cuisine d’essai et s’entoure d’une équipe. » Ses derniers travaux sont également signés avec Helen Goh, Verena Lochmuller et Tara Wigley.
« C’est toujours bon. C’est toujours beau. Et les recettes sont abordables à tous les niveaux et à tous les prix. »
Ella Aflalo, chefà franceinfo
Avant toute publication, les idées du chef anglo-israélien passent aussi par les fourneaux domestiques de Claudine Boulstridge, qu’il a rencontrée en 2007. Cette quadragénaire, qui vit dans la campagne galloise, teste les recettes, vérifie leur faisabilité chez « le commun des mortels » et envoie un avis détaillé à Yotam Ottolenghi. « La plupart du temps, il s’agit de corriger une proportion ou de partager ma difficulté à trouver un ingrédient »elle a expliqué à la Monde en 2019.
Il faut dire que certains aliments vantés par le chef ne sont pas toujours faciles d’accès. C’est l’une des limites de son succès en France. « Trouver du zaatar dans les profondeurs de la Creuse n’est pas chose aisée »« C’est un livre qui a du sens, mais il faut le reconnaître, c’est un livre qui a du sens, mais il faut le reconnaître, c’est un livre qui a du sens, se souvient Déborah Dupont-Daguet. Résultat : les lecteurs de Yotam Ottolenghi restent majoritairement des citadins issus d’une classe sociale aisée, selon la libraire. Il suffit de jeter un œil à son épicerie en ligne pour s’en rendre compte, avec des coffrets cadeaux remplis d’épices au nom du chef qui dépassent les 100 euros.
« Il participe sans le vouloir à la « premiumisation » des ingrédients utilisés par les populations immigrées. »
Esterelle Payany, journaliste culinaireà franceinfo
Ce constat pourrait changer. La diffusion de la cuisine levantine dans les restaurants et chez les particuliers modifie déjà le contenu des rayons des supermarchés. La marque Ducros vend désormais du zaatar en supermarché pour moins de trois euros. « Au début c’était très parisien, mais maintenant ça se répand dans toute la France »estime Catherine Saunier-Talec. Hachette a déjà tiré 50 000 exemplaires du dernier ouvrage du chef et ambitionne d’en vendre le double d’ici Noël. Un défi de taille, selon Estérelle Payany : « Toute la question de la libération de Confortc’est : « Allons-nous réussir à faire d’Ottolenghi un véritable courant dominant ? »
Grb2