« Ah, désolé, je ne t’ai pas vu, » s’excuse le président du tribunal correctionnel, Roger Arata. Cet après-midi-là, cette magistrate ne s’est pas rendu compte que Mme Béatrice Zavarro voulait prendre la parole… Cette avocate marseillaise, de petite taille, sait pourtant se faire entendre quand il le faut. C’est elle qui défend Dominique Pelicot, cet homme de 71 ans, jugé jusqu’au 20 décembre à Avignon (Vaucluse), pour avoir drogué pendant dix ans son ex-femme, afin de la violer et la faire violer par des dizaines d’hommes. ‘individus.
Mais dans la salle d’audience, l’avocat de 55 ans est placé un peu à l’écart des autres parties : à côté et en dessous des juges du tribunal correctionnel du Vaucluse. Un « isolement » qui est à l’image de ce procès où elle doit affronter tous les protagonistes du public. Aux avocats de Gisèle Pelicot et aux deux procureurs généraux, bien sûr. Mais aussi à la majorité des avocats qui défendent la cinquantaine d’autres accusés… puisque ces derniers contestent avoir été informés par Dominique Pelicot que la victime avait été préalablement droguée.
« J’avais senti cette bataille se profiler en 2022. C’était l’année où il y avait eu les affrontements entre M. Pelicot et les autres accusés, au cours de l’enquête. J’ai alors dit à mon client : Ce procès sera vous et moi contre le monde entier. » M. Zavarro avait raison. Il doit même être sur ses gardes à la sortie du tribunal. « Prends soin de toi, » lui avait glissé un homme durant les premiers jours de l’audience. Un autre, « au regard fixe et très inquiétant, une sorte d’illuminé », l’avait approchée pour lui faire des remarques incohérentes sur la façon de faire la lessive… Sans parler des appels malveillants qu’elle recevait à son secrétariat : « Au début du procès, c’était un par jour. Ça s’est un peu calmé. elle apprécie.
Le dossier occupe une pièce de la maison
Défendre un criminel n’est jamais facile. Et reste souvent une mission incomprise. Dans les années 1970, l’ancien résistant et avocat Albert Naud détaille dans un livre : Défendez-les tous – ce droit fondamental : toute personne mise en cause par la Justice, quel que soit son délit, doit pouvoir être assistée. Il avait assuré la défense de Pierre Laval, l’ancien chef du gouvernement de Vichy. « M. Pelicot a commis des actes monstrueux. Ce qu’il a fait était impensable. Mais même si on déteste ça, ma mission est aussi qu’on arrive à comprendre” comment cet homme en est arrivé à commettre de tels crimes. Autrement dit, abordez toute la personnalité de cet ancien électricien et agent immobilier : la face A, décrite par un expert psychiatre, celle d’un père et d’un grand-père appréciés de son entourage, et la face B, « une personnalité obscure qui s’est révélée le soir ». L’autre mission de M. Zavarro est de démontrer que lorsque son client soutient que tous les hommes venus au domicile du couple savaient que sa femme dormait, il « n’est pas un menteur ».
Pour y parvenir, l’avocate s’est plongée dans l’imposant dossier d’enquête : trente et un volumes, cent kilos au total. « Chez moi, je mets tout ça dans une pièce à côté » et trié PV par PV ceux qui lui seront utiles et ceux qu’elle pourra mettre de côté. « J’y travaille depuis fin 2023 », ne cachez pas celle qui n’est pourtant rémunérée que par l’aide judiciaire.
Les quatre mois de procès sont tout aussi exigeants. Même lors de rares moments de répit. Du 28 au 1 octobreeuh En novembre, le public fait une pause. Du coup, cette semaine, elle est occupée par plusieurs rendez-vous liés à ses autres dossiers. Quant au premier trimestre 2025, avec tous les renvois d’affaires qu’elle a demandés cette année aux juges, « c’est déjà bien plein… » La coupe est-elle pleine ? Pas encore. Elle doit encore faire face à l’incroyable retentissement médiatique provoqué par ce procès en France et à l’étranger. « Je ne m’attendais pas à ça » » reconnaît celui qui, par le passé, a défendu Christine Deviers-Joncour dans l’affaire politico-financière Elf. Quelle ne fut pas sa surprise, il y a quelques semaines, d’être interviewée, en direct, par une radio colombienne, alors qu’elle circulait en voiture entre Marseille et Aix.
« Je ne suis pas seul »
Mieux que quiconque, elle comprend la dimension prise par ce procès public. L’audience pénale a également donné lieu à « un débat sociétal sur les violences sexuelles, sur les réseaux sociaux, sur les hommes dans leur ensemble. Et nous le devons à Gisèle Pelicot. Ce procès est devenu un sujet politique », elle observe.
Pourtant, malgré ce contexte qui pourrait donner le vertige, Me Béatrice Zavarro tente de rester concentrée sur son sujet. Elle sait qu’il sera difficile d’épargner à son client la peine maximale de vingt ans de prison, « même si ce dernier ne me met aucune pression par rapport à ce délai. Il ne m’a jamais demandé de gagner quelques années. assure-t-elle. Elle sait aussi, pour l’essentiel, ce qu’elle dira aux juges au moment de plaider : «Je connais mon point de vue. Je ne vais pas découvrir ma plaidoirie”laisse entrevoir celui qui reconnaît « être épuisé », tout en restant disponible pour les questions des journalistes.
Sa robe d’avocat pourrait-elle être une cape dotée de super pouvoirs ? » Non, elle rit. Mais je sépare ma vie professionnelle et personnelle. Et surtout, il ne faut pas entrer dans mon périmètre de sécurité : ma famille, la pizzeria à côté de chez moi… » « Tu n’as pas encore parlé de moi? » « , » rit son mari, au carrure de déménageur, qui l’accompagne tout au long du procès à Avignon. « C’est vrai, je ne suis pas seul. Nous sommes deux et le soir nous débriefons beaucoup », elle a souri.