Pollution des plages françaises : d’où viennent les microbilles de plastique ?

Certains évoquent la pollution causée par la perte de conteneurs en mer. Peut-on, à ce stade, l’affirmer ?
Au vu des quantités déversées sur les plages et si l’on considère que toutes ces microbilles de plastique arrivent de la mer, à plusieurs endroits différents de la côte, il y a en effet de fortes chances qu’elles proviennent d’une cargaison. Ce n’est pas toujours le cas. D’autres sources potentielles de ce type de pollution incluent les sites de production et de recyclage. C’est le cas par exemple de l’usine Exxon Mobil de Port-Jérôme (Seine-Maritime). Le site n’a aucun contrôle sur ses pertes de granulés, qui finissent dans la Seine en très grande quantité. Des enquêtes ont détecté jusqu’à 950 grammes par m 3 dans les eaux de la réserve naturelle nationale de l’estuaire de la Seine. Certaines boucles de la rivière sont devenues de véritables dépotoirs. Nous avons porté plainte contre Exxon Mobil. Elle a été licenciée sans suite. Comme trop souvent dans ce genre d’entreprise.
De quel type de pollution parle-t-on exactement ?
Ce sont des microplastiques primaires, des polymères utilisés dans l’industrie automobile, mais aussi dans les industries de l’emballage, de l’emballage alimentaire et du recyclage. Les plastiques en fin de vie sont ensuite transformés en granulés pour être réutilisés. Des pertes peuvent également se produire lors du transport terrestre de ces matériaux. Qu’elles proviennent de camions ou de sites de production, ces microbilles finissent invariablement dans les rivières puis en mer.
Quelle est la durée de vie de ces plastiques dans la nature et quels sont leurs impacts sur les écosystèmes ?
Ce sont des plastiques, donc ils restent des centaines, voire des milliers d’années. Ils ne se biodégradent jamais, mais finissent par se fragmenter sous l’effet du frottement avec le sable ou les roches. Une fois transformés en poussière, ils contamineront tout. C’est une vraie douleur. En plus de détruire la santé des océans, ces microparticules seront ingérées par un nombre considérable d’espèces marines et d’oiseaux qui les confondront avec des proies. Il peut alors y avoir contamination de la chaîne alimentaire, mais aussi suffocation, perte d’appétit ou de mobilité des animaux concernés. Dans des études antérieures à la directive-cadre sur l’environnement marin de l’Union européenne, les scientifiques ont trouvé 278 pastilles dans l’estomac d’un seul oiseau marin. Leur dépôt est aussi une catastrophe pour la ligne de mer – ces bandes d’algues et de débris végétaux accumulés en haut des plages lorsque la mer se retire – véritable garde-manger pour de nombreuses espèces. Nettoyer la ligne de mer est quasiment impossible et tout enlever serait nocif pour les écosystèmes. C’est un cercle vicieux.
Un conteneur transporte environ 26 tonnes de granulés, soit environ 1,3 milliard de granulés par conteneur.
Est-il possible d’identifier les responsables ?
Parfois c’est assez simple. En 2014, par exemple, on sait que l’immense porte-conteneurs Svendborg Maersk a perdu 517 conteneurs au large de la Bretagne. Dans la foulée, la préfecture maritime a imposé une cartographie des fonds marins afin de déterminer l’emplacement exact des cartons, mais personne n’est ensuite allé les récupérer. Là aussi, la plainte que nous avions déposée à l’époque contre l’armateur a été rejetée.
Et dans ce cas ?
Il n’est jamais vraiment impossible de déterminer les responsabilités, mais cela nécessite une enquête minutieuse et internationale dans un monde opaque, celui du transport maritime. Les navires impliqués devaient être en mer trois à quatre jours avant que la mer ne frappe. Une fois cette première liste établie, tous ceux qui ne transportaient pas de conteneurs doivent être éliminés. Ensuite, prenez contact avec les armateurs afin de définir précisément le type de marchandise. D’après les photos, ces pellets peuvent aussi provenir d’un bidon perdu il y a plusieurs mois et qui a fini par être éventré. Là aussi, on peut clarifier les choses en analysant les plastiques. Bref, c’est possible, à condition d’y mettre les moyens.
Ces pertes de conteneurs sont-elles un phénomène croissant ?
Oui, on le voit de plus en plus souvent. D’abord parce que le trafic maritime s’intensifie. Mais pas seulement. Les porte-conteneurs sont de plus en plus gros, avec en moyenne 20 000 caisses à bord. Cette course au gigantisme favorise les pertes. A tel point que les assureurs et armateurs – peu connus pour être très vocaux – reconnaissent eux-mêmes que lors de la reprise post-covid, les pertes ont sensiblement augmenté.
Que faut-il faire pour s’en sortir ?
La première solution serait d’interdire le transport en pontée (sur le pont supérieur) de conteneurs contenant des granulés de plastique. Mais le plastique n’étant pas considéré comme une matière dangereuse par les autorités maritimes, il n’y a aucune obligation de les stocker en soute. De plus, et toujours parce qu’il ne s’agit pas officiellement d’une marchandise à risque, les conditions d’arrimage et de traçabilité de ces conteneurs sont moins strictes. Enfin, pour des raisons de coût, les armateurs refusent de payer la récupération de leurs conteneurs tombés à la mer ou d’installer un système de balise sur leur cargaison. Bref, il faut bouger l’Organisation Maritime Internationale, sortir de ce système où une dizaine d’armateurs tout-puissants font la loi sous l’œil vigilant d’Etats complaisants. Mais tous les pays doivent encore considérer cette question comme une priorité.
Grb2