Depuis sa création en 1982, la milice chiite pro-iranienne a progressivement étendu son emprise sur la politique et l’économie libanaises. Cependant, sa puissance est remise en question depuis qu’Israël a lancé fin septembre une offensive contre ses forces.
« Libérez votre pays de Hezbollah pour que cette guerre puisse prendre fin. » Dans une vidéo publiée mardi 8 octobre, Benjamin Netanyahu s’adresse aux Libanais et les appelle à se soulever contre le mouvement chiite. « Vous avez l’opportunité de sauver le Liban avant qu’il ne sombre dans l’abîme d’une longue guerre qui provoquera destruction Et souffrance comme ceux que nous voyons à Gaza » a menacé le Premier ministre israélien.
Suite aux attaques du 7 octobre menées par le Hamas en Israël, le Hezbollah a ouvert un autre front, en soutien aux milices palestiniennes. Pendant un an, les affrontements transfrontaliers ont été quasi quotidiens entre l’armée israélienne et le mouvement libanais, jusqu’à l’offensive terrestre lancée par l’Etat hébreu au sud du Liban le 1er octobre.
Avec 100 000 combattants revendiqués et 150 000 roquettes et missiles, le Hezbollah est considéré comme l’une des plus grandes formations militaires au monde pour un groupe non étatique. Le « Parti de Dieu » a été fondé en 1982 par les Gardiens de la révolution iraniens, à la suite de l’invasion israélienne du Liban. Depuis, l’organisation chiite, classée terroriste par les États-Unis et l’Union européenne, n’a cessé d’accroître son influence dans la société libanaise. De milice armée, elle est également devenue l’un des principaux groupes politiques du pays, au point d’être souvent considérée comme une « L’État dans l’État ».
Un réseau d’hôpitaux et d’écoles
Le Hezbollah a été fondé au Sud-Liban en 1982. A cette époque, et encore aujourd’hui, cette région agricole dominée par les collines et les montagnes est habitée par un « population assez pauvre, composée majoritairement de musulmans chiites »explique Clara Hage, journaliste au quotidien libanais L’Orient-Le Jour. Ces derniers sont délaissés par le gouvernement libanais, dirigé par des chrétiens maronites et sunnites, qui développe l’émission « Le Dessous des Cartes » sur Arte. Dans ce contexte, le Hezbollah se construit autour d’un discours fondé sur l’injustice sociale. Son manifeste publié en 1985 est aussi un « appel aux déshérités »notent les chercheurs Myriam Catusse et Joseph Alagha dans un article (en PDF) du travail collectif LE Hezbollah (éd. Actes Sud). Au sud du Liban, les milices « se développe à travers des organisations caritatives pour venir en aide aux familles les plus démunies. Cela lui permet également d’étendre son influence et de recruter des membres. »poursuit Clara Hage.
« Il n’y a pas un village au sud du Liban où le Hezbollah ne soit pas fortement présent. »
Clara Hage, journaliste à « L’Orient-Le Jour »sur franceinfo
Au fil des années, le Hezbollah a étendu son influence à d’autres territoires du Liban à majorité chiite, comme la banlieue sud de Beyrouth et la plaine de la Bekaa, frontalière avec la Syrie, comme le montre la carte. Le monde. Grâce au soutien financier de l’Iran, le Hezbollah « construira un monde de charité, avec des écoles, des cliniques, une université… C’est pourquoi il dispose d’une base populaire très solide au sein de la communauté chiite »note Jihane Sfeir, spécialiste du monde arabe contemporain et enseignante à l’Université libre de Bruxelles.
La principale structure sociale du Hezbollah est la Fondation des Martyrs, qui soutient, à travers ses établissements médicaux, les familles de ses combattants morts au combat. Le Hezbollah a également créé la Good Loan Foundation, qui accorde depuis 1982 des crédits sans intérêt dans les régions chiites du Liban, afin de de « remédier aux conséquences de l’invasion israélienne »d’après l’article de Myriam Catusse et Joseph Alagha. Aujourd’hui encore, face à la crise économique que traverse le Liban, la formation apporte un soutien financier important à la population. En 2024, elle a notamment déployé une carte magnétique qui permet à ses détenteurs d’avoir accès aux magasins du parti et de bénéficier de réductions importantes sur des produits essentiels, rapporte L’Orient-Le Jour.
Une fête devenue incontournable
Le Hezbollah s’est présenté pour la première fois aux élections législatives libanaises en 1992, deux ans après la fin de la guerre civile. Les accords de Taif signés à la fin du conflit en 1989 ont renforcé la représentation des chiites dans le système politique confessionnel libanais. Hassan Nasrallah, qui vient d’arriver à la tête du mouvement, a pris la décision de faire entrer sa formation dans les institutions libanaises afin de faire valoir ses intérêts et ceux de la communauté chiite, explique la spécialiste Jihane Sfeir. Le « Parti de Dieu » a alors fait sa première entrée au Parlement avec huit députés, rappelle L’Orient-Le Jour.
En 2004, quatre ans après le retrait israélien du sud-Liban après près de vingt ans d’occupation, l’ONU a adopté la résolution 1559, exigeant le retrait des forces étrangères, le désarmement des milices et la tenue d’une élection présidentielle sans ingérence étrangère. Craignant de perdre son poids militaire et politique, le Hezbollah décide alors de participer au gouvernement libanais. En 2005, après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri, imputé au Hezbollah et à la Syrie, le groupe chiite rejoint pour la première fois l’exécutif libanais. Deux de ses membres, Mohammad Fneich et Trad Hamadé deviennent respectivement ministre de l’Énergie et de l’Eau et ministre du Travail.
« Le plan du Hezbollah est d’utiliser le système politique libanais pour lutter contre Israël et défendre ses affaires. Petit à petit, il gagnera le pouvoir. »
Jihane Sfeir, spécialiste du monde arabe contemporainsur franceinfo
Ce pouvoir s’est accru en 2006 lorsque le mouvement chiite a réussi à sceller une alliance avec le Courant patriotique libre (CPL) du président chrétien Michel Aoun. Les deux parties s’accordent par écrit sur un dialogue diplomatique avec la Syrie – alliée du Hezbollah – ou sur la possession d’armes par les milices chiites, soutient L’Orient-Le Jour. Cette alliance déterminera par la suite la formation des gouvernements successifs, explique RFI. En 2016, Michel Aoun devient président. « Le Hezbollah a fini par engloutir l’État libanais et dominer la scène politique libanaise », observe Rym Montaz, spécialiste du Liban, dans le podcast « Le Collimateur ». Aujourd’hui, le Hezbollah participe au gouvernement et ses députés forment (avec ses alliés) le groupe le plus important au Parlement. Mais aucun bloc ne dispose de la majorité absolue, empêchant l’élection d’un président de la République pendant près de deux ans.
Même si le Hezbollah continue de bénéficier d’un fort soutien au sein de la communauté chiite, une partie de la classe politique libanaise lui reproche d’avoir plongé le pays dans le conflit avec Israël depuis le 7 octobre. « pure fête » Et « incorruptible » a également été ternie en 2020 avec les explosions au port de Beyrouth imputées aux milices, note Jihane Sfeir. En juillet, seuls 30% des Libanais déclaraient avoir une assez grande ou très grande confiance dans le Hezbollah, rapporte le magazine spécialisé. Affaires étrangères. Pour certains, « L’État est en faillite et le Hezbollah est en train de mourir » observe Jihane Sfeir, après les attaques de téléavertisseurs subies par ses membres en septembre et la mort d’un grand nombre de ses commandants, dont son leader historique Hassan Nasrallah.
Une machine de propagande
Depuis sa création, le Hezbollah a mis en place un réseau médiatique destiné à diffuser sa propagande. Selon la politologue Olfa Lamloum, membre de l’Institut français du Moyen-Orient à Beyrouth, le groupe a orienté sa stratégie de communication autour de deux constantes : garantir sa visibilité et défendre son projet auprès des médias nationaux et internationaux, et constituer un réseau médiatique indépendant capable de refléter ses positions, écrit-elle dans un article (en PDF) de 2008. En 1984, le Hezbollah a lancé son premier hebdomadaire Al-Ahdchargé de diffuser son projet politique.
Dans les années 1990, le Hezbollah a également créé la chaîne de télévision Al-Manar, accusée au début des années 2000 d’avoir diffusé des feuilletons antisémites et complotistes, puis la radio Al-Nour. Toutes ces activités médiatiques sont supervisées de manière centralisée, ce qui permet au Hezbollah d’être « de tous les partis islamistes, celui qui a le plus investi dans le domaine médiatique, tant au Liban que dans le reste du monde arabe », note le chercheur.
La chaîne (interdite depuis 2004 en Europe et aux Etats-Unis) a notamment acquis une grande popularité dans les territoires palestiniens, où elle diffuse son imaginaire. « Désormais, le Hamas imite le folklore du Hezbollah jusque dans les moindres détails : défilés de futurs kamikazes vêtus de noir et bardés de bombes, défilés paramilitaires mêlés de kung-fu, etc. »expliquait le journaliste spécialiste du Moyen-Orient Christophe Ayad en 2004 dans Libérer.