C’est un débat qui fait réagir le monde politique, à quelques jours de l’ouverture de la session ordinaire du Sénat et en plein procès des viols de Mazan. Le sénateur Joël Guerriau, mis en examen en novembre 2023 pour avoir « administré à l’insu de » la députée Sandrine Josso « une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes en vue de commettre un viol ou une agression sexuelle », peut-il revenir sur les bancs de la Chambre haute, comme si de rien n’était ?
De nombreux sénateurs protestent
Pour ses collègues, c’est non. « De nombreux » parlementaires refuseront de « siéger avec un élu soupçonné d’avoir drogué un collègue », a prévenu la sénatrice socialiste Laurence Rossignol. « Compte tenu de la gravité des faits reprochés, il serait inacceptable, tant pour des raisons de sécurité des élus que de celle du personnel politique, d’envisager un retour de M. Guerriau à ses fonctions », jugent également les sénateurs écologistes dans un communiqué publié lundi.
Même le président de la chambre haute, Gérard Larcher, a déclaré ce mercredi sur France Inter que « sa place n’est plus au Sénat ». Il a rencontré ce mercredi Joël Guerriau « pour lui rappeler la nécessité de démissionner de ses fonctions ».
Un « retrait » mais pas une démission
A l’issue de cet entretien, le sénateur, qui « conteste les faits », a annoncé dans un communiqué mercredi soir qu’il acceptait de se retirer pour « préserver la sérénité » de l’institution.
« À la demande du président Larcher, je démissionne ce jour de la vice-présidence de la commission des Affaires étrangères et de la Défense et me retire de la participation aux travaux parlementaires du Sénat », écrit-il, tout en regrettant « le non-respect des grands principes de la République comme la présomption d’innocence ».
Selon l’entourage du président du Sénat, « Gérard Larcher lui a demandé de démissionner de son mandat mais n’a pas reçu de réponse » à ce sujet.
Aucune exclusion possible
En réalité, le président du Sénat n’a pas beaucoup de pouvoir en la matière. Le règlement intérieur du Sénat ne permet pas l’exclusion d’un de ses membres, sauf à titre temporaire. L’article 92 du règlement intérieur précise que « les sanctions disciplinaires applicables aux membres du Sénat sont : le rappel à l’ordre ; le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal ; la censure ; la censure avec exclusion temporaire ».
Ces sanctions disciplinaires sont également prévues en cas de trouble à l’ordre de la séance publique, d’injures, de provocations ou de menaces envers le président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement ou des assemblées ou encore de manquement à l’éthique, mais pas en cas de mise en examen.
Dispensé de fréquentation pendant près d’un an
Le Bureau du Sénat peut, de son côté, prononcer des sanctions disciplinaires à l’encontre d’un sénateur en cas de manquement à ses obligations de présence. Selon l’article 23 du Règlement du Sénat, un sénateur peut se voir refuser une partie de son indemnité de fonction s’il s’absente de plusieurs votes au cours d’un même trimestre d’une session ordinaire. Or, Joël Guerriau, qui n’a plus mis les pieds au Palais du Luxembourg depuis novembre 2023, est lui-même l’un des secrétaires du Bureau du Sénat. Selon un article publié fin avril par Ouest de la Francele sénateur de Loire-Atlantique, en arrêt maladie, serait dispensé de présence.
Joël Guerriau a également été suspendu de son parti, Horizons, et de son groupe politique, les Indépendants – République et Territoires. Mais il n’en est pas encore exclu, et pourrait en tout cas siéger comme député non inscrit en cas de retour à l’hémicycle.
Pouvoir limité du Conseil constitutionnel
« Seul le Conseil constitutionnel, à la suite d’une décision de justice, peut démettre un parlementaire de son mandat », a rappelé mercredi Gérard Larcher. « Or ce pouvoir est très limité », nuance Camille Aynes, maître de conférences en droit public à l’université Paris Nanterre, dans une note publiée par le think tank Club des juristes. « Le système actuel nous empêche de pouvoir mettre fin au pouvoir d’un élu dont le comportement, qui constitue une infraction pénale, n’aurait pas été assorti d’une condamnation à l’inéligibilité par le juge », explique-t-elle.
Le Conseil constitutionnel peut certes prononcer la déchéance d’un parlementaire, mais il ne s’agit en réalité que d’un constat. Les Sages viennent constater une inéligibilité résultant d’une privation de droits électoraux consécutive à une condamnation définitive. Il faut donc qu’un tribunal ait condamné l’élu à une peine d’inéligibilité ou d’interdiction temporaire ou définitive d’exercer une fonction publique.
« Aucune nouvelle de l’enquête » depuis onze mois
Dans une autre note publiée par le Club des juristes à l’origine du dossier, Alice Dejean de la Bâtie, maître de conférences en droit pénal à l’université de Tilburg (Pays-Bas) estimait que « si la qualification liée aux stupéfiants ou à l’administration de substances nocives était retenue, sa fonction d’élu pourrait faire craindre à M. Guerriau l’application d’une des peines complémentaires de l’article 222-45 du Code pénal, notamment l’inéligibilité ou l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer une fonction publique ».
Mais cela nécessitera un éventuel procès, suivi d’une éventuelle condamnation, et aucun appel ne sera interjeté. Mercredi, Gérard Larcher a annoncé avoir « écrit (…) au procureur de la République », mais n’avoir « aucune nouvelle de l’enquête », « depuis onze mois ».
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