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« Plus Vladimir Poutine est confiant, plus il a de chances d’être arrêté »

La Croix : Vladimir Poutine est arrivé ce lundi en Mongolie, Etat signataire du Statut de Rome, malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) à son encontre. Est-ce la fin des espoirs de voir un jour le président russe jugé ?

Mathilde Philip-Gay : Symboliquement, le fait qu’il se rende dans un pays signataire du Statut de Rome (par lequel un État reconnaît la compétence de la CPI, NDLR) est un pied de nez délibéré à la CPI, dont la raison d’être est justement de lutter contre l’impunité des hauts responsables. Le président russe est sous le coup d’un mandat d’arrêt depuis le 17 mars 2023, cette visite peut donc être vue comme une démonstration de la faiblesse de la CPI.

Je voudrais cependant apporter deux nuances. D’abord, ce n’est pas la première fois que Vladimir Poutine affirme être invité par un chef d’État étranger sur son territoire : ce fut le cas en août 2023 lorsque l’Afrique du Sud l’a invité à participer au sommet des BRICS, bien que le président russe ne se soit pas risqué. Et puis – et surtout – en faisant ce déplacement il n’est pas à l’abri d’une arrestation, quoi qu’on en pense. Au contraire !

Dans quel sens ?

Monsieur PG.: Plus il se livre à ce type de comportement, plus le risque sera élevé. En Mongolie, ce n’est pas le président mais les juges qui décident d’une arrestation. Même chose en Afrique du Sud – c’est pourquoi il a finalement décidé de ne pas s’y rendre. La justice mongole manque d’indépendance, mais il n’est théoriquement pas en sécurité.

C’est ce qui est arrivé à l’ancien président tchadien Hissène Habré. Il a fini par être arrêté au Sénégal parce qu’il se sentait trop sûr de lui. Plus un chef d’État est sûr de lui, plus il risque d’être confronté à une « erreur ». Et les experts comme moi aiment que les chefs d’État se mettent à commettre ce genre d’erreurs ! Il y en aura peut-être d’autres. Vladimir Poutine est invité à la cérémonie d’investiture du nouveau président mexicain et a laissé entendre qu’il aimerait y assister. Il laisse la rumeur se répandre pour voir quelles seront les réactions, et ensuite décider.

Mais est-il réaliste d’espérer juger un jour le chef d’un État membre du Conseil de sécurité de l’ONU, qui possède par ailleurs un arsenal nucléaire ?

Monsieur PG.: Chaque fois qu’un chef d’État a été impliqué dans des crimes internationaux, on a dit : il est impossible de le juger « Ce fut le cas de Slobodan Milosevic, d’Hissène Habré et du leader khmer rouge Khieu Samphân. Ils ont tous fini par être jugés – avec l’aval de la Russie, et de Vladimir Poutine pour les deux derniers, d’ailleurs.

Bien sûr, si Vladimir Poutine n’est pas arrêté à l’étranger, il faudra d’autres paramètres. Qu’il soit arrêté en Russie. S’il a le soutien total de l’appareil d’État russe, c’est impossible. Mais s’il est affaibli en Russie, alors c’est envisageable. En cas de transition politique et d’arrivée au pouvoir d’un nouveau dirigeant russe, il n’est pas impossible qu’il livre Vladimir Poutine à la justice en signe de bonne volonté. C’est pourquoi, partout sur la planète, des « snipers » préparent des dossiers, et attendent le moment de dégainer leurs armes.

« Nous sommes à la préhistoire du droit pénal international »

La CPI a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour sa politique d’expulsion d’enfants ukrainiens vers la Russie. Pourquoi ce mandat d’arrêt n’a-t-il pas été émis pour le crime d’agression contre l’Ukraine ?

Monsieur PG.: La CPI est compétente pour les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le génocide. Ce n’est que depuis 2017 que les amendements de Kampala ont étendu sa compétence au crime d’agression. Ces amendements sont encore en cours de ratification et chacun des 125 États signataires du Statut de Rome doit les signer à nouveau. C’est pourquoi une juridiction spéciale sera nécessaire si Vladimir Poutine doit être jugé à court terme pour le crime d’agression – un crime qui existe dans les codes pénaux ukrainien et russe. À long terme, une mise en examen devant la CPI est possible, mais cela prendra du temps : il faudra certainement attendre la fin de la guerre pour que les preuves puissent être rassemblées.

La Croix : Quelles conséquences la Mongolie encourt-elle en n’arrêtant pas Vladimir Poutine ?

Monsieur PG.: Personne n’a forcé la Mongolie à ratifier le Statut de Rome. C’est donc la fiabilité de ce pays qui est en jeu s’il ne respecte pas ses engagements. Par ailleurs, le Statut de Rome prévoit que les États parties peuvent mettre en œuvre des sanctions. Mais elles ne sont pas automatiques. En 2017, la CPI a déclaré que l’Afrique du Sud avait manqué à son « devoir » en n’arrêtant pas l’ancien président soudanais Omar el-Béchir lors de sa visite en 2015, sans toutefois assortir cette décision de sanctions. Le risque pour la Mongolie est donc d’abord réputationnel et diplomatique. Gardons à l’esprit que la Cour pénale internationale ne date que de 2002. Elle est en construction.

La Croix : Ce revers ne risque-t-il pas de détricoter la structure même de la justice pénale internationale ?

Monsieur PG.: Je ne le pense pas. Encore une fois, parce que Vladimir Poutine risque de commettre d’autres erreurs. Ensuite, parce que c’est une chose relativement récente de juger des chefs d’État pour des crimes internationaux. Ce phénomène est apparu à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et s’est amplifié dans les années 1980. Nous sommes donc dans la préhistoire du droit pénal international – quoique dans une phase d’accélération. Enfin, il faut voir que la justice pénale internationale est construite par des États qui se veulent vertueux, mais craignent qu’elle se retourne un jour contre eux. Ce mouvement de balancier participe de la construction du droit international. Cette histoire est faite de soubresauts. Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives en pensant qu’elle a cessé d’évoluer.

(1) Peut-on juger Poutine ?Albin Michel Éd., 234 p., 16,90 €.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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