« Plus l’Europe sera forte, plus le lien avec les États-Unis sera fort »
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« Plus l’Europe sera forte, plus le lien avec les États-Unis sera fort »

« Plus l’Europe sera forte, plus le lien avec les États-Unis sera fort »

S’il y a quelqu’un qui a vécu un avant et un après 2014, année de l’annexion de la Crimée par Vladimir Poutine, c’est un historien de formation capable de voir comment ce 80ème anniversaire du Débarquement peut nous aider à comprendre la tragédie de la guerre et ce qu’elle coûte. se libérer de l’occupant, c’est Jean-Yves Le Drian. Sous François Hollande comme sous Emmanuel Macron, il a plaidé pour le rapport de force avec la Russie de Poutine. De retour cette semaine d’une nouvelle mission au Liban, il a répondu à nos questions.

LA TRIBUNE DIMANCHE – En quoi les cérémonies de l’anniversaire du Débarquement cette année seront-elles différentes de celles que vous avez vécues il y a dix ans, en 2014 ?

JEAN-YVES LE DRIAN – Quand on se souvient de la cérémonie du 6 juin 2014, on a l’étrange impression qu’il s’agissait du dernier acte international d’une époque désormais révolue, une sorte d’ultime étape avant le basculement du monde. Tout le monde était présent : la reine Elizabeth II, le président Obama, le président Poutine, la chancelière Merkel et bien d’autres, y compris des représentants de ce qu’on appelle désormais le « Sud global ». Ils avaient répondu à l’invitation du président Hollande de célébrer leur liberté retrouvée et de partager la conviction que le monde pouvait vivre en paix sur la base des principes développés à la fin de la guerre. Les grands accords internationaux de sécurité collective étaient toujours en vigueur, les relations entre l’OTAN et la Russie fonctionnaient. Il faisait beau, l’ambiance était détendue… Mais ce n’était finalement qu’une apparence, des fissures apparaissaient déjà avec la montée du terrorisme, l’occupation de la Crimée, les combats dans le Donbass, comme autant de germes de bouleversements à venir, voire si personne n’anticipait l’accélération et l’ampleur des ruptures.

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A l’époque, François Hollande avait profité de l’événement pour réunir les présidents russe et ukrainien. En ce que Le Poutine d’aujourd’hui est-il si différent de celui d’il y a dix ans ?

Depuis, le régime russe a profondément changé. Il a systématiquement piétiné tous les accords, tous les principes qui fondaient la stabilité, la sécurité et la paix en Europe. Il mène une répression sévère contre toute opposition politique et intellectuelle. Il militarise la société russe. Il a envahi une démocratie voisine avec des intentions ouvertement révisionnistes dans le cadre d’une offensive idéologique et très concrète contre l’Occident et, bien sûr, contre l’Europe. Si Poutine l’a pensé à l’époque sans le montrer, il a pris les mesures les plus sérieuses.

Les parallèles que l’on est tenté de faire entre l’impérialisme russe d’aujourd’hui et l’invasion progressive de l’Europe par l’armée allemande du régime nazi sont-ils justifiés ?

Le paradoxe est que tout en prétendant « dénazifier » En Ukraine, l’un de ses objectifs de guerre constamment affirmés, le régime russe a lui-même et seul réintroduit la barbarie au cœur de l’Europe, au point d’être poursuivi en justice par la Cour pénale internationale.

Les divergences actuelles entre les alliés de l’Ukraine sur la portée des armes livrées ou sur l’autorisation de les utiliser pour frapper le sol russe ne servent-elles pas les objectifs de Poutine ?

Ce dont je retiens pour ma part, c’est d’abord l’unité de l’Europe, pour l’essentiel préservée depuis l’invasion russe : condamnation, sanctions, réponses communes à une crise énergétique majeure, soutien politique et financier. et militaires en Ukraine. Il existe parfois des divergences tactiques, mais le plus souvent elles sont surmontées et il y a un accord sur les principes fondamentaux ainsi que sur l’objectif à atteindre. On vient de le revoir sur la protection de Kharkiv contre les frappes depuis le territoire russe. L’Ukraine constitue aujourd’hui la première ligne de défense de l’Europe. Tout le monde en est bien conscient.

La Hongrie de Viktor Orbán continue de bloquer le fonctionnement de la Facilité européenne pour la paix, qui fournit une assistance militaire à l’Ukraine. N’est-ce pas un handicap sérieux pour l’UE dans sa volonté de devenir puissante ?

Il est vrai que le blocage actuel du site par la Hongrie est anti-jeu – si vous me permettez cette expression. J’espère que ce problème sera surmonté, comme cela s’est produit dans le passé sur des questions importantes. Je veux faire confiance à la Hongrie pour assumer pleinement la présidence semestrielle de l’Europe à partir du 1er juillet et ne pas se positionner en dehors de l’Union européenne.

Sept ans après le premier sommet de l’Otan de Donald Trump, avons-nous suffisamment progressé pour ne plus dépendre militairement de l’allié américain s’il venait à nous faire douter de son soutien ?

S’il y a un point sur lequel je suis d’accord avec Donald Trump, c’est lorsqu’il souligne l’insuffisance des efforts européens pour leur propre défense. Pendant trop longtemps, trop d’alliés se sont reposés sous le « parapluie américain » sans assumer leurs propres responsabilités. Il n’en reste pas moins que des progrès majeurs ont été réalisés au cours des dix dernières années, avec des évolutions spectaculaires, notamment financières, depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut franchir un nouveau cap, comme l’a souhaité le président Macron lors de son deuxième discours à la Sorbonne le 24 avril, pour gagner en crédibilité et être prêt à affronter le pire. Nous devons collectivement éviter toute dépendance excessive à l’égard d’un allié majeur dont l’engagement peut clairement devenir incertain. On ne peut pas dire que nous n’avons pas été prévenus ! Plus l’Europe est forte, plus le lien avec les États-Unis sera fort, et non l’inverse ! C’est l’enjeu majeur des élections du 9 juin. Une Europe puissante qui assure son autonomie stratégique. C’est pourquoi je m’engage pleinement aux côtés de la liste Need for Europe portée par Valérie Hayer.

N’y a-t-il pas, au fond, un risque parallèle, avec la montée de l’extrême droite en Europe, de voir l’UE s’éloigner davantage des États-Unis et en même temps tenter d’apaiser la Russie ?

La tendance de fond du Rassemblement national, soutien régulier au régime russe, est bien connue et refait surface à tout moment malgré ses tentatives de la cacher aux yeux de l’opinion publique. Mais au fond, il ne doit y avoir aucune ambiguïté car il y a un agresseur et un agressé. Nous devons soutenir sans relâche les attaqués sans nous substituer à leurs choix. Le souhait de la grande majorité des Européens est que l’Ukraine résiste suffisamment pour chasser les troupes d’invasion et retrouver sa pleine souveraineté territoriale. L’Ukraine doit rester maître de son propre avenir.

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