Plus de pauvres, plus de riches : cinq questions pour comprendre la lutte contre le ruissellement à la française
Documenter la hiérarchie des revenus en France, en se concentrant sur le haut de gamme, est rendu compliqué par l’énergie déployée par les plus riches pour rendre leurs avantages invisibles aux autres. C’est pourtant la mission que s’est fixée, entre autres, l’Observatoire indépendant des inégalités, dont le troisième rapport sur les riches en France vient d’être rendu public.
En fixant le seuil de richesse à 5 790 euros (après impôts) pour un couple ou 9 650 euros pour une famille avec deux enfants de plus de quatorze ans, 4,7 millions de Français sont concernés, soit 7,4 % de la population française. qui ont un revenu supérieur à 93% de leurs concitoyens.
Pourquoi la richesse et le patrimoine sont-ils de plus en plus concentrés ?
Si la proportion de riches a diminué de 1,5 point en dix ans (ils représentaient près de 9 % de la population en 2011), leur niveau de richesse a augmenté. La moitié d’entre eux ont un niveau de vie supérieur à 1,28 fois le seuil de richesse en 2021, contre 1,26 fois en 2011.
De plus, la croissance des revenus des riches est tirée par le haut de l’échelle des revenus. Les 1 % les plus riches de la population française capturaient 7,7 % de l’ensemble des revenus avant impôts au début des années 1980. Cette part atteint 12,7% en 2022 selon la World Inequality Database.
« Cette concentration des richesses s’explique en partie par le fait que les revenus du travail ont augmenté moins vite que les revenus du capital. Cependant, seuls les ultra-riches tirent leurs ressources exclusivement des revenus et de la finance. Mais on voit aussi que ce sont aussi les salaires des 1% les plus riches qui ont le plus progressé.»explique Anne Brunner, directrice d’études à l’Observatoire des inégalités.
Dans quelle mesure la richesse des plus riches a-t-elle augmenté ? Le poids des 500 plus grandes fortunes a augmenté de 844% en 20 ans
Côté richesse, la concentration est encore plus forte : 16,9% des ménages possèdent plus de trois fois la richesse médiane (hors dette), soit plus de 531 000 euros. Les 10 % les plus riches disposent de plus de 716 300 euros selon l’Insee en 2021. Les 1 % les plus riches disposent d’au moins 2,2 millions d’euros par foyer. La part des 10 % les plus riches est passée de 41 % à 47 % de l’ensemble du patrimoine des ménages entre 2010 et 2021, selon l’Insee.
La concentration des richesses entre les mains des plus riches s’accentue donc au détriment du reste de la population. Le poids des 500 plus grandes fortunes professionnelles a presque décuplé en 20 ans. Ils représentaient 124 milliards d’euros en 2003 et atteindront un montant total de 1 170 milliards d’euros en 2023 (+844%), selon le magazine Challenges.
Les propriétaires des grands groupes français ont accumulé d’immenses fortunes et un pouvoir économique gigantesque, à l’image de la famille Arnaud à la tête du groupe de luxe LVMH et ses 203 milliards.
Comment le logement devient-il l’un des principaux marqueurs de richesse ?
Les conditions de logement distinguent clairement les personnes situées au-dessus du seuil de richesse. Être riche permet avant tout d’être propriétaire de son logement. 87% des ménages riches sont dans ce cas, contre 58% des autres ménages, selon les calculs de Vivien Charbonnet de l’université de Tours.
Où qu’ils vivent, les ménages aisés possèdent des logements plus grands que leurs voisins. Que ce soit en métropole parisienne, dans une grande ville de province ou à la campagne, un ménage riche dispose en moyenne d’environ 50 % d’espace en plus que les autres ménages. Les revenus des riches leur permettent d’accéder à des logements plus grands : les deux tiers d’entre eux vivent dans des logements de plus de 100 m2. C’est le cas d’un peu plus d’un tiers des ménages les moins aisés. En moyenne, un ménage aisé dispose de 37 m2 de plus que les autres.
Le patrimoine immobilier des riches ne se limite pas à leur résidence principale. Près des deux tiers d’entre eux possèdent un autre bien, contre seulement 22 % des autres ménages. Résidence secondaire, logement locatif, pied-à-terre, terrain… Ces propriétés leur apportent soit un complément de revenus, soit un lieu pour partir plus souvent en vacances et inviter familles et amis.
Où se concentre la richesse en France ?
La concentration des richesses est aussi géographique car les plus riches ont tendance à se regrouper, notamment dans certains quartiers de la capitale ou de l’ouest parisien. Dans le classement des 20 grandes villes et quartiers (plus de 20 000 habitants) où les riches sont les plus riches, 19 sont situés en région parisienne. Le 7ème arrondissement de Paris arrive en premier.
Il faut disposer de pas moins de 12 400 euros par mois après impôts pour une personne seule, ou 18 600 euros pour un couple sans enfants, pour entrer dans le top 10 % des plus riches de ce quartier (données Insee 2021). Au total, la moitié de ces 20 territoires où les riches sont les plus riches sont des quartiers de Paris. Neuilly-sur-Seine dans les Hauts-de-Seine (au moins 10 730 euros par mois) apparaît en troisième position de ce classement.
Saint-Cloud, également dans les Hauts-de-Seine, se glisse en onzième position avec un niveau de vie d’au moins 7 020 euros par mois pour les 10 % les plus riches. Elle est suivie par d’autres banlieues parisiennes. Le 6e arrondissement de Lyon et Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) ferment la marche : le seuil d’entrée dans le club des 10 % les plus riches est respectivement de 5 700 et 5 600 euros par mois, des revenus encore très élevés, mais moitié moins que dans le 7e arrondissement de Paris.
Ces territoires concentrent les classes les plus riches : dirigeants des grandes entreprises, médias, politiques. En comparaison, le seuil d’entrée dans les 10 % les plus aisés se situe autour de seulement 2 200 euros par mois dans des communes comme Grigny (Essonne), La Courneuve (Seine-Saint-Denis) ou le 3e arrondissement de Marseille.
Pour corriger ces inégalités, faut-il taxer les plus riches ?
« Notre objectif, rassure Louis Maurin, le directeur de l’Observatoire, Il ne s’agit pas de stigmatiser les plus riches, mais avec ce seuil, d’indiquer sur quels segments pourrait se concentrer l’effort de solidarité nationale.. » Jusqu’à présent, la fixation d’un seuil de richesse était plutôt contestée par l’État qui ne souhaitait pas que son Institut national de la statistique (Insee) s’intéresse de trop près au haut de l’échelle des revenus et du patrimoine.
Il se pourrait que le message de l’Observatoire des inégalités finisse par passer puisque le Conseil national de l’information statistique vient de recommander à l’Insee « d’approfondir les travaux sur la mesure des inégalités de revenus et de richesse (…) de mener des travaux méthodologiques afin d’examiner la pertinence des indicateurs de richesse monétaires et non monétaires, qui seraient les pendants des indicateurs de pauvreté et d’approfondir les travaux menés sur la transmission intergénérationnelle des inégalités sociales en matière de revenus, d’éducation et de patrimoine. » Un pas vers la fin du déni ?
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