plongée dans Threads, le réseau social rival de Twitter qui cultive son ennui mortel
Le réseau social Threads, propriété de Meta, a franchi en août dernier le cap des 200 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Tech&Co a fouillé les profondeurs de la plateforme boudée par les jeunes.
« Fils ». Le mot est affiché en majuscules sous la petite icône noire du signe arobase. Ce logo est celui du réseau social Threads, petit frère d’Instagram, lancé il y a un peu plus d’un an par Meta pour concurrencer X (anciennement Twitter).
Après un démarrage en trombe, avec 100 millions enregistrés lors de la semaine de lancement en juillet, le flux de nouveaux utilisateurs a largement ralenti. Le dernier ajout de Meta compte désormais 200 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde. En comparaison, X compte environ 251 millions d’utilisateurs actifs quotidiens. Pour mieux comprendre ce qui se passe sur cette plateforme, Tech&Co a souhaité s’y plonger.
Une plateforme liée à Instagram
En voyant les centaines et les centaines de suggestions de publications Threads qui se glissent entre les publications de notre fil d’actualité sur Instagram, la curiosité naît d’aller jusqu’au bout d’un message.
Optez pour ce vague sujet sur la connexion fibre. « Le maître a complètement renoncé à montrer son apprenti. Je lui demande : ‘Eh bien, pourquoi ça ne va pas ?' », peut-on lire. La publication est intrigante. Ni une ni deux, on clique sur ce message pour lire la suite de l’histoire.
En un clic, nous arrivons sur Threads, prêts à lire la réponse du technicien. « Il confond toujours vissage et dévissage sur le tournevis, donc il fait des trous partout et il n’y a rien qui tienne », rapporte l’utilisateur.
Petite déception, l’histoire n’a finalement rien d’exceptionnel. Il récolte pourtant plus de 140 likes, grâce à l’algorithme de recommandation d’Instagram qui suggère des « fils de discussion », équivalents à des « tweets ».
Plus d’une centaine de likes pour une anecdote un peu fade : c’est un peu la marque de fabrique de Threads. En effet, la plateforme privilégie les discussions quotidiennes, les bavardages familiaux et les potins sur les dernières séries plutôt que les contenus violents, les photos pornographiques et autres actualités politiques de son principal concurrent X (ex-Twitter). Peut-être un peu trop. Car, disons-le franchement : le réseau social est mortellement ennuyeux. Et c’est ce que je recherche dans l’application.
Jetez simplement un œil à l’interface. Une copie presque exacte de celle de X. Les publications (images, vidéos ou liens) se succèdent en défilant de haut en bas dans le fil d’actualité. Il est possible de les « liker », de les partager ou de les envoyer, exactement sur le même principe que X. Bref, rien de bien révolutionnaire.
Psychologue, gynécologue et moules frites
Ce qui surprend à première vue, c’est le nombre de fils de discussion où les utilisateurs racontent des anecdotes du quotidien. Au programme, des récits d’un entretien d’embauche qui s’est mal passé, de la dernière crise des enfants, de ce fameux rendez-vous embarrassant avec le gynécologue ou encore ces aveux au psychologue.
Comme l’histoire de cette petite fille à la plage qui a fait détruire son château de sable par son père. «Je jure que ça m’a tellement fait mal au cœur, j’en avais les larmes aux yeux. Je me suis vu quand j’étais petite, quand je fabriquais des choses et que mes parents les jetaient à la poubelle. Le message a été liké près de 1 000 fois.
Ou cette anecdote d’une « grosse déception au restaurant qui propose des moules-frites ». Malheureusement, le plat n’est plus disponible, alors place à une salade César, pratique pour les intolérants au gluten. Mais surprise : la salade arrive avec du poulet frit.
« Pour frire, il faut de l’œuf, de la FARINE et de la chapelure, deux éléments que je ne peux pas manger. (…) Sauf qu’à aucun moment il n’est écrit sur les menus que ‘Il y a du poulet frit !’, se plaint l’auteur.
Une question d’algorithme ?
Lorsque les utilisateurs ne partagent pas leurs histoires de leur propre initiative, ils sont invités à le faire par d’autres internautes. « Pensez-vous que nous sommes toujours attractifs après 25 ans ??? », demande l’un d’eux. « Que fais-tu le soir après une journée de travail ? Je veux vraiment savoir », dit un autre. 56 réponses : « Je promène mon chat Noisette », « Je suis geek », « Je fais ma lessive »…
« Threads est un espace de discussion où les utilisateurs souhaitent échanger et débattre », observe Stéphanie Laporte, fondatrice de l’agence de médias sociaux OTTA. « C’est ce qui plaît. »
Un autre fait notable à propos de Threads est la négativité des messages. Colis livré au mauvais destinataire, train coincé pendant 3 heures entre Marseille et Paris, histoires d’infidélité et disputes sur Vinted… Peu d’histoires racontent de bonnes nouvelles. Un aspect qui contraste avec Instagram, dont les publications positives et les photos de lieux paradisiaques ont fait son succès, mais qui reste tout de même plus rafraîchissant que X.
Le réseau social d’Elon Musk est souvent décrit comme anxiogène par les utilisateurs, en raison du nombre de messages agressifs, des vagues de cyberharcèlement et de la multitude de contenus violents. La plateforme se rapproche également d’une amende de la part de l’Union européenne pour violation des règles européennes concernant modération du contenu et la transparence. Le réseau est accusé de ne pas lutter suffisamment efficacement contre la haine en ligne.
Ici donc, peu ou pas de grands discours sur le conflit israélo-palestinien, mais des anecdotes de grossesse ou d’interminables querelles de quartier.
La faute à l’algorithme. « L’algorithme met en avant les posts qui ne plaisent pas forcément aux habitués d’Instagram », son grand frère, reconnaît Stéphanie Laporte.
Un réseau loin de la politique et de l’actualité
En effet, le fil « pour vous » de la plateforme propose aux internautes des messages d’autres personnes susceptibles de les intéresser, en fonction des comptes auxquels ils sont abonnés. L’utilisateur se retrouve alors confronté à une série d’anecdotes très personnelles émanant d’inconnus, qui proviennent parfois d’un journal intime, voire d’actualités de la semaine écoulée.
Chez Tech&Co, nous sommes effectivement tombés sur une publication humoristique sur la composition du nouveau gouvernement de Michel Barnier… une semaine après l’annonce officielle. Contenu découvert un peu (trop) tard. Car si la candidature de Meta s’apparente sur la forme à celle d’Elon Musk, elle souhaite s’en démarquer sur le fond. Dès son lancement, le directeur d’Instagram, Adam Mosseri, a prévenu que l’actualité et la politique n’étaient pas les sujets favoris du nouveau réseau social, contrairement à X.
« La politique et l’actualité seront forcément présentes sur Threads, mais nous n’allons rien faire pour encourager ces verticales », explique-t-il.
Pas de débats politiques interminables ici. L’accent est mis sur les communautés autour d’une passion « qui s’intéressent à un espace de conversation moins colérique » et sur les anecdotes du quotidien.
Une plateforme boomer ?
Résultat, pour de nombreux utilisateurs ayant testé Threads, le réseau social est un hotspot boomer. Pour preuve, les nombreux commentaires qui comparent le dernier-né de Meta au plus ancien réseau social du groupe. « Cela ressemble à une blague de 2011 sur Facebook », a écrit un utilisateur devant un mème.
« Du coup, Threads est devenu une référence pour les gens sans ambition, qui récupèrent les anciennes tendances de Facebook pour les publier 10 ans plus tard sur une nouvelle plateforme, c’est ça ? » demande un autre.
Il manque en effet une cible cruciale sur Threads : la Gen Z. Selon le blog de l’animateur, plus des deux tiers des internautes ont plus de 24 ans. Les anecdotes familiales et la réputation de « baby-boomer » de Threads n’attirent guère les moins de 25 ans, qui préfèrent Tiktok. La nouvelle plateforme de Mark Zuckerberg trouve son public davantage parmi les trentenaires ou les internautes en quête de contenus plus soignés que sur X, grâce à des algorithmes et des équipes de modération très présentes.
Threads a également fait de la modération son objectif principal pour attirer de nouveaux utilisateurs. Le Meta Group s’engage à vérifier les informations propagées sur Threads. Un avantage non négligeable face aux dérives de son concurrent social. Et surtout une fuite massive d’utilisateurs… pour le plus grand plaisir de Threads.
Le dernier ajout de Meta a pris un bon départ. Cinq jours après son lancement en juillet 2023, il comptait déjà 100 millions de téléchargements, un cap jamais atteint en si peu de temps par un réseau social.
Un chiffre impressionnant donc qui doit beaucoup à la synergie avec Instagram. En effet, Threads a été lancé comme une extension de l’application. Il est donc très simple de créer un compte depuis Instagram. Les identifiants des deux plateformes sont également liés. Une manière d’inciter les 1,8 milliard d’utilisateurs d’Instagram, dont l’âge moyen augmente un peu plus chaque année, à tester ce nouveau service.
« Une tentative semi-concluante »
Un afflux suffisant pour dépasser la « place publique » d’Elon Musk ? Rien n’est moins sûr. «Threads est une tentative semi-concluante», estime Stéphanie Laporte. Mais l’expert en est convaincu, il ne faut pas tout jeter dans l’application. L’aspect communautaire de la plateforme est prometteur. « Les Threads peuvent devenir un réseau qui fédère des communautés de niche et des passionnés », estime Stéphanie Laporte. « Par exemple, j’ai vu beaucoup de fans de la série La Chronique des Bridgerton ouEmilie à Paris discuter d’un épisode ou d’un personnage. Ça commence à bien décoller. » Chez Tech&Co, le débat autour des opinions impopulairesndlr) la saison 3 de Bridgerton nous a en fait tenus éveillés jusque tard dans la nuit.
Aux Etats-Unis, la publication en direct des scores des matchs de basket NBA est par exemple actuellement testée. Une manière d’inciter les internautes à discuter des résultats de leurs équipes préférées directement sur l’application.
Mais la plateforme pourrait tout aussi bien disparaître. En effet, au cours de son histoire, Meta a sorti une myriade d’applications de test, que l’entreprise a fini par intégrer directement dans Instagram ou Facebook.
« Les utilisateurs d’Instagram souhaitent communiquer autrement que par vidéo ou par photos. Ils veulent des publications textuelles. Alors pourquoi ne pas les intégrer directement dans l’application ? », suggère-t-elle.