Pierre Musso, philosophe : « Pour une nouvelle hégémonie dans le travail »
Le président Macron se trouve confronté à un obstacle majeur sur le chemin des soi-disant « réformes » de la société, qui visent en réalité à « une révolution passive », selon les mots du philosophe Antonio Gramsci. Ce concept désigne une révolution-restauration visant à imposer à la société civile une transformation et une libéralisation du système économique et social pour l’adapter aux époques de changement technologique et économique. Cette révolution, sans le peuple, pour que tout reste pareil, selon les mots de Tancredi dans guépard de Lampedusa, c’est ce que les Italiens appellent aussi le « transformisme ».
L’obstacle rencontré par Emmanuel Macron pour mener cette « révolution » (titre de son premier programme électoral) pour légitimer la dissolution de l’Assemblée est l’absence de majorité parlementaire, et surtout, depuis le mouvement des Gilets jaunes, la multiplication des révoltes, émeutes ou émeutes. Ces mouvements sociaux, dont le point culminant fut le front syndical unique contre la réforme des retraites, sont autant de réactions aux perturbations jupitériennes visant à saper l’État social ou « l’État-providence » construit au XXe siècle.e siècle, notamment entre 1936 et 1968.
La trajectoire suivie par le macronisme est le passage de l’État-nation à l’État européen, membre d’une fédération, et de « l’État-providence » à l’État-entreprise, acteur d’un marché. Or, en France, l’État joue un rôle central car la nation s’est historiquement construite avec et par l’État. Cette transformation profonde s’effectue de manière managériale selon « La gouvernance par les chiffres » (Alain Supiot), imposée à l’État et aux services publics (santé, écoles et universités notamment). Le président Macron a ainsi pu dire aux préfets : «Je m’attends à ce que vous soyez des entrepreneurs de l’État. »
Conduite au nom de « efficacité », Mot fétiche du dogme managérial, cette révolution conservatrice s’achève par la « Un gouvernement par la peur » face aux risques et catastrophes annoncés (Gilles Lipovetsky) : peurs du lendemain, Covid, attentats, crise, guerre, etc. Mais gouverner au nom de l’efficacité et de la sécurité ne suffit pas. Il est nécessaire » Avance « – autre mot favori du macronisme – dans cette révolution passive et même l’accélérer.
C’est pourquoi le recours à « l’ordre », au césarisme vertical et à l’illibéralisme devient essentiel comme on l’observe dans de nombreux pays européens. Dans l’un de ses discours de campagne en 2017, Emmanuel Macron avait pu affirmer « être efficace, c’est mettre fin au bavardage législatif ». La cohabitation avec l’extrême droite n’est plus un tabou si elle permet d’« avancer » dans la révolution passive tout en respectant les fondamentaux européens sur le modèle de Giorgia Meloni qui, en Italie, a endossé le costume financier de Mario Draghi.
Alors, la fameuse question revient toujours : « que faire ? » au-delà des nécessaires alliances des fronts populaire et républicain et des mesures d’urgence. L’anti-révolution passive, pensée par Gramsci, appelle à la construction d’une nouvelle hégémonie basée sur « Ville de travail », comme l’appelait l’ancien dirigeant syndical italien Bruno Trentin, c’est-à-dire de l’entreprise, où naît l’hégémonie du lieu de travail et de production. Aujourd’hui, avec le » révolution numérique « le système d’information est devenu le système de production.
Or, si d’un côté l’automatisation des tâches répétitives peut enrichir les activités humaines, de l’autre subsistent les liens de subordination renforcés par une néogestion étouffante. Paradoxalement, apparemment, la solution à la crise de la représentation politique réside dans « Ville de travail », à l’opposé de l’État corporatif. Comme l’a souligné Trentin, « la liberté du travail est la condition de la liberté tout court ». Cela ouvre une voie à explorer : promouvoir la démocratie dans les affaires et la justice sociale, gage d’une paix durable dans la société.